Les Chambres fédérales se défaussent de leur mission constitutionnelle

Article rédigé avec Matthieu Carrel et publié dans le Temps du 13 juin 2014.
Les règles qui prévoient l’invalidité d’une initiative sont extrêmement restreintes et les cas d’invalidité patente demeurent rares. L’art. 139 de la constitution fédérale prévoit toutefois que lorsqu’une initiative populaire ne respecte pas le principe de l’unité de la matière, l’Assemblée fédérale la déclare totalement ou partiellement nulle. Cette règle de l’unité de la matière est centrale. Pour que la démocratie directe fonctionne convenablement, les citoyens doivent pouvoir s’exprimer de manière univoque sur un objet cohérent ; un objet qui n’appelle qu’une réponse : oui, ou non.
La plupart des initiatives, même les plus extrêmes, respecte sans problème cette exigence. Toutefois, d’autres sont plus problématiques. L’exemple le plus récent en est l’initiative démocrate-chrétienne qui réclame d’une part la fin de la discrimination fiscale des couples mariés et, d’autre part, l’inscription dans la constitution du principe que le mariage est l’union durable d’un homme et d’une femme.
On peut s’étonner qu’aucune autorité fédérale n’ait jusqu’ici souligné que l’unité de la matière était de toute évidence violé par l’initiative PDC. Pire, aucune autorité n’a même fait mine de se poser la question.
Cette initiative apparaît pourtant comme un marché de dupe pour une partie conséquente de la population, notamment urbaine et libérale. Que voter si l’on est par hypothèse favorable à la déduction fiscale proposée mais aussi au mariage gay ou même que cette dernière question nous indiffère ? En quoi une modification de la fiscalité des couples mariés impose-t-elle une définition constitutionnelle du mariage à une époque où, qu’on le veuille ou non, les contours mêmes de l’institution font débat ? Une telle initiative aurait pour effet principal de priver la Suisse d’un débat public que la Belgique, la France, l’Espagne, le Portugal, les Etats-Unis ont pu connaître.
Il n’y a en effet aucun lien de connexité entre les deux objets qui sont prévus dans l’initiative, l’un étant purement fiscal, l’autre exclusivement sociétal. Ils se retrouvent pourtant réunis dans un paquet ficelé par malice ou par hasard, qui devrait être, selon les initiants soumis d’un bloc au corps électoral, bien emprunté pour répondre clairement à cette question à double sens. Il est évidemment permis de s’opposer au mariage gay, il est par contre inacceptable de vouloir l’interdire en refusant le débat et en se cachant derrière un cadeau fiscal.
A nos yeux, pour préserver l’intégrité du consentement populaire, cette initiative devrait être invalidée, au moins partiellement au moins. Soit que l’on en fasse une initiative pour la fiscalité du mariage, soit que l’on en fasse une initiative pour la définition du mariage.
Pourtant, plutôt que d’évoquer cette question centrale de la validité de l’initiative au regard de la Constitution, la commission du Conseil national s’apprête à opposer un contre-projet c’est-à-dire un faux fuyant.
Invalider une initiative populaire, même partiellement, nécessite un certain courage et constitue une démarche lourde de sens et délicate. Il s’agit pourtant d’une tâche d’ordre judiciaire qui incombe à l’Assemblée fédérale. En refusant de prendre ses responsabilités et d’assumer son rôle de garant de l’ordre constitutionnel, loin de la renforcer, l’Assemblée fédérale affaiblit d’autant l’institution de l’initiative populaire en la confondant avec la possibilité d’en faire n’importe quoi.
C’est un lieu commun de la politique suisse que de se réjouir de la force de notre démocratie directe, force qui tient notamment à l’extrême souplesse des institutions. Or il faut bien comprendre que les quelques règles de procédures qui existent n’en sont que plus importantes.
il est déjà inquiétant qu’un parti comme le PDC qui s’affiche souvent comme le garant des institutions passe outre ces règles. Il l’est encore plus que l’Assemblée fédérale le laisse faire.