La loi sur les jeux d’argent et l’éthique du bandit manchot

Le 10 juin, les Suisses voteront sur une nouvelle loi sur les jeux d’argent qui prévoit, première nationale, le blocage des sites web étrangers concurrents des prestataires nationaux. Le débat s’annonce pimenté par les prétextes éthiques de chacun. Pour «protéger la nature suisse», vous êtes prié d’accepter la loi sur les jeux d’argent. Sans rire, c’est avec ce slogan benêt et cette photo kitsch d’un lac de montagne que les casinos espèrent convaincre le 10 juin.

Gratter, jouer, perdre…

Pour l’écologie, on peut aussi militer pour le WWF, participer à des collectes de déchets ou renoncer aux vols low cost. C’est contraignant. Le plus facile reste d’accepter cette loi. Magnanime et omnipotente, elle soutient aussi le sport, l’AVS, la culture. On apprendra peut-être encore qu’elle garantit le retour de l’être aimé, transforme le plomb en or et élimine efficacement les taches de rouille. Gratter, jouer, perdre. C’est la solution à tous les maux. Voilà le leitmotiv d’une campagne qui ne dit pas son nom: la défense de la corporation des casinos et des loteries.

Ne le nions pas. Chaque franc bêtement perdu au Tribolo ou dans un des 21 casinos de Suisse remplit un peu les caisses publiques et fait le beurre de milliers d’associations. Tout comme l’argent des cigarettes, cela dit. Est-ce suffisant?

Un précédent? On s’en fiche!

Derrière cette déferlante de gentils prétextes, un objectif: casser la concurrence. La loi introduit le blocage des sites internet étrangers, déclarés «illégaux». Que beaucoup de ces sites – comme la célèbre Française des jeux – soient parfaitement licites n’y change rien. On le dit, ça impressionne. Que ces mesures de censure constituent un précédent aussi regrettable qu’inefficace, on s’en fiche. On n’est pas à une approximation près.

Pas de mesure contre l’addiction

C’est pourtant le joueur qui devrait être protégé. Or, pas une seule nouvelle mesure contre l’addiction n’est prévue. Difficile de se draper de vertu quand on se finance avec l’argent de pauvres diables qui claquent leurs économies en sifflant des bières sur le comptoir des Tactilo. Avec ça, les leçons de morale passent mal, forcément.

Tous les gagnants ont tenté leur chance, disent-ils. Mais aussi et surtout les perdants, ceux qui se sont ruinés, victimes d’un vice socialement dévastateur. «Qui joue, perd» devrait être écrit en majuscules sur les billets de loterie. Au jeu du blocage d’internet, pas sûr que les casinos gagnent. J’en prends volontiers le pari.