Sorry for the tongue

Une fois le Brexit consommé, l’anglais ne sera plus une langue officielle de l’Union européenne. Pourtant, on juge encore le sérieux d’un dirigeant à sa capacité à s’exprimer en anglais, même si la réciproque ne compte pas. Et si l’on se montrait plus conciliant, en saluant l’effort plutôt que la performance?

«Sorry for the time.» Nicolas Sarkozy s’excusait ainsi de la pluie parisienne en accueillant Hillary Clinton lors de l’hiver 2010. Entre l’anglais et les élus, l’ambiance n’est pas toujours au beau fixe. On se rappelle aussi du «yes» qui needait le «no» to win against le «no». Jean-Pierre Raffarin dans toute la splendeur de la campagne pour la Constitution européenne.

Nous qui parlons tous forcément un anglais parfait, on se gausse des politiciens qui dérapent dans la langue de leur homologue. Qui se ridiculisent, paraît-il. Et quand Ueli Maurer patine devant une journaliste de CNN, on a l’impression de se prendre la honte nationale. Internationale, même.

Pourtant, l’hégémonie anglophone agace. En tout cas en ce qui me concerne. Croiser un de ces expats établis en Suisse depuis dix ans et incapable de baragouiner trois mots en français me casse les pieds. On dirait que les grands programmes pour les étrangers ne s’appliquent qu’aux arabophones et albanophones. Parlez turc à Renens, vous serez mal intégré. Exprimez-vous en anglais à Rolle, c’est Rolle qui ne vous aura pas compris.

Une Suisse simple et sincère

Sans être un grand partisan d’Ueli Maurer, je l’ai trouvé plutôt sympathique dans sa tentative ratée de donner une interview dans la langue de Walt Disney. L’accent n’y était pas. Le vocabulaire non plus. Mais l’intention, oui. Il a donné l’image d’une Suisse simple et sincère. Un peu comme Ogi avec son sapin ou Schneider-Ammann et sa journée des malades. Et le monde s’en remettra.

N’envoyons pas trop vite à l’échafaud ceux qui commettent des fautes dans une langue étrangère, parfois même nationale. A Berne, on se prétend tous bilingues. On fait semblant de comprendre les Haut-Valaisans quand ils se parlent entre eux. La grande fiction d’un parlement de polyglottes. Mais c’est l’effort que chacun réalise qui compte. Cette volonté de comprendre l’autre illustre à elle seule tout ce qui manque trop souvent en politique.

C’est peut-être pour cela que l’on n’entendra jamais Donald Trump se prendre les pieds dans le tapis lors d’une interview en français ou en allemand. L’arrogance linguistique, prémisse de toutes les autres. Comme le disent les Anglo-Saxons, ne nous moquons pas trop de ceux qui bafouillent en «broken english». Eux, au moins, parlent une autre langue.