La roulette russe de Novartis, une pilule dans le barillet

Novartis a envisagé de tirer au sort 100 nourrissons qui auraient eu droit à sa thérapie géniale et hors de prix. Pour qu’ils aient la vie sauve. La démarche impose une réflexion sur la prise en charge des innovations par nos systèmes de santé modernes. Mais n’enlève rien au caractère immoral de la proposition du géant pharmaceutique.

C’est de Gaulle qui avait eu cette méchante phrase: «Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche.» Au grand dam des finances publiques et pour notre bien à tous, le temps lui donne tort. L’industrie pharmaceutique invente des médicaments. Qui soignent des maladies jusqu’ici incurables. Qui redonnent de l’espoir. Mais qui coûtent un saladier.

Prenez le Zolgensma. Cette thérapie pourrait sauver des vies. Et pas n’importe lesquelles. Celles des enfants. Pour plus de 2 millions de francs l’unité. A ce tarif, nos systèmes sociaux rechignent à passer à la caisse. Pour leur forcer la main, Novartis voulait tirer au sort 100 nourrissons qui bénéficieraient gratuitement du traitement. Les autres mourront. Probablement. Le procédé est infernal, insupportable.

La vie n’a pas de prix. Le médicament oui, et non des moindres. Avec ces thérapies, nous soignerons peut-être des leucémies. Ralentirons la mucoviscidose. Ferons du cancer une maladie chronique. En déboursant par patient des centaines de milliers de francs. Voire des millions. Mis bout à bout, sans doute des milliards.

On pourrait limiter les marges de ces inventions dont le succès dépend du brevet. Aux droits découlant d’une position dominante sur le marché, le devoir de pratiquer des tarifs raisonnables. Mais au risque de doucher les espoirs, cela ne suffira pas. A priori, ce sont bien les coûts mirobolants de la recherche qui expliquent l’essentiel des tarifs, et fabriquer la pilule miracle n’est pas une sinécure.

Une proposition bestiale

Un jour ou l’autre, nous devrons affronter le douloureux débat de l’étendue du système de santé. Jusqu’où lui consacrer nos revenus? Jusqu’au quart? A la moitié? Où est la limite? Admettre toutes les innovations techniques, c’est accepter la diminution de notre pouvoir d’achat et donc la paupérisation de la classe moyenne. Y renoncer, c’est laisser mourir des gens que l’on savait pouvoir guérir.

Le hasard est le fruit de la nature, imparfaite. Celle qui laisse s’abattre la maladie au petit bonheur et la malchance sur les hommes et les femmes. C’est la fatalité qui joue à la roulette russe. A l’inverse, l’humanité doit rejeter ce hasard pour lui substituer la raison. En cela, la proposition de Novartis est immorale. Bestiale, même. In extremis, l’entreprise pharmaceutique y a renoncé. Elle aura toutefois mérité de poser un débat nécessaire.