La démondialisation, c’est le populisme côté terroir

 Avec la reprise, beaucoup demandent un «autre modèle», démondialisé. Un modèle obligatoirement local, prétendument plus durable. L’humanité aurait pourtant tout à perdre d’un effondrement des échanges entre les peuples, y compris commerciaux.

Avant la crise, je m’inquiétais du protectionnisme qui s’abattait sur le parlement. Il ne s’est pas calmé. Au moment du déconfinement, les voix se multiplient contre la mondialisation. Désormais, l’Homme nouveau consommera exclusivement dans son quartier. Des collègues veulent restreindre les importations. Limiter le commerce extérieur. Pour chaque concombre espagnol sur les étalages, une petite indignation. Et voilà que le directeur de l’OMC, Roberto Azevêdo, démissionne avec grand fracas, face à l’échec de son organisation.

On aime le petit commerce local et les produits de notre terre. Il n’y a pas d’intérêt à échanger par principe avec les gens les plus éloignés ou les plus inconnus. Travailler localement, c’est souvent plus simple, plus raisonnable. Et si j’apprécie l’économie de proximité, c’est parce qu’elle est la meilleure. Pas simplement parce qu’elle est estampillée «locale».

La démondialisation que beaucoup espèrent ne présage rien de bon. D’abord égoïstement. En Suisse, le commerce extérieur représente la moitié des richesses produites. Si tous les habitants de la planète s’interdisaient d’importer, de partir en vacances au-delà de quelques kilomètres, de travailler avec une banque étrangère, nous devrions renoncer à la moitié de nos salaires. A notre sécurité sociale. A notre système de santé. Nous n’aurions probablement plus les moyens de fréquenter nos propres restaurants et commerces qui appellent à une consommation plus locale.

Cette démondialisation, ce serait aussi une catastrophe pour les autres, et pas les mieux lotis. En quelques décennies, les pays en voie de développement ont connu la plus fulgurante progression humaine de l’histoire, grâce au commerce mondial, au libre-échange.

Un autre monde reste toujours possible. Un pire surtout. On peut réduire notre «dépendance». Relocaliser. Mais, sincèrement, pensez-vous que l’on maintiendra notre niveau de vie si, au lieu de fabriquer des montres de luxe et d’inventer les nouveaux médicaments contre le cancer, on se met à fabriquer des masques à quelques centimes et des t-shirts? Et vous pensez que les Chinois et les Indiens se porteraient mieux si on ne leur achetait plus de textiles et de téléphones mobiles?

La démondialisation, c’est la version terroir du populisme. Un slogan qui fleure bon le patriotisme, mais dont la stricte application démolira ce que des générations ont mis des années à construire. Comme disait très sagement Frédéric Bastiat«si les biens ne traversent pas les frontières, les soldats le feront». La paix en Europe a commencé par un accord de libre-échange. Un retour en arrière est toujours possible. On ne devrait pas trop s’en réjouir.