Derrière l’ours en peluche, le spectre de la corruption généralisée

Nous partageons peut-être un souvenir d’enfance. Le toboggan des jouets Weber de la rue de Bourg à Lausanne. Le nom de la marque a toujours éveillé en moi un petit sentiment de joie. Qu’ils étaient beaux, les jouets Weber! Même Jean-René Fournier s’en souvient, m’a-t-il dit. Weber. Avant qu’on en fasse une loi absurde sur les résidences secondaires. Mais c’est une autre histoire.

Au parlement, j’ai pour voisin Marcel Dobler. Un jeune entrepreneur à succès, Saint-Gallois et champion suisse de bob à 4. Récemment, il a racheté les jouets Weber. Et pour le faire savoir, il nous a offert un petit ours en peluche qui nous attendait mardi sur nos tablettes au National. Un peu de douceur dans la grisaille fédérale.
Jusque-là, rien de bien méchant. Enfin, de mon point de vue. D’autres collègues et connaissances (dont je vous laisse deviner l’appartenance partisane) ont immédiatement brandi le spectre de la corruption derrière le cadeau mal venu dans le «climat actuel». Certains ont regretté que les ours fussent importés de Chine. Stupeur à Berne: les peluches des enfants ne sont pas fabriquées à la Bahnhofstrasse. On m’a même suggéré de rendre le cadeau à l’expéditeur. A trop en faire, on voit maintenant de la corruption partout. Les conseillers d’Etat doivent livrer leur agenda. Dire avec qui ils mangent. Qui paie les cafés. L’armée se fait épingler pour avoir pris une deuxième tournée d’Appenzeller.

Théories conspirationnistes

La transparence est une drogue à accoutumance. Essayez-la, vous en redemanderez. Un cercle vicieux, sans fin. Une fois les noms dévoilés, vous exigerez les montants. Puis les intentions. Et les grandes intentions cachées derrière les petites intentions dévoilées. Vous commencerez à échafauder des théories conspirationnistes toujours plus farfelues. Franz Carl Weber vous offre un ours en peluche. C’est pour promouvoir l’élection de Karin Keller-Sutter et l’accord de libre-échange avec la Malaisie. Les élus vaudois sont des agents du FSB. Toutes les cartes de crédit se ressemblent et se confondent.
J’ai de la peine pour ces gens qui ont perdu toute candeur, toute idée de simplicité dans les rapports humains. Qui voient le mal partout. Des gens sérieux qui ont un peu laissé leur âme d’enfant au vestiaire. Personnellement, j’espère naïvement que mon voisin réussisse son pari, et ramène un jour le toboggan au magasin de la rue de Bourg.