E-ID: le monde ne nous a pas attendus

« Avec l’identité numérique, il sera possible de réserver vos voyages. De vous faire livrer toutes sortes de produits. D’effectuer vos opérations bancaires et boursières. D’organiser une consultation médicale. De commander un extrait de casier judiciaire. De remplir une déclaration d’impôt. Tout ça sur Internet. ». Si nous avions débattu de l’e-ID en 1995 plutôt qu’en 2021, on nous l’aurait vendue ainsi.

C’est toute l’ironie de ce projet avec ses vingt ans de retard. Personne n’a attendu Berne pour nous identifier en-ligne. Mon passeport sur internet, c’est ma carte bancaire ou mon numéro de portable. On s’est débrouillé sans l’Etat et ça fonctionne très bien.

Comme la grêle après la vendange, la Confederation veut maintenant une carte d’identité numérique. Pourquoi pas. Un système moins bricolé. Au final, un modèle assez intelligent.

Une fois n’est pas coutume, le Parlement a eu la sagesse de laisser la technique aux techniciens. L’administration encadre le système, c’est tout. Il faut dire que lorsque l’Etat se prend pour Microsoft, ça donne des trucs comme le Minitel, SwissCovidApp ou les multiples projets informatiques de la Confédération qui finissent chacun par jouir d’une commission d’enquête parlementaire pour expliquer pouquoi 1) ça n’a pas marché et 2) ça a coûté dix fois plus cher que prévu.

Les référendaires ne sont pas de cet avis. Ils répètent avec la foi du charbonnier cette formule qui donne l’illusion d’intelligence : l’Etat se défausse d’une tâche « régalienne » ! Mais d’où tirent-ils cette idée absurde que la mise à disposition des moyens d’identification serait une mission par essence et exclusivement publique ? Ma carte de visite n’est pas publique. On m’identifie avec mille et un objets. Même mon abonnement de ski permet de savoir qui je suis. Depuis vingt ans on s’identifie en-ligne sans « e-ID » d’Etat. Et personne ne s’en émeut. Il n’y a aucune prérogative publique en la matière.

Contrairement à la carte d’identité qui reste un document désespérément peu high-tech, le passeport numérique sera en permanence connecté à son émetteur. Chaque fois que je dégainerai mon e-ID, son fournisseur en sera informé. Il saura quand et auprès de qui je me serai identifié. Informations sensibles à notre étrange époque où l’Etat assigne à résidence des citoyens innocents, où l’on traque vos allées et venues à l’étranger pour vous planter un q-tips au fond du nez et où un ministère du Plan définit les biens somptuaires dont vous devez patriotiquement vous passer. En matière de données personnelles, je ferai toujours plus confiance à un privé, fut-il une Gafam, qu’aux procureurs de la Confédération.

Bref, si l’on veut un e-ID, acceptons ce projet. Mais aucun autre.