Soins infirmiers : le cœur et la tête

80% de oui. C’est avec un score canon que la campagne « pour des soins infirmiers forts » démarre. Comment s’opposer à ce texte si sympathique alors que de nombreux infirmiers ont apporté une contribution vitale pour maintenir le système de santé à flot durant la pandémie de Covid ?

A priori, le Conseil fédéral, le Parlement, les organisations professionnelles et les cantons sont devenus fous. Le cœur le dit clairement, il faut accepter l’initiative sur les soins. Beaucoup d’élus coutumiers des bons sentiments le répètent : ils soutiennent l’initiative, leurs adversaires n’étant que d’horribles monstres froids, insensibles à la situation précaire des hôpitaux.

Naturellement, la réalité est plus complexe. Le parlement a pris ses responsabilités avec un contre-projet. Deux ans de travail. J’ai œuvré comme rapporteur de la commission, et je peux vous promettre que l’engagement fut intense. En refusant l’initiative populaire, vous acceptez le contre-projet et débloquez immédiatement 1 milliard de francs pour la formation des infirmiers. Vous leur permettez aussi de prescrire à charge de l’AOS. Deux demandes centrales des initiants.

Si vous acceptez l’initiative, le contre-projet sera purement et simplement jeté à la poubelle. Et le processus parlementaire reprendra à zéro. Il faudra attendre au mieux trois ans pour qu’une nouvelle loi soit réalisée, sans garantie de résultat et sans aucun effet concret dans l’intervalle.

Mais les initiants demandent plus. Ils veulent une augmentation de salaire. La paix du travail se caractérise par les compétences laissées aux partenaires sociaux. C’est le contrat individuel de travail et les conventions collectives qui fixent les salaires et les conditions de travail, pas la Confédération. La Berne fédérale ne planifie pas la santé et n’emploie pas d’infirmiers. Ainsi, ce n’est pas à elle de décider du salaire ou des conditions de travail applicables dans un environnement aussi hétéroclite que celui des cliniques, des hôpitaux publics, des EMS ou des cabinets médicaux.

Jusqu’ici, les Suisses ont toujours refusé ces interventions étatiques dans les affaires contractuelles privées. Le salaire minimum a été refusé par 74% des citoyens en 2014. Mais l’initiative sur les soins revient à cette idée conspuée d’importer en Suisse le système que l’on connaît par exemple en France, où l’Etat fixe unilatéralement les conditions d’embauche. Or, ce n’est ni nécessaire, ni souhaitable. Nos salaire élevés – y-compris dans le secteur de la santé – et notre faible taux de chômage s’expliquent aussi par un modèle social que nous devons protéger. Et si nous l’octroyons aujourd’hui aux infirmiers, pourquoi le refuserons-nous demain à d’autres professions qui estimeront aussi, à tort ou à raison, ne pas bénéficier d’une considération suffisante ? Et les branches sont légion.

Outre les augmentations de salaires, l’initiative veut aussi plus de personnel soignant. Que la LAMal rembourse davantage de prestations et serve à réduire les horaires de travail. Chacune de ces nouveautés aura un coût considérable, multiplié par les 60’000 professionnels concernés. Ainsi, ces milliards de francs de plus à charge du système de santé vous sera facturé, avec vos primes d’assurance-maladie. Sans le courage de modérer les revendications illimitées des milieux de la santé, nous devrons assumer des augmentations continues de primes, et probablement que le seuil psychologique des 1’000 fr. par mois sera atteint d’ici la fin de la décennie.

Si le cœur dit Oui à l’initiative sur les soins infirmiers, la tête dit Non et préfère le contre-projet, plus efficace, plus rapide, plus économe. Or, lorsqu’il est question de voter, c’est la raison qui doit l’emporter, les bons sentiments ne faisant jamais de bonne politique.

https://pflege-jetzt-staerken.ch/fr/

Publié le 26 octobre 2021 en allemand dans le Walliser Bote