Catégorie : Le Temps

  • Extinction Rebellion, ou l’art d’enfoncer les portes ouvertes

    Extinction Rebellion, ou l’art d’enfoncer les portes ouvertes

    Une cinquantaine de ses militants ont tenu une manifestation illicite devant le Palais fédéral, nécessitant le déploiement d’une colonne de policiers pour assurer le fonctionnement de la session. Tout cela pour trois revendications, dont l’institution d’un parlement démocratique.

    «Ce n’est que le début.» C’est avec ce message au ton un peu menaçant que le groupuscule Extinction Rebellion, XR pour les intimes, s’est réuni sur la place Fédérale, pendant la session. La veille, une petite note du bureau du National avait été adressée aux députés. Nous étions invités à rejoindre nos sièges en catimini. Par les annexes du parlement, histoire d’éviter la confrontation avec des manifestants qui se réunissaient sans autorisation, pour déverser des litres de faux sang sur le parvis du Palais.

    Ce genre de démonstration de force n’est pas du goût des élus. Deux cent quarante-six élus du peuple face à une poignée de mécontents: le jeu démocratique et numérique voulait que les premiers l’emportent. Et nous l’avons emporté.

    Un militant de XR a néanmoins eu l’occasion de me tendre un papillon alors que je traversais le cordon de police. Ils y revendiquaient la mise en place «d’assemblées citoyennes locales et nationales pour assurer une transition juste et démocratique». Quelle idée de génie.

    On pourrait réunir dans une ville suisse, à Berne par exemple, des représentants choisis par les citoyens pour débattre et décider des sujets d’avenir du pays. On renouvellerait leur mandat régulièrement. Pour ensuite tenter de les empêcher de travailler en tenant des manifestations illégales. A ce niveau-là, on enfonce des écluses ouvertes.

    Réclamer ce qui existe déjà…

    A coups de pancartes, de flyers et de chants, on réclame ce qui existe. Il est consternant de voir tant de citoyens ignorer tout ce qui se fait déjà. Aussi pour le climat. Des milliards de subventions pour isoler les bâtiments? Ça se fait. Des dizaines de milliards pour les transports publics? On les a appelés Rail 2000, FAIF, PRODES et NLFA. On peut encore citer pêle-mêle la RPC, la réduction des produits phytosanitaires, les paiements directs pour l’écologie dans l’agriculture. Les taxes poubelles, CO2et sur tous les produits chimiques possibles et imaginables. Tout cela existe déjà. Et produit des effets: un Suisse moyen émet 4,3 tonnes de CO2 en 2018 contre 6,8 en 1970.

    Certes, ce n’est pas assez. Certes, on doit en faire davantage. On en fera davantage. Mais je doute que verser des litres de faux sang sur la place Fédérale, fût-il issu de l’agriculture biologique, ne résolve efficacement le problème.

  • Sorry for the tongue

    Sorry for the tongue

    Une fois le Brexit consommé, l’anglais ne sera plus une langue officielle de l’Union européenne. Pourtant, on juge encore le sérieux d’un dirigeant à sa capacité à s’exprimer en anglais, même si la réciproque ne compte pas. Et si l’on se montrait plus conciliant, en saluant l’effort plutôt que la performance?

    «Sorry for the time.» Nicolas Sarkozy s’excusait ainsi de la pluie parisienne en accueillant Hillary Clinton lors de l’hiver 2010. Entre l’anglais et les élus, l’ambiance n’est pas toujours au beau fixe. On se rappelle aussi du «yes» qui needait le «no» to win against le «no». Jean-Pierre Raffarin dans toute la splendeur de la campagne pour la Constitution européenne.

    Nous qui parlons tous forcément un anglais parfait, on se gausse des politiciens qui dérapent dans la langue de leur homologue. Qui se ridiculisent, paraît-il. Et quand Ueli Maurer patine devant une journaliste de CNN, on a l’impression de se prendre la honte nationale. Internationale, même.

    Pourtant, l’hégémonie anglophone agace. En tout cas en ce qui me concerne. Croiser un de ces expats établis en Suisse depuis dix ans et incapable de baragouiner trois mots en français me casse les pieds. On dirait que les grands programmes pour les étrangers ne s’appliquent qu’aux arabophones et albanophones. Parlez turc à Renens, vous serez mal intégré. Exprimez-vous en anglais à Rolle, c’est Rolle qui ne vous aura pas compris.

    Une Suisse simple et sincère

    Sans être un grand partisan d’Ueli Maurer, je l’ai trouvé plutôt sympathique dans sa tentative ratée de donner une interview dans la langue de Walt Disney. L’accent n’y était pas. Le vocabulaire non plus. Mais l’intention, oui. Il a donné l’image d’une Suisse simple et sincère. Un peu comme Ogi avec son sapin ou Schneider-Ammann et sa journée des malades. Et le monde s’en remettra.

    N’envoyons pas trop vite à l’échafaud ceux qui commettent des fautes dans une langue étrangère, parfois même nationale. A Berne, on se prétend tous bilingues. On fait semblant de comprendre les Haut-Valaisans quand ils se parlent entre eux. La grande fiction d’un parlement de polyglottes. Mais c’est l’effort que chacun réalise qui compte. Cette volonté de comprendre l’autre illustre à elle seule tout ce qui manque trop souvent en politique.

    C’est peut-être pour cela que l’on n’entendra jamais Donald Trump se prendre les pieds dans le tapis lors d’une interview en français ou en allemand. L’arrogance linguistique, prémisse de toutes les autres. Comme le disent les Anglo-Saxons, ne nous moquons pas trop de ceux qui bafouillent en «broken english». Eux, au moins, parlent une autre langue.

  • Mordre le média qui me publie

    Mordre le média qui me publie

    Pendant le Forum des 100, les Chambres tenaient session. Le Temps publiait une édition spéciale intitulée «Terre brûlée», que j’ai dévorée. Ce quotidien a réussi à montrer comme personne les contradictions de notre société. Entre l’idéal que nous visons et les vices auxquels nous succombons.

    Les articles… et la pub

    On pouvait y lire de vibrants plaidoyers pour taxer les avions. En face, Ethiopian Airlines se payait une ostensible annonce nous invitant à découvrir l’Afrique au départ de Genève. Un peu plus loin, on pointait du doigt les technologies jugées inutiles. On critiquait la multiplication des gadgets de plastique et de silicium. On menait la charge contre la 5G, icône s’il en faut des dérives modernes…

    … et Swisscom vantait à son tour ses produits dans une pleine page de pub. L’aménagement du territoire en prenait aussi pour son grade. Lutter contre le climat, c’est réduire notre impact sur le sol… Pourtant, la BCV proposait en page 38 des crédits à 0% pour l’acquisition de votre futur logement. J’achevais ma lecture par la réclame de Fust qui vendait un robot-aspirateur électrique pour 199 fr. 90. Quatre lignes plus haut, un jeune Neuchâtelois appelait à la décroissance immédiate.

    Moins de tout

    La liste des efforts nécessaires est longue. Presque infinie, dans un monde fini. Et quand on doit les mettre en œuvre, on comprend que nos petites actions positives ne pèsent pas très lourd au regard de nos mauvaises habitudes et de nos besoins du quotidien. Alors on se dit que c’est la faute d’en haut. Que les gouvernements doivent agir. Les «collapsologues» disent qu’il faut décroître. Et pour y arriver, il doit bien y avoir quelqu’un dans un bureau, là-bas à Berne ou à New York, pour décréter que les humains vivront désormais mieux avec moins. Moins d’argent. Moins de santé. Moins de logements. Moins de voyages.

    Avec son édition spéciale, Le Temps a fait un travail d’accusateur public. Nommer les vices de notre société et expliquer le besoin d’améliorer notre modèle. De leur côté, les publicités ont rappelé crûment quelles étaient les mains que nous aimerions tant avoir le courage de mordre.

  • Frankenstein, Terminator et la 5G

    Frankenstein, Terminator et la 5G

    La technophobie nourrit les fantasmes les plus irrationnels et les chefs-d’œuvre de science-fiction. Elle est aussi devenue le moteur de campagnes électorales malsaines. C’est pourtant l’ignorance qui doit être crainte.

    «Les premières recherches faites de manière indépendante sur les effets sanitaires des émetteurs de téléphonie mobile donnent des résultats effrayants.» C’était l’accroche d’un article publié en 1999 dans le Journal du regretté Franz Weber: Les Natels pollueur.

    On y apprenait qu’à Neuhausen, les ondes créaient des troubles de la vue et du cœur. A Zurich, les habitants dormaient dans des caves pour échapper aux radiations des téléphones. Les gens, pris de peur, fuyaient leur domicile. Les prix de l’immobilier s’effondraient. Comble de l’horreur, les opérateurs corrompaient les autorités pour multiplier les antennes et nous empoisonner tous. La téléphonie mobile allait aboutir à une mutation génétique généralisée.

    Je n’exagère rien. Ce sont les mots d’un résistant de la première heure à l’invasion numérique. Avec du recul, on sourit de cette fin du monde absurde. Le Natel D nous aura finalement épargnés.

    Des superstitions

    La technophobie n’est pas fille de la 5G. Elle ravage les esprits depuis l’époque industrielle. Au moins. Elle a donné naissance à quelques mythes. A Frankenstein, à Terminator. Aux romans de Philip K. Dick, comme dans Blade Runner, où l’humanité de 2019 devait combattre des androïdes tueurs. Avec nos smartphones, on n’est pas passé loin.

    Plus le savoir croît, plus les superstitions prolifèrent. Contre la robotisation. Contre le génie génétique. Contre les pesticides. Par le mouvement anti-vaccins, imperméable à toute pensée sérieuse. Prêt à laisser s’étendre des pandémies de rougeole et crever la population. Au diable l’intelligence humaine, Dieu reconnaîtra les siens.

    Panique réactionnaire

    La panique réactionnaire a maintenant saisi les députés. Les Don Quichotte cantonaux combattent la fleur au fusil les antennes-relais. Les prenant dans leur délire pour des monstres de métal magique. En année électorale, on défend un principe de précaution qui protège surtout de la raison, au profit de pseudosciences farfelues. Des voix mal acquises, sur le dos du progrès technique indispensable à l’amélioration de notre quotidien et de notre développement.

    Le rôle des élites est de raisonner. De prendre du recul. Pas de flatter l’ignorance et la peur. En violation crasse de leurs compétences, plusieurs élus imaginent bloquer le progrès. Au mieux, on rira d’eux comme des Natel tueurs. Au pire, comme avec les vaccins, ils nous tueront.


  • Radio-TV: des taxes comme s’il en pleuvait

    Radio-TV: des taxes comme s’il en pleuvait

    En 2015, le peuple acceptait une réforme de la redevance radio-TV qui alourdissait considérablement la charge des sociétés. On promettait une solution indolore, mais la réalité est tout autre.

    C’est avec une poignée de voix d’avance que la loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV) avait été adoptée en 2015. Ironie de l’affaire, ce sont les votes des Suisses de l’étranger, non soumis à la redevance, qui avaient fait basculer le résultat. On est toujours prompt à accepter les impôts quand ils sont acquittés par d’autres.

    A l’époque, comme à mon habitude du côté des méchants, je combattais la loi. Arguant son iniquité à l’égard des entreprises qui se voient depuis imposées sur leur chiffre d’affaires. Soi-disant pour réduire la redevance à charge des citoyens. L’absurdité du raisonnement illustrait déjà l’incompétence économique de l’administration. Les entreprises ne consomment pas de médias. Aucune. Il n’y a que des gens faits de chair et d’os qui regardent la télévision et écoutent la radio. Et lorsqu’on fait payer les entreprises, c’est forcément une personne physique qui paie au bout de la chaîne. L’actionnaire, le client ou le salarié, peu importe. Ce contribuable qui s’est déjà docilement acquitté de son obole à titre privé.

    L’avidité du percepteur

    Procédé classique. Au lieu d’alléger l’impôt, on le cache. On le dilue. Dans les comptes de pertes et profits des entreprises. Indirecte, invisible, la redevance devient un peu plus perfide. Mais toujours plus chère, même si elle est dissimulée dans le ticket de caisse.

    Ce n’était pas encore assez pour l’avidité insatiable du percepteur, jamais en manque d’idées pour saigner à blanc les entreprises qui, ne l’oublions pas, ne votent pas. Non contente d’imposer la double peine en taxant injustement le chiffre d’affaires, voilà que l’Administration fédérale des contributions, successeur de l’infâme Billag en la matière, s’est mise à taxer les consortiums. Et introduire par la même occasion la triple peine.

    Le consortium est un contrat. Une alliance de sociétés soumises elles-mêmes à la redevance. La richesse est prélevée une première fois dans la poche du citoyen. Une seconde dans les comptes de son employeur. Et une troisième fois au titre des accords conclus avec des tiers.

    La Suisse est régulièrement placée en tête des classements des pays les plus innovants. On devrait inventer un classement des fiscs les plus inventifs. Sûr qu’on marquerait là aussi des points.

  • Données, c’est données, reprendre, c’est voler

    Données, c’est données, reprendre, c’est voler

    Fathi Derder quittera le parlement cet automne. Il va me manquer. Et j’espère qu’il ne partira pas fâché. J’ai combattu et coulé une initiative qu’il avait déposée. Pour inscrire dans la Constitution la propriété de nos propres données. C’était en 2017. Il me parle encore. Il m’en parle encore.

    C’est un aveu. Si je suis parfois sceptique quant aux règles de protection des données, je ne crois pas que leur propriété nous revienne après les avoir livrées. J’y suis même opposé. A l’ère des cookies, je ne me sens pas détenteur des informations que vous avez reçues à mon sujet. Ce que je vous ai transmis, mes goûts, mes opinions, ne m’appartiennent pas. Ou plus. Avant l’époque barbare de la numérisation, cette question n’intéressait pas grand monde. Et la réponse était évidente. On n’est pas le propriétaire de ses données. Comme on perd la propriété de tout ce que l’on abandonne à des tiers.

    Le big data n’y change rien

    Je n’ai pas de droit de regard sur ce que ma voisine sait et pense de moi. Sur ce qu’elle enregistre à mon sujet. Les commerçants que je fréquente me connaissent: ils savent ce qui me plaît, mes habitudes. Il ne me viendrait pas à l’esprit de leur réclamer des comptes. De me rendre ce que je leur ai dit. Ou ce qu’ils ont pu constater par eux-mêmes. Et le big data n’y change rien.

    En réalité, la protection des données a toujours été l’exception. Pas la règle. Le secret professionnel se réduit à quelques métiers sensibles. Les avocats, les médecins, les curés. Les banquiers. Des personnes à qui l’on se confie nécessairement au-delà du raisonnable. Et dont on attend une vraie discrétion. Après, si vous déballez votre vie à Noël, au bar d’à côté ou sur internet, au vu et au su de tous, ne réclamez pas encore des chartes de confidentialité. Et encore moins un article constitutionnel.

    De l’e-nombrilisme?

    La propriété de ses données, c’est un peu l’e-nombrilisme ultime. Se croire détenteur de droits sur la connaissance, le savoir, en main des autres. Dans leurs têtes. Dans leurs disques durs. Ma position est sans doute iconoclaste. Et le délicieux Fathi Derder me pardonnera peut-être. Mais on le répétait assez à l’école: données, c’est données, reprendre, c’est voler.

  • A Berne, à l’heure de la moustache de Plekszy-Gladz

    A Berne, à l’heure de la moustache de Plekszy-Gladz

    Les visites officielles étrangères sont l’occasion de cirques parlementaires amusants, inutiles mais récréatifs. La délégation hongroise en a fait les frais lorsqu’une petite partie du parlement a déserté ses rangs et qu’une autre applaudissait à tout rompre.

    A Berne, l’exotisme vient à nous. Entre deux Berner Teller et les discours d’Ueli Maurer, nous recevons régulièrement des délégations du monde entier. Seize l’année passée, dont le Burkina Faso, l’Arménie ou la Biélorussie. Selon un protocole bien huilé, les officiels s’installent quelques minutes à la tribune d’honneur, la présidente leur adresse un petit mot sur l’amitié historique qui unit nos pays, on se lève, on applaudit.

    Fondateur du Fidesz

    La semaine passée, nous avons ainsi vécu à l’heure hongroise. D’un côté, nous accordions un milliard pour les pays de l’Europe de l’Est , parmi lesquels la Hongrie. De l’autre, nous recevions le premier citoyen magyar, László Kövér, en visite officielle et remarquée. L’homme a fondé le Fidesz, ce parti ultraconservateur, anti-immigration et populiste. Celui qui vient de se faire expulser manu militari du Parti populaire européen. Mais ce qui en imposait le plus, c’était encore la moustache du président, tout droit sortie du Sceptre d’Ottokar.

    Quand on marche sur des œufs

    La visite ne s’est pas déroulée sans tumulte. Lors d’un dîner officiel, j’ai pu admirer toute la subtilité de notre diplomatie. Quand vous avez à votre table le représentant de l’une des démocraties les plus critiquées du continent, vous marchez sur des œufs. Alors on met les formes pour exposer nos visions du respect des réfugiés de guerre ou de l’intégration. Surtout à un membre du parti qui prône l’installation de barbelés pour accueillir les migrants syriens. Surtout au représentant d’un pays dont 200 000 ressortissants avaient trouvé l’asile, notamment en Suisse, en 1956. Quand les communistes faisaient ce qu’ils savent le mieux faire, écraser les individus.

    Tout s’est achevé par un cérémonial haut en couleur. Au National, au moment de saluer notre hôte. A gauche, les «Maduro Boys», échaudés par le visiteur, ont pratiqué la politique de la chaise vide pour marquer leur colère contre celui à qui ils avaient versé, la veille, beaucoup d’argent. A droite, les aficionados d’Orban applaudissaient le «messie», lui offrant même un groupe d’amitié parlementaire. Et faisaient mine d’oublier qu’ils avaient refusé de sortir le crapaud pour leur grand copain le jour d’avant. La voie de la sagesse se situe certainement entre les deux.

  • On vous aura prévenu: l’alcool alcoolise, le sucre sucre

    On vous aura prévenu: l’alcool alcoolise, le sucre sucre

    De plus en plus de combats politiques se limitent à la prévention. Ces mesures, infantilisantes, n’ont toutefois pas toujours les effets positifs que l’on pourrait espérer. Sauf, évidemment, sur la conscience.

    On rigolait des Américains et de leur «caution hot» inscrit sur les gobelets de café. Il y avait aussi ce camping-car vendu avec un manuel qui vous conseillait de ne pas quitter le volant pendant le trajet. Ces cas absurdes offraient des petites anecdotes amusantes pour les professeurs de droit. Et à force de moqueries, comme trop souvent, on a pris les mêmes mauvais plis. Chez nous aussi, on se sent obligé de prévenir le citoyen de tout et n’importe quoi. La prévention, mot magique et galvaudé, recyclé à toutes les sauces des programmes électoraux un peu creux.

    «Le petit crédit endette»

    C’est peut-être le signe que tout va bien. Ou que les élus manquent d’idées. Les nouveaux grands combats politiques consistent ainsi à accrocher des petits avertissements un peu partout. Pour vous rappeler que manger 5 kilos de chocolat par jour n’est pas judicieux. Qu’il faut bouger pour sa santé. Que le petit crédit endette. Les avertissements les plus pénibles sont en ligne. Avec la psychose collective de la protection des données, on a rendu le web illisible. Oui, j’accepte vos cookies. Collectez mes données sans gêne. Servez-vous. Et tenez-le-vous pour dit une fois pour toutes. S’il vous plaît.

    Et le tour est joué…

    Les preux chevaliers du petit panneau d’avertissement ne sont pas près de s’arrêter. Aujourd’hui, ce sont les écologistes qui aimeraient indiquer sur les publicités des compagnies low cost que l’avion pollue. Arrêtez tout. Ils ont trouvé la solution. «Prendre l’avion est mauvais pour le climat.» Ecrivez-le en gros caractères, comme «Fumer tue». Et le tour est joué. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt? Une banalité sur les affiches et le climat sera sauvé. Et si ce n’est pas suffisant, on pourra toujours augmenter la taille du caractère.

    On enfonce des portes ouvertes

    A l’être insensible, ou «insensibilisable», que je suis, ces portes ouvertes enfoncées donnent la désagréable impression d’être pris pour une dinde. Personne n’a besoin d’une administration pour savoir que l’alcool alcoolise, que l’exercice exerce et que le sucre sucre. Cette conception infantilisante du citoyen dénote un certain mépris de l’intelligence humaine. Et permet aussi de soulager la conscience de ceux qui portent ces mesures: quand on brasse beaucoup d’air, reste au moins le sentiment d’avoir agi.

  • La politique, cette grande école de l’échec

    La politique, cette grande école de l’échec

    Ce n’est ni sombre ni pessimiste, mais c’est une fois sur dix seulement qu’une initiative rencontre le succès. Et les projets parlementaires ne sont pas en reste. Il vaut mieux accepter la situation. Cela ne rend les victoires que plus savoureuses.

    La politique suisse, c’est la grande école de l’échec. Etre élu au parlement, c’est prendre l’habitude de voir vos idées fantastiques ne susciter qu’un haussement d’épaules malpoli de vos collègues. C’est se désespérer du nombre de points rouges sur le tableau électronique du Conseil national au moment du vote. Ce sont ces grands moments de solitude, en commission. Quand vous constatez avec dépit que même «les vôtres» se sont laissé enfumer par l’administration. L’administration, toujours là quand il faut casser l’enthousiasme d’un député prolifique.

    Un proverbe des Shadoks disait que «ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir… Autrement dit… Plus ça rate et plus on a de chances que ça marche.» J’éprouve une profonde sympathie pour mes collègues des extrêmes politiques qui perdent à répétition. Eux qui, inlassablement, reviennent semaine après semaine avec de nouvelles propositions sans jamais réunir de majorité.

     

     

    Comble de l’injustice, non seulement perdre fait mal, mais on vous le reproche. Il n’y a rien de pire que les mauvais perdants. Un ancien conseiller fédéral de Martigny m’avait donné ce bon tuyau: toujours rédiger à l’avance le discours de la défaite. Le garder dans la poche, au cas où. Perdre est un art. Et comme l’art est difficile, mieux vaut s’y préparer.

    Pour se consoler, on se dit que c’est encore devant le peuple que l’on perd le plus. Nous, députés, échouons en cachette. Les initiatives, elles, se paient des enterrements de première classe. C’est devenu un principe: les initiatives sont refusées. Les succès ne sont que des accidents de parcours.

    Des citoyens réfractaires

    On trouve des citoyens réfractaires. Toujours plus nombreux. Qui recourent contre les votations. Qui espèrent que, non, tout ne s’est pas terminé dimanche. Que la belle utopie continuera devant les tribunaux. Contre les fusions de communes, Moutier dans le Jura, pour les cornes des vaches ou les salles de concert. Ils tendent la joue gauche. Et avec la régularité d’un métronome, les juges leur font connaître l’échec à leur tour.

    Mais ne désespérez pas, acceptez même la défaite. C’est la multiplication des échecs qui donne toute sa saveur aux victoires. Et celles-ci sont le meilleur carburant de notre engagement.

  • Climat: paniquer moins, réfléchir davantage

    Climat: paniquer moins, réfléchir davantage

    Une semaine après les manifestations pour le climat, la population a rejeté sèchement le texte qui demandait de bloquer les zones à bâtir. En matière de climat, le peuple suisse est prêt à prendre des mesures. Mais pas n’importe lesquelles.

    Par dizaines de milliers, à quelques dizaines de milliers près, ce fut, selon les sources, la Klimatwelle. Je n’y étais pas, peu friand de ces démonstrations de force, mais il est difficile d’y rester indifférent. La lutte contre le réchauffement préoccupe, on peut le comprendre.

    La radio le répète tous les matins: il faut s’attendre à un tsunami vert en octobre, lors des élections fédérales. A voir. En refusant de geler toute la zone à bâtir, l’électeur de dimanche a un peu tempéré les ardeurs des plus enragés.

    Agir, oui. Pas n’importe comment. Pas à n’importe quel prix. Et pour commencer, il faut détricoter les vieilles ficelles du populisme écologiste. L’esprit culpabilisateur et catastrophiste. Celui d’une jeune ferrovipathe suédoise qui nous ordonne de paniquer plutôt que de réfléchir.

    La Suisse, pas un cancre

    La Suisse n’est pas un cancre du climat. Depuis 1990, la production industrielle a crû de plus de 60%, la population d’un bon quart, les véhicules de moitié. En même temps, la production de gaz à effet de serre a été réduite de plus de 10%. C’est un succès indéniable.

    Les plus extrémistes exigent maintenant l’impossible. Fermer les usines et les aéroports. Envoyer les voitures à la casse. Bannir autant la viande que les chauffages à mazout. Du jour au lendemain, la Suisse sera propre et retrouvera la qualité de vie du XIXe siècle. Est-ce que le climat s’améliorera? Un peu. A peine. Un Helvète émet en moyenne deux fois moins de CO2 qu’un Allemand. Quatre fois moins qu’un Américain. La fin du carbone en Suisse ralentira le réchauffement climatique de 8 heures 45. Au prix de sacrifices humains énormes, on ne limitera même pas les émissions de carbone d’une demi-journée par année.

    Hors de notre seule portée

    En face, d’autres se contentent de projets symboliques. A coups de trains de nuit, de résolutions non contraignantes et de petits règlements sur les déchets. Bon pour la conscience, quasiment inutile pour l’environnement. Passez-moi l’expression, mais autant pisser dans un violon. Les mesures les plus efficaces sont hors de notre seule portée tant elles dépendent du bon vouloir des plus grands. Ou d’une violence telle qu’elles en deviennent absurdes.

    Nous avons besoin d’une action raisonnable et réaliste. Qui aboutisse à des solutions. Demander au parlement fédéral de régler le problème climatique, c’est un peu comme attendre de lui la paix dans le monde. Il doit y contribuer, mais il ne peut porter seul ce fardeau.