Goliath contre Goliath

Facebook a cédé face à l’Australie qui voulait redistribuer ses revenus, mais pas sur l’essentiel : il n’y aura pas de taxe au lien. Heureusement. Rien ne légitimait l’Etat à intervenir dans un match qui oppose deux groupes multinationaux et multimilliardaires.

L’Australie aura finalement obtenu quelque chose de Facebook. Les rédactions et la gauche européenne sont soulagées. Facebook n’imposera pas sa loi et versera son obole aux groupes de médias. Goliath a lâché du lest, David peut danser.

Pour ceux qui ont manqué le début, Canberra s’est mise en tête de redistribuer une partie des revenus des réseaux sociaux en faveur de la presse traditionnelle vers laquelle les utilisateurs étaient renvoyés. Facebook, devenue trop forte, aspirerait la pub des médias traditionnels. Il serait alors indispensable de redistribuer le gâteau.

Derrière cette mesure, on trouve Rupert Murdoch, le milliardaire propriétaire de News Corp qui possède notamment Fox News. Pas vraiment la tasse de thé du socialisme. Pas vraiment la petite PME local. Goliath qui cherche se fait passer pour David dans une affaire de gros sous.

Facebook s’est légitimement opposé à cette mesure. Dans le fond, on lui reproche d’utiliser ce qui est constitutif du Web : les URL, les liens hypertextes. Personne n’avait jusqu’ici revendiqué sérieusement d’être rémunéré pour cela. La société californienne a relevé que son réseau ne faisait que renvoyer les gens vers les sites des médias ordinaires. Que c’étaient ces médias qui publiaient eux-mêmes leurs contenus sur Facebook, plaçant même des boutons « partager sur Facebook » au bas de leurs articles. A chaque média de monétiser ensuite l’afflux de clientèle. Comme un kiosque affiche des manchettes, comme la radio fait sa revue de presse.

Honnie de tous, Facebook a pris les éditeurs au mot. Et a bloqué tous les liens vers les journaux. Pas de lien, pas de chocolat. Ce fut un tollé. L’emoi le plus total. Une société privée, un réseau social indépendant, décide, quand on veut taxer un contenu, de renoncer à ce contenu.

Incapable de proposer une alternative pour toucher son public, on a pu voir jusque sous nos latitudes les médias s’indigner de cette résistance légitime d’une société privée. A tel point que de nombreux grands démocrates ont demandé un contrôle public des contenus sur Internet. Voire même la nationalisation des réseaux sociaux. Sans rire.

Que Facebook, un Gafam honni, devienne un combattant de la liberté et d’un Internet ouvert, c’est assez cocasse. Ce qui l’est un peu moins, c’est de voir le niveau de délabrement atteint par les groupes de presse, même les plus gros. Cette industrie qui a connu son âge d’or il y a quelques décennies, qui refusait des annonceurs, qui n’a jamais eu l’idée de partager son propre chiffre d’affaire, quémande aujourd’hui l’intervention de l’État-maman pour racketter les revenus bien acquis de ses concurrents. Après le cinéma et la musique, on ne compte plus ces anciens mastodontes du capitalisme qui ne voient leur salut que dans l’interventionnisme plutôt que dans l’innovation et l’écoute de son public. Et ce qui est vraiment inquiétant, c’est cette faculté des Goliath à toujours trouver une oreille politique attentive.