La Suisse s'ennuie

Je veux aussi participer à l’hystérie face à l’explosion de la délinquance juvénile. Ces derniers jours, on a rien trouvé de mieux à faire que de taper de toutes nos forces sur les jeunes ; vous savez, ceux qui laissent les pieds sur les sièges dans le train et qui écoutent de la musique trop fort à l’arrêt de bus.
A en croire les médias on assiste à une hausse sans précédente de la violence, un peu comme dans les banlieues françaises. Certains proposent un couvre-feux, d’autres un uniforme obligatoire, des caméras de sécurité partout… On entend que la tolérance zéro sera appliquée à l’encontre des taggeurs.

Récapitulons. Nous sommes en 2007. On se plaint de la fumette, des tags, des bagarres, des incivilités. On a inventé tout ça depuis l’an 2000 ? Souvenez-vous comme c’était mieux avec les punks, les hippies, les junkies, les soixante-huitards, les skinheads…

Oui, il y a des jeunes délinquants. Rappelez-vous seulement les discours que vos parents tenaient sur ces punks et ces hippies. Nous n’inventons rien. J’ai cependant un peu de peine à admettre que l’on assouvisse notre désir d’ordre par des mesures qui s’appliquent uniformément à tous les jeunes, délinquants ou non. Pour quelle raison devrait-on suppléer aux parents en imposant un couvre-feux à 22 heures pour tous les enfants de moins de 16 ans ? En dehors d’une hypothétique lutte contre le mauvais goût, qu’est-ce qui justifie l’imposition d’un uniforme dans les collèges ? Je suis sans doute un criminel aux yeux de ces politiciens vertueux : j’avoue qu’avant 16 ans (peut-être même à 14 ans), j’étais sorti jusqu’à minuit pendant mes vacances d’été, j’avais bu de la bière et j’avais même fumé une cigarette. Mais que pouvait donc bien faire la police, s’il vous plaît ?

Si nous voulons vraiment rétablir un semblant de sécurité, nous pourrions revoir certaines peines à la hausse (comme fixer une peine plancher pour les meurtres), ou appliquer réellement le Code pénal pour ceux qui commettent des infractions ; mais ne punissons pas ceux qui n’en commettent pas. Il ne s’agit même pas de présomption d’innocence, mais de présomption de potentialité de délit.

D’où peut bien venir cette soudaine crainte de la criminalité ? Je n’ai pas l’impression qu’elle explose, pourtant je sors, je fais la fête, je fréquente même des jeunes… et pourtant. Je commence à croire que la Suisse s’ennuie. Il y a quelques jours, je regardais le défilé des voitures à Collombey. L’embouteillage s’étendait sur presque un kilomètre. Pour quelle raison ? Simplement parce qu’un distributeur allemand a acheté un hangar dans une zone industrielle pour y exposer des aliments en palettes. Aldi était l’événement du week-end. Alors forcément, je peux comprendre qu’on doive se raconter des histoires, s’imaginer avoir les mêmes problèmes que les Français et rêver qu’un Sarkozy viendra nous sauver. En France, on manifeste pour des questions salariales. Ici, pour soutenir une maison en paille. La Suisse va bien, mais qu’est-ce qu’elle s’ennuie !