Indonésie : des prétextes plutôt que des arguments

Pour un observateur étranger, l’opposition à l’accord de libre-échange avec l’Indonésie pourrait surprendre. L’accord conclu entre l’AELE et le pays asiatique n’avait jusqu’ici pas fait de vagues, considéré comme un coup d’avance de la petite union économique face à la toute-puissante UE qui peine encore à négocier le sien.

A courts d’arguments, les référendaires tentent de flinguer l’accord avec une profession de foi et deux prétextes fallacieux qu’il convient de décrypter, pour mieux comprendre l’enjeu.

Premier prétexte : l’huile de palme

Officiellement, c’est au nom de la lutte contre l’huile de palme que le référendum a été lancé. Or, il est vite apparu que l’argument ne pesait pas lourd. Seul 0,01% de l’huile de palme consommée en Suisse vient d’Indonésie. Cela représente 35 tonnes par année, un peu plié d’un container. Environ 30’000 francs. Un peu court pour bazarder tout un accord.

En pratique, l’huile de palme n’a pas besoin de l’accord pour être importée en Suisse. L’accord prévoit seulement une réduction partielle des taxes d’importation, de l’ordre d’une centaine de francs par tonne, soit une économie totale de… 3’000 francs. Et cette réduction ne sera accordée qu’aux produits certifiés, à savoir qu’à la stricte condition que l’importateur apporte la preuve d’une production conforme aux standards internationaux de durabilité.

Il ne faut d’ailleurs pas se tromper. A l’exception de quelques vidéos choc anti-huile de palme sans lien direct avec l’accord, les référendaires n’utilisent quasiment plus cet argument, devenu depuis, un premier prétexte.

Second prétexte : le tribunal arbitral

Depuis peu, on prétend que l’accord contiendrait une clause judiciaire insolite qui nous ferait perdre notre souveraineté. En résumé, en cas de litige entre les parties, à savoir des Etats, le différend serait confié à un tribunal arbitral. Les référendaires expliquent que cela conduit à la « privatisation de la justice », en faveur du grand capital, en violation de tous les principes fondamentaux du droit.

Comme avocat et docteur en droit, je ne peux que regretter l’absurdité de l’argument. Il relève soit une méconnaissance des mécanismes de règlement des différends entre Etats, soit d’une malhonnêteté intellectuelle crasse.

Si l’on recourt à des tribunaux arbitraux, c’est d’abord précisément pour ne pas soumettre les conflits entre deux Etats à la juridiction de l’un d’entre eux, forcément plus orientée dans son institution même. C’est d’ailleurs pour cela, pour garantir notre souveraineté, que la Suisse a négocié et obtenu d’arrache-pied que les éventuels conflits avec l’UE soient confiés à un tribunal arbitral, et non à la Cour européenne de justice.

Sans rougir, les référendaires clament qu’il aurait fallu confier les litiges aux tribunaux internationaux « ordinaires ». L’OMC fait appel à l’arbitrage. Sinon, il existe une Cour Internationale de Justice, à la Haye. Qui fonctionne selon le principe de… l’arbitrage. C’est dire si l’argument est à nouveau uniquement un prétexte.

La vraie raison, une profession de foi : la décroissance

Le vrai motif qui pousse les référendaires à rejeter l’accord avec l’Indonésie, c’est la volonté de réduire nos échanges internationaux. De refuser tout accord qui pourrait porter la croissance économique de notre pays.

Avec 270 millions d’habitants, l’Indonésie est le quatrième pays du monde en population. C’est une économie en pleine croissance, mais aussi considérablement fermée. C’est un marché formidable pour l’économie suisse qui vit pour un franc sur deux de ses relations internationales.

Ce franc sur deux que nous gagnons à l’étranger, il ne suffit pas d’un bon slogan sur une pancarte en carton pour le passer par pertes et profits. Cela signifie qu’en Suisse, un salaire sur deux, une retraite sur deux, dépendent de nos échanges commerciaux. Un lit d’hôpital, une place de crèche, une classe d’école sur deux dépendent de ces accords que nous concluons avec le reste du monde. Et, bien entendu, la moitié des milliards de francs que la Suisse pourra investir dans son formidable plan pour réduire ses émissions de CO2, dépend aussi de ces échanges internationaux.

Refuser l’accord avec l’Indonésie le 7 mars, ce n’est pas envoyer un signal aux producteurs d’huile de palme ou aux tribunaux arbitraux. Ni les premiers, ni les seconds n’ont cure de notre votation qui ne les concerne pas, ou si marginalement qu’ils n’en entendront même pas parler. Refuser cet accord, c’est renoncer durablement à la voie de la prospérité que nous connaissons en Suisse, tellement mise à mal en cette période de crise économique. Et cela, pour des objectifs idéologiques qui ont moins à voir avec la préservation de l’environnement qu’avec l’avènement d’un grand soir qui a fait rêver les foules du siècle passé. A tort.

A l’inverse, accepter cet accord, c’est donner notre aval à un texte minutieusement négocié, qui renforce nos échanges, donne des perspectives nouvelles à des milliers d’entreprises en Suisse, crée des emplois et garantit nos investissements à l’étranger. C’est aussi, et ce n’est pas à ignorer, un accord qui prévoit pour la première fois avec l’Indonésie, des exigences précises relatives au développement durable, à savoir les questions environnementales et sociales. Borneo ne sera pas Lucerne demain matin, mais ce genre d’accord y contribue certainement.

Le plan sanitaire du Conseil fédéral est-il trop prudent ?

« Je constate au quotidien que certaines mesures qui ont été adoptées pour lutter contre le Covid permettent de lutter plus contre les gens que contre la maladie. On voit des gens assis sur des terrasses à qui on interdit de se mettre sur des chaises, on voit des magasins qui ont dû fermer pendant des mois alors qu’on ne comprenait pas pourquoi il fallait le faire, on voit des listes de biens essentiels contre des biens qu’on estimait superflus, alors que tout le monde s’accorde à dire que ces règles étaient complètement absurdes. On est entré parfois dans une logique qui était bureaucratique, au moment où on voit le nombre de cas diminuer semaine après semaine. »

Retrouvez ci-dessous mon passage sur Forum face à Laurent Kurth, président de la conférence latine des directeurs de la santé et conseiller d’Etat neuchâtelois.

E-ID: le monde ne nous a pas attendus

« Avec l’identité numérique, il sera possible de réserver vos voyages. De vous faire livrer toutes sortes de produits. D’effectuer vos opérations bancaires et boursières. D’organiser une consultation médicale. De commander un extrait de casier judiciaire. De remplir une déclaration d’impôt. Tout ça sur Internet. ». Si nous avions débattu de l’e-ID en 1995 plutôt qu’en 2021, on nous l’aurait vendue ainsi.

C’est toute l’ironie de ce projet avec ses vingt ans de retard. Personne n’a attendu Berne pour nous identifier en-ligne. Mon passeport sur internet, c’est ma carte bancaire ou mon numéro de portable. On s’est débrouillé sans l’Etat et ça fonctionne très bien.

Comme la grêle après la vendange, la Confederation veut maintenant une carte d’identité numérique. Pourquoi pas. Un système moins bricolé. Au final, un modèle assez intelligent.

Une fois n’est pas coutume, le Parlement a eu la sagesse de laisser la technique aux techniciens. L’administration encadre le système, c’est tout. Il faut dire que lorsque l’Etat se prend pour Microsoft, ça donne des trucs comme le Minitel, SwissCovidApp ou les multiples projets informatiques de la Confédération qui finissent chacun par jouir d’une commission d’enquête parlementaire pour expliquer pouquoi 1) ça n’a pas marché et 2) ça a coûté dix fois plus cher que prévu.

Les référendaires ne sont pas de cet avis. Ils répètent avec la foi du charbonnier cette formule qui donne l’illusion d’intelligence : l’Etat se défausse d’une tâche « régalienne » ! Mais d’où tirent-ils cette idée absurde que la mise à disposition des moyens d’identification serait une mission par essence et exclusivement publique ? Ma carte de visite n’est pas publique. On m’identifie avec mille et un objets. Même mon abonnement de ski permet de savoir qui je suis. Depuis vingt ans on s’identifie en-ligne sans « e-ID » d’Etat. Et personne ne s’en émeut. Il n’y a aucune prérogative publique en la matière.

Contrairement à la carte d’identité qui reste un document désespérément peu high-tech, le passeport numérique sera en permanence connecté à son émetteur. Chaque fois que je dégainerai mon e-ID, son fournisseur en sera informé. Il saura quand et auprès de qui je me serai identifié. Informations sensibles à notre étrange époque où l’Etat assigne à résidence des citoyens innocents, où l’on traque vos allées et venues à l’étranger pour vous planter un q-tips au fond du nez et où un ministère du Plan définit les biens somptuaires dont vous devez patriotiquement vous passer. En matière de données personnelles, je ferai toujours plus confiance à un privé, fut-il une Gafam, qu’aux procureurs de la Confédération.

Bref, si l’on veut un e-ID, acceptons ce projet. Mais aucun autre.

Ignazio Cassis, le meilleur d’entre eux

Être élu, c’est accepter la critique. Elle est parfois légitime et chacun en mérite un peu sa part. Cela concerne aussi Cassis, mon conseiller fédéral préféré. Mais si on peut lui reprocher quelques maladresses ou manque de communication, les attaques dont il fait l’objet depuis quelques jours sont indignes et déplacées.

En ce début d’année 2021, en beau milieu de pandémie, la presse et en premier ligne le Temps, le dit tout net: un de nos sept conseillers fédéraux est à côté de ses pompes. N’a pas le niveau. Se plante dans son job.

La critique est dure. Une année à manquer de masques, de respirateurs, de vaccins. A être incapables de suivre correctement les cas, à tenir à jour des statistiques, à prendre des mesures cohérentes et compréhensibles. On pouvait attendre une salve contre le ministre de la santé, suite à ces errements qui nous coûtent des milliers de vies et de milliards de francs. Mais non. Le problème de la Suisse de 2021, il paraît que c’est Cassis.

Qu’à donc bien pu faire Ignazio Cassis pour que le Temps se paie presque quatre pages de témoignages aussi pleutres qu’anonymes contre lui ? En résumé, il est vilipendé par une brochette de diplomates mécontents de leur affectation. A la bonne heure ! Voilà qu’on juge un chef à sa capacité à obéir à ses subordonnés. Il paraît aussi qu’il ne convient pas aux ONG auxquelles il a eu le culot de demander de ne pas employer d’argent publique pour des campagnes électorales en Suisse. Ou a quelques organisations internationales que l’on finance, et face auxquelles le Tessinois se serait écarté d’une attitude de beni-oui-oui.

Ignazio Cassis doit rendre des comptes à l’assemblée fédérale. A personne d’autre. Il n’est pas l’élu des diplomates, des organisations internationales ou des ONG. Pas plus que Viola Amherd n’est l’élue de l’armées, Cassis n’a pas été choisi pour plaire au monde des ambassadeurs et ses férus de droit international. Il est là pour défendre les intérêts bien compris de la Suisse. Et ceux-ci, comme dans toute démocratie qui se respecte, correspondent aux aspirations de la majorité démocratique, pas aux rêves internationalistes de quelques uns.

Aussenpolitik ist Innenpolitik. La ligne du chef du DFAE exaspère à gauche, ce qui est plutôt attendu d’un élu de droite. Cassis prend le temps pour signer le pacte ONU sur les migrations ? Il ne fait que respecter la demande du parlement et analyser les conséquences d’un accord important pour une Suisse qui veut garder légitimement la main sur sa propre politique migratoire. Il se montre critique vis-à-vis de l’UNRWA ? Quoi de plus normal pour l’un des dix plus gros contributeurs d’une organisation d’aide aux réfugiés qui a été incapable de leur trouver un statut pérenne en 70 ans ?

Cassis n’est pas un diplomate. Il n’est pas l’ambassadeur qui nous gâte avec ses chocolats italiens trop sucrés. Cassis est un politicien, comme ses six autres collègues. Et c’est comme un politicien qu’il gère son département. En analysant les problèmes sous le prisme des enjeux qui concernent la Suisse, des intérêts internationaux de notre pays. Et même si cela peut parfois contrarier des plans de carrière ou contredire l’opinion de secrétaire généraux d’organisations internationales, Cassis fait ce pour quoi on l’a élu. Il gouverne.