Auteur/autrice : Philippe Nantermod

  • Le diable se cache dans le texte, jamais dans le titre

    Le diable se cache dans le texte, jamais dans le titre

    Publié dans le Temps, le 5 novembre 2018.
    Bien choisir le titre de sa chronique ou celui de son initiative populaire, c’est essentiel. Surtout à une époque où l’on se contente souvent des quelques caractères de l’étiquette, sans analyser les détails du texte. Où se cache pourtant le diable.
     
    Bien choisir son titre. C’est un peu le défi hebdomadaire des chroniqueurs du Temps. Pour attirer l’attention. Pour vous donner envie de lire. Pour durer.
     
    On dit que près de 60% des gens partagent des articles dont ils n’ont lu… que le titre. Autant dire qu’il vaut mieux se concentrer davantage sur les 50 caractères espace-compris de l’intitulé que sur ce texte que, la plupart d’entre vous, ne lirez même pas. J’en profite au passage pour saluer les téméraires qui n’ont pas encore tourné la page.
     
    Face à la concurrence de la titraille de la colonne d’à-côté, on trouve des parades pour attirer le chaland. Dans le jargon des réseaux sociaux, on parle vulgairement de « putes à clics ». Des mots forts pour susciter la curiosité. Ainsi, pour vous pousser à me lire, j’aurais dû choisir : « L’invraisemblable scandale des titres falsifiés ». Ou : « Un élu usurpe à nouveau un titre ! ».
     
    Le lecteur est ingrat. L’électeur aussi. Ce qui vaut pour mes chroniques vaut pour les initiatives populaires. Pour vendre une nouvelle taxe, on vous promet une « économie verte ». Pour faire passer des restrictions bureaucratiques, on parle de « fair food ». Pour toucher des subventions, on écrit « vaches à cornes ».
     
    Les titres des initiatives sont les grands oubliés des débats parlementaires. On n’y pense pas trop. Ils n’ont pas de portée juridique. Alors on passe dessus comme chat sur braise, jusqu’à la votation. Là, ils deviennent une ligne de publicité gratuite et bienvenue pour des articles constitutionnels compliqués et ennuyeux.
     
    Au hasard, prenez les « juges étrangers ». L’initiative ne parle pas de juge. Ni d’étrangers d’ailleurs. Vous pouvez fouiller, les deux termes n’apparaissent jamais dans le texte de l’initiative. Pas plus que cette prétendue « autodétermination ». En réalité, on n’y parle que de hiérarchie des normes, de droit international et de constitutionnalité. Rien de très folichon. Pas de quoi gagner une campagne de votation. Surtout quand on comprend que le but réel, c’est de forcer la Suisse à transgresser ses engagements, au gré de l’humeur du jour.
     
    Cette initiative aurait pu s’intituler « Pinocchio : pour que la Suisse ne tienne plus sa parole ». Les débats auraient été bien différents. Comme quoi, un bon titre, c’est le secret de la réussite.

  • Assurances sociales: pour la gauche, certains fraudeurs sont plus égaux que d’autres

    Assurances sociales: pour la gauche, certains fraudeurs sont plus égaux que d’autres

    Publié dans le Temps, le 22 octobre 2018
    D’ordinaire disposés à toutes les compromissions sur l’autel de la lutte contre la fraude fiscale, la gauche s’est désormais lancée dans un numéro d’équilibrisme qui consiste à faire croire que les mesures prises contre l’escroquerie aux assurances sociales seraient forcément disproportionnées et injuste. Deux poids, deux mesures. 
    « Les fraudeurs fiscaux n’ont pas besoin de protection ». C’était le titre d’un communiqué du parti socialiste. En 2015, les camarades s’enthousiasmaient pour l’échange automatique d’informations entre les banques et le fisc.
    La belle affaire. Permettre enfin aux percepteurs de lutter contre la fraude en dehors de toute décision. Les bonnes vieilles fishing expedition. Sans besoin du moindre soupçon. Accéder directement à votre compte en banque. C’était pour la bonne cause, on ne s’embarrassait pas des procédures.
    On ne les a pas beaucoup entendu prôner le respect de la présomption d’innocence lorsqu’ils ont voté des accords d’échange automatique de renseignement, par dizaines. Quand il fut décidé de livrer pieds et poings liés des listes de citoyens russes, turcs ou brésiliens à leurs sympathiques régimes.
    Je me souviens les avoir vus dérouler le tapis rouge pour le brigand Falciani. A l’époque où il faisait la tournée des trésors publics européens, mendiant la vente sous le manteau de ses cédéroms de données volées à des Etats aux abois, plus enclins à marcher sur leurs propres principes que de s’imposer une petite politique de rigueur budgétaire.
    Ah, ils étaient beaux ceux qui vous expliquaient le poing tendu qu’il n’y aurait pas de pitié pour les fraudeurs du fisc. Qu’on les ferait raquer jusqu’au dernier centime. On ne demandait pourtant pas la lune. Simplement une ou deux garanties de procédure. Des investigations individuelles, fondées sur quelque chose de concret. Mais pour le bien, l’impôt, rien n’était assez incisif.
    Et badaboum, voilà que l’on parle de fraude aux assurances sociales. Les mêmes qui vous bassinaient de leur morale fiscale sont devenus les jusqu’au-boutistes de la sphère privée. Affirmant que la lutte contre la fraude est, par essence, une violation des droits fondamentaux. Qu’un soupçon ne suffit pas à enquêter. Que même les procédures ciblées et limitées nous rappellent les « heures les plus sombres ». Que l’on ne peut quand même pas photographier des gens en pleine rue sans tomber dans l’autoritarisme.
    Big brother arrive ! On n’en peut plus des comparaisons avec 1984. Tricheurs de tous les pays, unissez-vous. Et puisque l’on en est à Georges Orwell, disons-le : tous les fraudeurs sont égaux. Mais certains le sont plus que d’autres.

  • Via Silentia

    Via Silentia

    Publié dans le Temps, le 8 octobre 2018.

    Il paraît que les Confédérés en ont marre du bruit. Reste à savoir duquel. Quand on en parle, on voit que les mesures mises en place par les autorités paraissent peu enclines à réduire les nuisances qui pourrissent la vie et les nuits des citoyens.
    La moitié des Suisses n’en  » peut plus  » du bruit. Selon un sondage et selon mon entourage aussi. Alors la Confédération agit : ces jours, une nouvelle ordonnance a été adoptée, contre le bruit et les rayons laser. On serre la vis. Mais, comme à l’accoutumée, pas la bonne.
    Comme en matière de libertés, le bruit des uns devrait s’arrêter là où commence celui des autres. Et pourtant, quand on agit sur la question, on s’attaque au volume que vous avez choisi pour vous même. Celui de la fête. De toutes les manifestations. Du Paléo festival comme du mariage de votre cousin. Et pas pour protéger le voisin de la fête, mais le fêtard lui-même.
    Une rave party ou un concert de Rammstein, c’est bruyant. Sans blagues ? Et le public s’y attend. Dans un monde utopique, on considérerait les spectateurs comme des adultes. Des gens conscients qu’il n’est pas recommandé de poser sa tête sur les baffles de la grande scène du Paléo. Qu’à passer la moitié de sa vie en boîte de nuit, on passe l’autre moitié sourd comme un pot. Sans besoin de rajouter une couche administrative ou de coller des étiquettes de prévention :  » la disco assourdit « .
    Non. Quand les Suisses disent qu’ils en ont marre du bruit, ils parlent de celui qu’ils n’ont pas demandé. Celui qu’ils subissent en silence. Et selon le sondage en question, c’est d’abord celui du trafic.
    Celui de la moto qui fait sauter les compteurs en pleine ville. En pleine nuit. Celui de ces maquilleurs de l’extrême qui profitent de l’installation d’un  » spoiler  » pour percer leur pot d’échappement. Quand ce n’est pas le constructeur qui s’y met. Audi propose un  » système de gestion de la sonorité moteur « . Un gadget qui vous permet  » d’offrir à la demande une expérience sonore modifiée au relief particulièrement sportif « . On s’en souviendra, merci du cadeau.
    Plutôt que de protéger les gens contre eux-mêmes, protégeons leurs libertés et leur sphère privée. Un vrai programme pour respecter la loi. Une  » via silentia « , pour reprendre la nomenclature fédérale. Prêter une oreille attentive à la majorité de la population dont les doléances sont couvertes par le bruit des moteurs.

  • Franchise de l'assurance-maladie: deux questions au Conseil fédéral

    Franchise de l'assurance-maladie: deux questions au Conseil fédéral

    Questions déposées le 27.09.2018 au Conseil fédéral.

    Hausse des franchises; quels effets ?
    Le Conseil fédéral peut-il estimer ou donner un ordre de grandeur des réductions des primes (en francs et en pour-cent) qui pourraient être obtenues dans le domaine de l’assurance obligatoire des soins si:
    – la franchise de base était élevée à CHF 500.- ;
    – la franchise de base était élevée à CHF 1’000.- ;
    – la franchise de base était élevée à CHF 1’500.- ;
    – une franchise de CHF 3’500.- était introduite ?
    Hausse des rabais de franchises; quels effets ?
    Le Conseil fédéral peut-il estimer ou donner un ordre de grandeur de l’évolution des primes (en francs et en pour-cent) dans le domaine de l’assurance obligatoire des soins qui serait engendré par une augmentation de la réduction de primes à 100%, respectivement à 120% (art. 95c OAMal) ?

  • Ouf, le foie gras est sauvé…

    Ouf, le foie gras est sauvé…

    Publié dans le Temps, le 24 septembre 2018

    Les initiatives agricoles auraient entrainé l’interdiction du foie gras en Suisse, c’est en tout cas l’avis du Conseil fédéral. Elles ont malgré tout provoqué un débat qui manquait cruellement de légèreté, porté par les ambitions hygiénistes de certains militants de la cause écologistes.
    La guerre du foie gras n’aura pas lieu. Dimanche, dans son habituelle sagesse, le peuple a rejeté deux initiatives populaires qui entendaient régir l’agriculture par des plans quinquennaux et un nouveau catalogue de barrières douanières. Les derniers temps de campagne auront été égayés par une énième polémique sur le foie gras.
    Il y a quelques jours, j’ai commis un petit tweet. En mode troll : si l’initiative dite  » fair food  » interdisait l’importation du poulet en batterie, le foie gras suivrait le même sort, oh misère. Le  » team premier degré  » a sauté sur l’occasion, trop belle pour la tribu de SJW (social justice warrior, les combattant de la justice sociale) qui peuple Twitter. J’ai été submergé d’une avalanche de moqueries et d’injures, plus ou moins drôles. Même ce qu’il reste du Matin s’est entiché d’en parler, plusieurs fois, sous la plume du fougueux Eric Felley. Provocateur comme trop souvent, je ne l’ai pas volé, je vous l’accorde.
    Alors oui, cette histoire est un détail. Une anecdote. Elle révèle toutefois les vraies ambitions des militants du Bien. Le foie gras n’étant pas un produit de première nécessité, rien ne s’opposerait à son interdiction. Pire ! Il serait l’expression vulgaire de l’étalement indécent des fortunes bourgeoises. Carrément. Quelle tristesse que cette vie promise faite d’austérité et de culpabilité. Où l’on n’y mange que ce qui nourrit. Où les petits plaisirs de la vie sont rangés dans la catégorie des pêchés interdits. Immoraux aujourd’hui, illégaux demain.
    Je ne suis pas le seul à aimer le foie gras. Ils sont nombreux, mes compatriotes, à le manger en cachette, un peu honteux. Il faut dire qu’on en importe 250 tonnes chaque année. Excusez du peu. Ça fait même un peu trop pour affirmer qu’il est réservé à l’élite turbo-libérale et nantie. La lutte des classes devra se jouer sur un autre terrain.
    Aujourd’hui, le peuple a classé le dossier. Nous restons libres d’avaler le foie malade des oies françaises. C’est vilain. Mais c’est bon. Peut-être que l’on en reparlera. Si les arguments de la cause animale touchent de plus en plus de personnes qui renoncent aux produits issus de maltraitance, force est de constater que les Suisses sont de plus en plus gavés des initiatives populaires moralisatrices.

  • Renforcer le don d'organes grâce à la carte d'assuré.

    Renforcer le don d'organes grâce à la carte d'assuré.

    Initiative parlementaire déposée le 18 septembre 2018 au Conseil national.

    Conformément à l’article 160 alinéa 1 de la Constitution et à l’article 107 de la loi sur le Parlement, je dépose l’initiative parlementaire suivante:
    La loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) est modifiée comme suit :
    Art. 42b (nouveau) Don d’organes
    1 L’assuré indique à l’assureur s’il consent à être donneur d’organes ou non, ainsi que ses éventuelles directives anticipées. L’information est communiquée à l’assureur lors de l’affiliation ou du renouvellement du contrat d’assurance.
    2 Le choix de l’assuré est indiqué sur la carte d’assuré ; le Conseil fédéral en précise les modalités.
    3 L’assuré peut modifier son consentement en tout temps ; l’assureur lui transmet alors une carte d’assuré modifiée.
    4 En cas de contradiction entre les déclarations de l’assuré concernant son consentement ou les directives anticipées, les déclarations les plus récentes font foi ; en cas d’impossibilité de déterminer la déclaration la plus récente, la décision relative au don d’organes appartient aux proches.
    5 Les données relatives au don d’organes sont confidentielles et ne peuvent être communiquées à aucun tiers par l’assureur ; à l’exception du nouvel assureur en cas de changement de caisse maladie.
     
    Développement
    Bien que le nombre de donneurs ait augmenté en Suisse en 2017, quelques 1480 personnes attendaient en décembre 2017 un organe, selon les chiffres de Swisstransplant. En moyenne, une centaine de patients décèdent chaque année parce qu’aucun organe compatible n’a pu leur être attribué.
    Des mesures doivent être prises afin de s’assurer qu’aucun patient ne décède en Suisse à cause d’un manque de donneurs d’organes. Une carte d’assurance-maladie étant obligatoire pour tous les assurés depuis 2010, il convient d’utiliser cet instrument existant pour solutionner la problématique de l’inscription du consentement. Concrètement, il serait à l’avenir obligatoire d’indiquer, au moment de contracter ou de renouveler un contrat d’assurance, son désir ou son refus de faire don de ses organes.
    Le Conseil fédéral évoque des obstacles à ce changement de système dans son rapport au Po. 10.3703  » Favoriser le don d’organes « . Or, en se penchant sur les différents éléments, on constate en réalité que l’inscription sur la carte d’assuré ne ferait que simplifier le système actuel. Par ailleurs, un certain nombre de critiques paraissent aujourd’hui dépassés:

    • La signature du patient n’apparait certes pas sur la carte d’assuré (contrairement à la carte de donneur). Cependant, une signature est de toute façon requise au moment de conclure ou de renouveler un contrat d’assurance. Ainsi, l’assureur peut garantir que la déclaration correspond bien à la volonté du défunt.
    • Avec le texte proposé, il serait possible de modifier rapidement la carte d’assuré. Dans les rares cas où un individu changerait d’avis sur la question du don d’organes, il n’aurait qu’à demander à son assureur de lui faire parvenir une nouvelle carte.
    • Les risques de contradiction restent les mêmes avec ou sans la mesure: un patient peut aujourd’hui déjà remplir deux cartes de donneur contradictoires durant sa vie. De même, il est maintenant possible de donner son consentement par des applications sur le téléphone ou via les réseaux sociaux. C’est une règle de conflit de consentement qui doit être adoptée ; pour cette raison, il est proposé de toujours donner la priorité à la déclaration la plus récente.
    • L’inscription de l’acceptation ou du refus du don d’organes n’occuperait qu’une petite place sur la carte d’assurance (du type d’une case à cocher). Une case supplémentaire pourrait être ajoutée si des directives anticipées devaient être signalées. Dans ce cas, l’assureur aurait le détail en sa possession et pourrait être joint immédiatement.
    • La question de la protection des données ne constitue pas un obstacle majeur. Les assureurs seraient tenus de garantir leur confidentialité. Les données ne seraient dans tous les cas pas moins bien protégées qu’avec une carte de donneur traditionnelle.
  • La franchise ou la prime d’assurance maladie, il faudra choisir

    La franchise ou la prime d’assurance maladie, il faudra choisir

    Publié dans le Temps, le 10 septembre 2018

    A l’approche de la traditionnelle augmentation des primes d’assurance-maladie, il est peut-être temps de réfléchir à cette répartition des coûts de la santé qui ne cessent, et ne cesseront, de croître. Et repenser le système. Sans tabou.
    On ne réduira pas les coûts de la santé. Notre société n’en veut pas. Les patients n’en veulent pas. Le personnel médical n’en veut pas. La balance démographique n’en veut pas.
    L’automne arrive. Inlassablement, la même mauvaise nouvelle de l’augmentation des primes nous attend. Préparez-vous aux formules magiques des uns, au fatalisme des autres. En fin de compte, il faudra avaler une nouvelle couleuvre.
    Les Suisses se plaignent de ces augmentations de prime. Pas de leurs propres coûts de santé. La nuance est de taille. La prime, c’est ce que l’on dépense pour les autres. Ce qui est mutualisé, la part sociale. Elle augmente, que vous soyez très malade ou en parfaite santé. Elle ne tient pas compte de vos comportements. Elle dévore à petit feu le pouvoir d’achat des ménages. La franchise, c’est la part que vous assumez pour vous. Et chaque franc de franchise est un franc qui ne pèse pas sur les primes, par un jeu de vases communiquant.
    L’assurance-maladie obligatoire est devenue une assurance tout risque. Une casco complète. Selon le modèle de base, passés les trois cents premiers francs de la franchise, c’est open bar pour le reste de l’année. Ces Frs. 300.- constituent le seuil à partir duquel on considère qu’il serait antisocial d’exiger des patients qu’ils assument leurs propres frais. Or, s’il paraît illusoire de réduire les coûts de la santé, on peut encore diminuer la partie qui plombe les primes. Augmenter les franchises, c’est réduire les primes.
    Il est politiquement incorrect de le dire. La grande maladie de notre système de santé, c’est son trop-plein de solidarité. C’est cette idée qu’au-delà de 300.- par année, les autres doivent payer. Vingt-cinq francs par mois : le seuil de la prise en charge individuelle. Trois paquets de cigarettes. Ce que certains dépensent en deux jours pour goudronner leurs poumons, on ose à peine le leur demander pour les soigner.
    Les projets d’augmentation de la participation aux coûts sont légion. Ils suscitent toujours la même levée de boucliers. Il n’y a malheureusement pas de gentille fée cachée dans une grotte qui attend impatiemment qu’on lui envoie la facture de notre système de santé. C’est à nous qu’il reviendra toujours de l’acquitter. Et si ce n’est pas en adaptant les franchises, ce sera en augmentant nos primes. Il faudra choisir, encore et toujours.

  • La grande bataille de la bouffe avant les votations du 23 septembre

    La grande bataille de la bouffe avant les votations du 23 septembre

    Deux mille dix-huit, année diététique. Les antispécistes ont pris les armes. Littéralement. A coup de pierres dans les vitrines des boucheries. De litres de sang jetés à la figure des enfants clients des fast-foods. Les carnivores réagissent en publiant de viriles photos de grosses côtes de porc. Généralement accompagnées d’un commentaire graveleux. Un activiste du steak s’est même pointé dans un festival végane pour y déglutir de la viande crue en public. Et la grande distribution saute sur l’affaire en inventant les «grilétariens»: l’individu nouveau, flexitarien. Le passionné du gril. Ça vole haut.

    Au-delà du cirque, la question se pose. L’exploitation animale n’est pas anodine. Certains scandales alimentaires donnent la nausée. Sans parler des questions écologiques ou sanitaires. Je prête une oreille attentive aux militants de l’abolition de la viande. Et sans leur donner raison, reconnaissons qu’il n’est pas impératif de descendre de la bidoche matin, midi et soir. Tout le reste n’est pas garniture, loin s’en faut. Manger mieux. Ce n’est pas complètement idiot. Mais quand même: manger ce que je veux.

    Le monde politique s’est évidemment saisi du dossier. A tort, comme souvent. Mon assiette me regarde. Et la majorité, aussi forte soit-elle, ne sera jamais légitimée à m’imposer un régime alimentaire. Je ne parle pas de la sécurité alimentaire, au nom de laquelle on nous a interdit jusqu’à l’année passée de manger des insectes. Je parle de cette idée ridicule de vouloir inscrire dans la Constitution le plat du jour.

    Bonnes raisons, bons sentiments

    Pesticides, bio, circuits courts, importation et commerce équitable: c’est par la force, celle d’initiatives populaires, que les uns veulent maintenant choisir le menu des autres. Toujours pour de bonnes raisons. Toujours mus par de bons sentiments. Et ce n’est plus le consommateur qui compose ses plats, mais l’électeur majoritaire qui compose celui du minoritaire.

    Je me souviens de mon premier voyage outre-Atlantique. Arrivés dans un dinner, mon interlocuteur, d’ordinaire gourmet, avait arrosé tous ses plats de ketchup, en s’exaltant: «C’est ça l’Amérique. C’est la liberté.» Ça m’est resté. C’est vrai, c’est un peu ça la liberté. Laisser mon assiette en dehors du parlement, comme le veut d’ailleurs le règlement. Et personne n’a jamais prétendu que c’était de la gastronomie.

  • L'innovation à la française

    L'innovation à la française

    Chronique hors-série de l’été, publiée sur mon blog le 5 juillet 2018. 
    La digitalisation permet aux élus d’innover dans le monde législatif, avec de nouvelles interdictions et taxes pour ramener le consommateur sur le droit chemin. Avec parfois quelques absurdités.
    Tandis que le président Macron s’époumone à chanter les louanges de l’intelligence artificielle, son parlement ferraille contre les géants de la digitalisation.
    Il y a eu l’interdiction des livraisons gratuites. Hadopi. La loi sur les  » fake news « . Aujourd’hui, nos amusants voisins débattent du  » Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs « . Ça manquait, c’est sûr. Dans le détail, on innove. On invente la taxation du commerce en-ligne. Pour lutter contre les mauvaises habitudes des gens. Pour sauver le petit commerce. Consommer local. Salauds de consommateurs.
    Comme d’habitude, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère. La taxe s’élève à cinquante centimes d’euro par kilomètre. Le Toulousain qui aura la mauvaise idée de commander la bio de Nougaro stockée chez Amazon à Lille s’acquittera de la coquette somme de 18 euros. Plus 447 de taxes. Dissuasif.
    Pour justifier cette mesure frappée au coin du bon sens, le Sénat rappelle que  » la livraison de biens commandés par voie électronique ne fait l’objet d’aucune taxation spécifique « . On découvre avec stupéfaction qu’il restait un truc qui n’était pas encore taxé. Il fallait bien agir.
    Chers voisins, rassurez-vous, vos élus vont adoucir le texte. Mais il en restera toujours quelque chose. Et dans quelques mois, un député suisse s’inspirera de cette charmante initiative et nous proposera une version helvétique. Sans les abréviations et les néologismes, mais avec la même bonne volonté à faire frémir.
    On n’innove pas sans casser des œufs. Je n’y étais pas, mais je suppose que beaucoup de palefreniers ont perdu leur boulot après l’invention du moteur à explosions. Les standardistes sont les victimes du téléphone numérique et il ne reste d’allumeurs de réverbères que sur une planète imaginaire. Pourtant, les députés veulent arrêter le temps. Stopper l’évolution. Revenir au minitel. Interdire l’innovation.
    Qu’on l’aime ou pas, les choses changent. En France comme ailleurs. J’adore la France. Si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer. Mais ce serait probablement interdit.

  • Expliquer l’égalité à défaut de la vivre

    Expliquer l’égalité à défaut de la vivre

    Le parlement fédéral a adopté une révision du Code des obligations qui prévoit une contrainte pour les sociétés cotées en bourse de se positionner sur la présence des femmes dans ses conseils lorsqu’elles sont fortement sous-représentées. Un coup de pouce peu bureaucratique qui pourrait faire avancer les choses dans le bon sens.

    J’ai accepté les «quotas». Ceux qui se sont joués à une voix près. Ceux qui ne sont pas vraiment des quotas. Les sociétés cotées en bourse devront s’expliquer si elles ne font pas assez bien en matière d’égalité. Dans leur rapport de rémunération. Ces boîtes qui pondent des rapports annuels gros comme un bottin de téléphone zurichois y ajouteront quelques lignes sur l’égalité. On a vu plus contraignant.

    L’égalité n’est pas qu’une marotte de la gauche. J’aurais pu être sensibilisé à ce problème dans mon activité politique. Dans une société où, près de cinquante ans après l’introduction du suffrage féminin, les femmes occupent difficilement un quart des sièges. Et où elles sont les seules à se farcir les questions sur l’éducation des enfants et les tâches ménagères lorsqu’elles se présentent au Conseil fédéral.

    Qui finit par «raquer»?

    Mais c’est plutôt dans ma petite étude d’avocat que j’ai pris conscience de l’ampleur du problème. Le divorce est le pain quotidien des avocats. En tout cas de ceux qui démarrent. Et c’est dans ces affaires-là que l’on met le nez dans les petites histoires des familles. Que l’on demande qui s’occupe des mômes. Qui renonce à sa carrière. Qui encaisse. Et, à la fin, au moment du divorce, qui finit par «raquer».

    L’égalité n’est pas un truc de femmes. Les hommes aussi sont les victimes d’une répartition sociale des rôles qui ne correspond plus aux aspirations des individus, du moins de la moitié qui finit par divorcer. Quand on met un terme au contrat conclu pour la vie, il reste généralement deux personnes. Meurtries et appauvries. Les grandes théories apprises à l’université font pâle figure lorsqu’on entend celui qui se saigne pour payer les contributions de son ex qui ne trouve plus une place convenable. Et les conséquences vont bien au-delà de la seule question du divorce.

    La peau dure

    Je n’étais pas né lorsque le peuple et les cantons ont inscrit l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans la Constitution. Les inégalités structurelles ont la peau dure. Les mesures utiles et raisonnables sont rares, alors appliquons au moins celles-ci. Comme adopter un congé parental et ouvrir des crèches (de la responsabilité des cantons, mais c’est un autre débat). Ou demander aux sociétés cotées en bourse de réfléchir à l’égalité, à défaut de la vivre.