Catégorie : Le Temps

  • A l’Office fédéral des transports, l’obsession de tout contrôler

    A l’Office fédéral des transports, l’obsession de tout contrôler

    La Suisse est le pays qui peine le plus à accoucher d’un début de libéralisation de ses transports. En matière d’autocars, après des mois à attendre un rapport, voici qu’arrive une petite ouverture bureaucratique du marché.

    Après avoir menacé pendant des mois de publier un rapport, le Conseil fédéral a enfin tranché à propos des autocars à longue distance. Dans sa grande mansuétude, le gouvernement nous permettra de voyager en car, mais sous conditions. Plutôt que permettre purement et simplement l’autobus, il a été décidé de le soumettre à l’usine à gaz de la concession de transport.

    Concrètement, les compagnies ne pourront travailler que moyennant autorisation et surveillance de l’Office fédéral des transports (OFT). Il faudra aussi ne pas trop concurrencer le train. Il serait en effet assez cocasse (pour ne pas dire humiliant) qu’un entrepreneur privé parvienne à ébranler les CFF et les milliards de francs déversés pour asseoir leur monopole. Les autocars devront encore accepter les abonnements des CFF, même si l’on ne comprend pas trop l’intérêt d’acheter l’AG pour prendre les bus low cost. A lire ces exigences, on peut s’estimer heureux que ne soient pas imposés un service de minibar et l’uniforme des conducteurs.

    L’incohérence du système est déroutante. Les véhicules privés, eux, ne sont pas organisés par l’Etat. Chacun est libre de prendre sa voiture à l’heure qui l’arrange, avec ou sans passagers, pour aller où bon lui semble. Je pourrais bien m’offrir un immense autocar panoramique de deux étages pour me balader: tant que je ne partage pas mes trajets, c’est bon.

    Dans ce dossier, l’obsession de l’administration à vouloir tout contrôler se révèle pathologique. Alors que la Confédération ne prend aucun risque à laisser certains citoyens s’organiser librement, le gouvernement s’est mis en tête qu’il ne pouvait y avoir de transport efficace sans planification fédérale.

    Surveiller, autoriser, décider…

    Craint-on que des entrepreneurs se mettent à offrir un service de transport rentable à une clientèle qui ne demande rien d’autre? Du point de vue de l’OFT, l’horreur absolue serait sans doute atteinte si des passagers peu scrupuleux choisissaient de voyager assis dans des cars plutôt que debout entre deux wagons saturés. Ce jour-là, ce sont les cars qui seront remis en question, pas les trains bondés.

    Surveiller, autoriser, décider: l’autorité fédérale trouve dans ces termes sa raison d’exister. Mais elle se trompe. Le but d’une collectivité est de servir ses citoyens. Ici, elle n’apporte rien d’autre qu’un dirigisme dépassé.

  • Les vertus de l’égoïsme, dans la vie comme en politique

    Les vertus de l’égoïsme, dans la vie comme en politique

    Chronique publiée dans le Temps le mardi 10 octobre 2017.

    Le Prix Nobel Jacques Dubochet estime que l’égoïsme est de droite et l’intelligence de gauche, ajoutant que même les fourmis sont altruistes. Notre chroniqueur rétorque que l’égoïsme rationnel et humaniste constitue aussi un code éthique qui, loin d’être immoral, distingue peut-être ces hyménoptères des hommes.
    Que penser lorsque le Prix Nobel romand Jacques Dubochet déclare sans ambages que la droite, c’est l’égoïsme, et la gauche, l’intelligence?
    En 1964, la philosophe américaine Ayn Rand, réfugiée d’URSS, publia un recueil intitulé La Vertu d’égoïsme, best-seller et plaidoyer pour une pensée objectiviste. En quelques mots, l’auteure y défend l’idée qu’un égoïsme rationnel constitue un code d’éthique de vie meilleur qu’un altruisme béat, le plus souvent de façade. Il serait ainsi moral pour un individu de chercher son bonheur, tandis que le bien commun ne justifierait aucun sacrifice personnel, la prohibition du recours à la violence en étant le corollaire indispensable: «Chaque être humain vivant est une fin en lui-même, non le moyen pour les fins ou le bien-être des autres.»
    Un siècle après la révolution soviétique et sa morale sacrificielle, ces propos gardent une certaine actualité. Car contrairement aux apparences, l’égoïsme rationnel n’exclut ni la générosité ni l’amour de son prochain. Il n’implique pas que l’individu doive viser son propre bien aux dépens de celui des autres. Au contraire, le citoyen qui se revendique de cette morale est, plus qu’aucun autre, attaché aux droits de l’homme. Pour lui, comme pour les autres. Selon Rand, «l’individualiste est celui qui affirme: «Je ne contrôlerai la vie de personne – et je ne laisserai personne contrôler la mienne.» Le collectiviste dit: «Unissons-nous les gars! Tout est permis!»
    J’entends déjà les commentaires sur l’immoralité de mon propos et sur l’individualisme prétendument exacerbé de notre société. Société dans laquelle la moitié des richesses passe par la main publique, excusez du peu. Pourtant, malgré ces critiques convenues, je peine à trouver des citoyens qui se réjouissent de la hausse de leur prime d’assurance maladie, expression la plus parfaite du sacrifice personnel pour le bien des autres. Je cherche des contribuables qui regrettent la modestie de leur facture d’impôts. Et l’on ne rencontre que peu d’entrepreneurs qui réclament de nouvelles contraintes au nom du bien commun.
    Je ne peux pas donner entièrement tort au professeur Dubochet. Il existe un égoïsme de droite, rationnel et humaniste, qui s’oppose à un altruisme collectiviste et souvent feint. Quant à l’intelligence, comme la richesse, sa redistribution inégale n’est certainement pas l’apanage d’un camp politique.

  • Quel avenir pour la SSR après la redevance?

    Quel avenir pour la SSR après la redevance?

    Hier, l’initiative «No Billag» a été repoussée dans un débat-fleuve, mi-discussion de café du commerce sur l’appartenance politique des journalistes, mi-étalage de lieux communs sur le ciment de la Suisse, Willensnation devenue «télénation».

    Le soutien politique symbolise la cohésion de ce pays qu’aurait construite le média de service public. Tous se rangent derrière la SSR et la majorité des téléspectateurs et des cantons repousseront l’initiative, au nom de tout ce qui fait la Suisse.

    Un goût d’inachevé

    La liquidation de «No Billag» laisse un goût d’inachevé. Jusqu’au-boutiste, l’initiative paraît peu applicable en plus d’être très violente à l’égard du service public. Malgré tout, elle soulève des questions auxquelles il faudra un jour répondre, à moins de laisser le marché s’en occuper seul.

    Les générations actives et leurs représentants au Parlement sont encore les enfants de la télévision, les chaînes publiques constituent notre référentiel médiatique. Malgré nous, les bouleversements technologiques démolissent une à une les évidences d’il y a quelques années.

    «Digital natives»

    Signe de ces changements, les études foisonnent sur le rapport aux médias des «digital natives», cette génération post-téléviseur qui ne fait rien comme la précédente. Sans jeter tout le produit à la poubelle, on ne peut pas ignorer que les nouveaux consommateurs ne regardent pas la télévision – s’ils la regardent – comme ceux d’avant. Et cela ne signifie encore pas que la Suisse va disparaître.

    Face aux centaines de chaînes disponibles, aux offres de films et de programmes sportifs à la demande et au développement des médias électroniques, la redevance obligatoire et forfaitaire paraît désuète pour financer durablement le service public. Dans un monde où chaque citoyen consomme les médias d’une manière propre, il est de moins en moins imaginable que les uns imposent aux autres des habitudes toujours moins communes.

    Devoir d’anticipation

    En rejetant toute discussion sur un autre modèle que le tout à la redevance, le parlement et la SSR manquent à leur devoir d’anticipation. Je crains le moment où une majorité adoptera une loi qui lui dicte la bonne méthode de consommer des informations, du divertissement, du sport. Ce jour-là, il sera malheureusement trop tard pour réagir. Comme l’industrie musicale voulait nous renvoyer chez les disquaires à coups de procédures judiciaires, les élus rêvent encore que la redevance nous maintiendra devant le téléviseur.

  • Une démocratie sous asphyxie

    Une démocratie sous asphyxie

    Publié dans le Temps, le 12 septembre 2017. 

    Le 13 septembre, le Conseil national adoptera une loi de 334 pages, la LSFin/LEFin. Sans traiter du fond, l’on peut s’inquiéter que l’immense majorité des membres du corps législatif n’aura pas eu le temps ne serait-ce que de lire le texte qu’il acceptera, et qui déploiera des effets sur les petits clients de banques.

    Connaissez-vous la LSFin/LEFin, la loi sur les services et sur les établissements financiers ? Personnellement, j’avoue quelques carences en la matière. C’est le genre de projet qui ne figure pas en tête des programmes électoraux. Le Conseil national s’en saisira le 13 septembre prochain, et je ne parviens toujours pas à en comprendre les enjeux et les détails. Tout ce que je peux en dire, c’est que la LSFin/LEFin doit théoriquement protéger le petit client des banques.
    Sans être l’objet majeur de la législature, cette LSFin/LEFin n’en est pas moins un véritable monstre : dans sa version française, le dépliant de la loi s’étend sur 334 pages, auxquels s’ajoute un message du Conseil fédéral de plus 188 pages. Sans image, naturellement. Avec plein de termes techniques financiers, des propositions de minorité qui se jouent sur des subtilités de langage, et des enjeux pour lesquels il faut recourir aux services d’experts pour saisir le commencement de chaque question.
    La LSFin/LEFin n’aura pas sa session spéciale. Elle sera traitée comme un objet parmi des dizaines d’autres, un des treize jours que compte la session d’automne.
    La vérité, crue et moche, c’est que l’immense majorité du Parlement n’aura pas lu la LSFin/LEFin au moment de la voter. Pas par manque de volonté ou de courage, mais parce qu’il est humainement impossible d’absorber trois centaines de pages de législation financière en moins d’un mois si l’on ne s’y consacre pas entièrement et sans être du métier.
    L’adage qui dit que « nul n’est censé ignorer la loi » est un leurre. C’est une fiction. Personne ne connaît toute la législation. Ce qui est toutefois inquiétant, c’est que même ceux qui l’adoptent ne la connaissent pas. Et personne ne s’en émeut.
    Comme le dilemme du prisonnier, voilà celui du parlementaire. Convaincu que votre voisin comprend mieux le problème que vous, il est fort probable que personne au Conseil national n’osera exiger que l’on nous fournisse une loi lisible et compréhensible. Ce serait avouer sa propre incompétence. Et l’on acceptera ce projet, persuadés qu’il est bon, ou du moins acceptable. Comme Gulliver face aux lilliputiens, le pouvoir législatif se retrouve pris au piège d’une administration qui étend son pouvoir subrepticement, par petites touches, en asphyxiant la démocratie.

  • A chaque innovation, son interdiction: la preuve par Booking.com

    A chaque innovation, son interdiction: la preuve par Booking.com

    A chaque succès sur Internet correspond une proposition pour l’interdire ou le limiter en Suisse. Cet été, ce sont Booking.com et les plateformes de réservation que cible le parlement. Le législateur veut encourager les clients à ne pas payer la commission du courtier. Absurde.

    L’interdiction de la semaine vous est offerte par le Conseil des Etats. Les sénateurs, mus par les meilleures intentions du monde, veulent bannir les «clauses de parité» dans les contrats liant les plateformes de réservation et les hôteliers. En français, cela signifie que Booking.com devra tolérer que les hôtels partenaires cassent les prix en cas de vente directe sur Internet via leur propre site.

    Sans oser le dire trop clairement, la branche espère que les clients, après avoir consulté gratuitement la plateforme et choisi un établissement en fonction des disponibilités, réservent directement auprès de l’hôtel pour lui permettre d’épargner la commission. Proposée dans d’autres domaines, une telle motion créerait un tollé. Par extension, on pourrait soutenir les clients qui achètent leurs vêtements en ligne après les avoir essayés en magasin. Ou ceux qui commandent sur Amazon une fois les conseils obtenus du libraire du quartier. Quand on se plaint de la disparition du commerce de détail, c’est une approche à peu près irresponsable.

    On peut cogner fort

    Mais sur ce coup-là, il paraît que c’est différent. Booking.com est en ligne, et par-dessus le marché, étranger. On peut donc cogner, et fort. Certes, ces plateformes pratiquent des comportements hégémoniques et des tarifs élevés. Pour y répondre, le Surveillant des prix s’est saisi du dossier. Cela ne rend pas légitimes les pratiques douteuses de ceux qui veulent profiter du service sans le payer. En général, c’est même l’inverse qui est prévu: le droit impose le paiement du salaire du courtier, même quand les parties l’ont contourné au moment de conclure le contrat.

    «Au nom du bien commun»

    Booking, leader du secteur, est né aux Pays-Bas. La plupart des géants du Web viennent d’outre-Atlantique. Il ne faut pas s’étonner que ces grands succès ne naissent pas en Suisse: pour chaque bonne idée, on y trouve toujours un élu éclairé pour vouloir l’interdire. Uber, Airbnb, Booking, Amazon, Netflix, Spotify: tous connaissent leurs pourfendeurs, au nom du bien commun, un bien commun à leur propre branche du moins.

    Quand on y pense, ce sont les mêmes qui nous cassent les pieds à longueur d’année avec des discours lénifiants sur l’innovation et la compétitivité des hautes écoles qui pondent ces lois destinées à ce que rien ne change. Quelle ironie.

     

  • En attendant l’autocar

    En attendant l’autocar

    Chronique publiée dans le Temps du 27 juin 2017.

    Alors que les pays européens libéralisent le marché du transport public, la Suisse attend, temporise, regarde. Et verra finalement encore un nouveau secteur échapper aux entrepreneurs helvètes.
    Les pays d’Europe ont libéralisé l’autocar. Le transport public est le théâtre d’une compétition entre les chemins de fer historiques et des entreprises privées qui attirent les clients avec des tarifs hyper avantageux. La Suisse, sonderfall devant l’éternel, se trouve désormais encerclée de pays adeptes du bus. Comble du ridicule, les accords bilatéraux garantissent aux compagnies étrangères le droit d’opérer depuis et vers la Suisse, à condition de ne pas laisser les passagers faire un trajet interne.
    Bon marché, l’autocar permet à des citoyens peu fortunés et à des touristes sans demi-tarif de voyager sans se ruiner. D’un point de vue écologique, il apparaît qu’un bus ne pollue pas tellement plus qu’un train régional. En Allemagne, on a constaté que le bilan du point de vue du trafic était positif, sans mettre en danger les chemins de fer nationaux.
    Heureusement, face au risque majeur de voir les choses changer, le Conseil fédéral a combattu toute libéralisation. Apprenant que des citoyens peu scrupuleux avaient l’outrecuidance de pratiquer le cabotage en toute illégalité (soit le fait de descendre du bus avant son arrivée), l’Office fédéral des transports s’est mis en tête d’inventer une sanction pour punir ces voyageurs. Passagers dont le seul crime est de ne pas avoir choisi le chemin de fer, devenu hors de prix pour un certain nombre de personnes. Heureux pays celui qui n’a que de petits problèmes.
    La semaine dernière, la Commission des Etats a traité ma motion qui propose l’ouverture du marché en Suisse. Libéralisera, libéralisera pas l’autocar ?
    Réponse : on temporise. La Commission a suspendu le traitement de l’objet, dans l’attente d’un rapport promis par le gouvernement. Rapport qui, pour la petite histoire, est pris dans les embouteillages administratifs puisque sa publication a déjà été reportée du premier semestre à la fin de l’année.
    Pendant que le monde bouge, nous annonçons, nous écrivons, et nous attendons des rapports. Les compagnies étrangères s’implantent en Suisse, acquièrent une clientèle et préparent le terrain d’une libéralisation inévitable. Ce jour-là, les sociétés suisses se retrouveront prises de court par Flixbus (Allemagne) et Ouibus (France), à l’image des taxis qui n’ont pour beaucoup pas su prendre le virage de la numérisation. Et il sera trop tard pour se plaindre.

  • Les autocars helvétiques libéralisés se font attendre

    Les autocars helvétiques libéralisés se font attendre

    Alors que les pays européens libéralisent le marché du transport public, la Suisse attend, temporise, regarde. Et verra finalement encore un nouveau secteur échapper aux entrepreneurs helvétiques.

    Les pays d’Europe ont libéralisé l’autocar. Le transport public est le théâtre d’une compétition entre les chemins de fer historiques et des entreprises privées qui attirent les clients avec des tarifs hyperavantageux. La Suisse, Sonderfall devant l’Eternel, se trouve désormais encerclée de pays adeptes du bus. Comble du ridicule: les accords bilatéraux garantissent aux compagnies étrangères le droit d’opérer depuis et vers la Suisse, à condition de ne pas laisser les passagers faire un trajet interne.

    Bon marché, l’autocar permet à des citoyens peu fortunés et à des touristes sans demi-tarif de voyager en évitant la ruine. D’un point de vue écologique, il apparaît qu’un bus ne pollue pas tellement plus qu’un train régional. En Allemagne, on a constaté que le bilan du point de vue du trafic était positif, sans mettre en danger les chemins de fer nationaux.

    Le crime: ne pas avoir choisi le chemin de fer

    Heureusement, face au risque majeur de voir les choses changer, le Conseil fédéral a combattu toute libéralisation. Apprenant que des citoyens peu scrupuleux avaient l’outrecuidance de pratiquer le cabotage en toute illégalité (soit le fait de descendre du bus avant son arrivée), l’Office fédéral des transports s’est mis en tête d’inventer une sanction pour punir ces voyageurs. Passagers dont le seul crime est de ne pas avoir choisi le chemin de fer, devenu hors de prix pour un certain nombre de personnes. Heureux pays celui qui n’a que de petits problèmes.

    Dans les embouteillages administratifs

    La semaine dernière, la Commission des Etats a traité ma motion qui propose l’ouverture du marché en Suisse. Libéralisera, libéralisera pas l’autocar? Réponse: on temporise. La Commission a suspendu le traitement de l’objet, dans l’attente d’un rapport promis par le gouvernement. Rapport qui, pour la petite histoire, est pris dans les embouteillages administratifs puisque sa publication a déjà été reportée du premier semestre à la fin de l’année.

    Pendant que le monde bouge, nous annonçons, nous écrivons et nous attendons des rapports. Les compagnies étrangères s’implantent en Suisse, acquièrent une clientèle et préparent le terrain d’une libéralisation inévitable. Ce jour-là, les sociétés suisses se retrouveront prises de court par Flixbus (Allemagne) et Ouibus (France), à l’image des taxis qui n’ont pour beaucoup pas su prendre le virage de la numérisation. Et il sera trop tard pour se plaindre.

  • Le réveil (tardif) de l’administration des contributions

    Le réveil (tardif) de l’administration des contributions

    Chronique publiée dans Le Temps du 13 juin 2017.

    En matière de coopération fiscale, la Suisse a consenti à presque toutes les demandes internationales. Nos voisins se sont pourtant pas gênés d’agir par tous les moyens, mêmes légaux. Usage de données volées, menaces de dénonciation de convention, non-application des traités. Ce n’est que très récemment que le fisc suisse semble s’être réveillé et n’accepte plus de collaborer à n’importe quel prix.
    L’ordre des infractions du code pénal permet de comprendre les régimes politiques. La Suisse place en tête les infractions contre l’intégrité physique, le patrimoine, la sphère privée, la liberté, l’intégrité sexuelle. Les premiers chapitres du code soviétique concernaient logiquement les infractions contre l’Etat, la révolution, l’économie planifiée et le gouvernement, la vie des individus occupant une place très subalterne dans la hiérarchie criminelle.
    Cette échelle de valeur s’accompagne des droits de la défense. Si l’infraction contre l’individu est la première combattue, les droits du prévenu sont aussi protégés. Ainsi, l’on se targue d’offrir un procès équitable à toute personne soupçonnée d’un crime.
    Dans ce contexte, le conflit fiscal franco-suisse laisse songeur. La France, ce grand pays aux 43 déficits successifs, est tellement aux abois qu’il en perd toute décence. Dès lors qu’il est question d’argent public, les droits de l’accusé se dissipent au rythme des dévaluations de l’ancien franc. Le contribuable qui a le mauvais goût de disposer d’un compte à l’étranger est traqué par des méthodes auxquelles on n’ose pas recourir pour poursuivre le grand banditisme.
    Lorsque Falciani volait son employeur, l’Etat français jouait les receleurs, avant de dérouler le tapis rouge à ce vulgaire délinquant. Pour mieux (davantage) taxer les successions, les gouvernements de gauche comme de droite ont cherché le passage en force d’une convention inique dont le seul but était de rapatrier des fonds sans rattachement avec le pays.
    Notre soumission aux standards internationaux n’a pas calmé la machine à taxer. En 2016, le parquet français a ouvert une enquête fondée sur des données transmises par la Suisse. Or, ces informations ne devaient expressément pas servir à ce genre de procédure, mais rester dans un cadre purement fiscal. On ratifie une convention, puis on marche dessus au nom du respect du droit.
    Chose rare, Berne a mis les pieds au mur. Pour combien de temps, personne ne peut le dire. Il est temps de fixer les limites de la coopération administrative et fiscale. Admettons que si la fraude fiscale mérite d’être poursuivie, la fin ne justifie pas tous les moyens. A défaut, c’est notre pays qui se rendra complice d’infractions plus graves que celles que les nations tentent maladroitement de combattre.

  • Les cyberattaques ne sonnent pas la fin du monde

    Les cyberattaques ne sonnent pas la fin du monde

    Publié le 29 mai 2017 dans le Temps

    Face aux risques de piratage, les appels à la vigilance se multiplient. A entendre les plus inquiets, il faudrait ériger une Convention de Genève digitale pour prévenir un «Hiroshima numérique»: ne dramatise-t-on pas quelque peu?
    Ce fut une guerre éclair. Personne n’a pu ignorer la cyberattaque Wannacry et son logiciel qui a rançonné les vieux ordinateurs Windows XP. En échange de quelques bitcoins, les utilisateurs touchés ont pu éviter de justesse de voir leur monde dévasté.
    La presse a couvert l’événement, micro tendu aux élus, histoire de savoir ce que l’Etat entreprendrait pour contrer la menace du siècle. Le président de Microsoft réclame une convention de Genève numérique, et l’on évoque 200 000 «victimes». C’est d’André Kudelski qu’est venue cette sentence qui résume la gravité de la situation: «le jour où il y aura un Hiroshima ou un Fukushima en matière «cyber», il y aura une vraie prise de conscience».
    Les prochaines sessions parlementaires seront probablement rythmées de motions et d’interpellations affolées. Le Conseil fédéral a-t-il vraiment pris la mesure de l’attaque? La Suisse est-elle prête? Faut-il créer un secrétaire d’Etat aux cyberguerres?
    Reconnaissons que personne ne fait rien pour nous rassurer. Il paraît que le système hospitalier anglais est ravagé. Europol parle d’une attaque sans précédent. Selon les spécialistes, les infrastructures vitales succomberont lors de la prochaine salve: électricité, transport, télécommunication, c’est la démocratie même qui est en jeu.
    Chaque expert tire une sonnette d’alarme, ou cherche à vendre une solution au problème, c’est selon. J’éprouve quand même une certaine réticence à comparer le bombardement nucléaire de civils japonais ou la situation des réfugiés dans le monde avec une attaque informatique. Et même si les hackers parvenaient à paralyser les trains toute une journée, ils resteraient, en la matière, petits joueurs au regard des exploits dont sont capables les CFF eux-mêmes. On peut en dire autant des hôpitaux: même terrassé par la cyberattaque, le système hospitalier britannique n’a pas laissé mourir ses patients, sans nier pour autant les désagréments que ceux-ci ont pu connaître.
    Personne ne conteste les dégâts d’une cyberattaque, et je ne souhaite à personne d’être la cible d’un tel acte de vandalisme. Je me risque néanmoins à relativiser l’ampleur du péril qui menace l’humanité.
    Pour l’anecdote, les fraudes électorales valaisannes n’ont pas été commises par des Anonymous, mais par des citoyens munis de bons vieux bulletins en papier et de timbres postaux. La fin du monde s’annonce peut-être moins high-tech qu’on ne l’imagine.

  • Les subventions, ces clous de cercueil des barrages

    Les subventions, ces clous de cercueil des barrages

    Chronique publiée dans Le Temps du 15 février 2017.

    Six ans après Fukushima, l’électricité est à revendre. A tel point que les marchés se trouvent en « surcapacité chronique », causée par des investissements subventionnés délirants, que l’on corrige à leur tour par des montagnes de subventions pour les électriciens qui, eux, ne tournent plus.
    En Europe, en dix ans, des centaines de milliards de francs d’impôt ont été dépensés pour augmenter la production électrique. Simultanément, les batteries de mesures destinées à réduire la consommation ont porté leurs fruits : en Suisse, on n’a pas consommé plus d’électricité en 2016 qu’en 2006.
    Pas besoin d’être diplômé d’Harvard pour comprendre le problème lorsque l’offre explose et que la demande se réduit : les prix baissent. La valeur du KWh s’est effondrée à tel point que ce qui semblait l’investissement du futur il y a encore une dizaine d’années tourne aujourd’hui à perte. A certaines heures de la journée, le prix de l’électricité est même devenu négatif.
    Avec ces tarifs ridicules, même les barrages que l’on pensait aussi solides que les montagnes qui les portent ne trouvent plus d’acheteur. Qui se souvient de 2009, où l’on parlait des 20 milliards que le Valais allait tirer de la revente des concessions hydrauliques ? Aujourd’hui, même gratuitement, on ne trouve pas de repreneur.
    Les sociétés qui distribuaient des dividendes à la pelle, demandent aujourd’hui des aides toujours plus importantes : de 120 millions de la stratégie énergétique 2050, on parle maintenant d’un demi-milliard pour la suite. Sans, elles disparaîtraient. La subvention ou la vie. Les électriciens veulent leur dose de subsides pour poursuivre une dépendance folle qui les faits mourir à petit feu.
    Pourtant, lorsque l’on produit trop, la solution est de produire moins, plutôt que soutenir artificiellement une surcapacité inutile, avec l’argent des contribuables. Et contrairement aux croyances, on ne se prépare pas à la sortie du nucléaire. Avec des prix de l’électricité quasiment souterrains, qui est encore intéressé à se risquer d’investir dans les énergies renouvelables ? Quelle industrie est incitée à économiser l’énergie ? Qui financera la liquidation des centrales ? A ce tarif, on sortira de l’hydraulique avant de fermer les centrales nucléaires. D’ailleurs, plus personne n’en veut plus vraiment.
    Des années d’interventions publiques sur le marché de l’électricité aboutissent à un résultat calamiteux. A l’image de ce que fut la surproduction laitière, l’arrosoir à  subventions entraine logiquement une baisse des prix et la faillite du secteur. Avec une nuance de taille : contrairement à l’électricité, l’Etat ne nous a jamais encouragé à économiser le lait.