Catégorie : Chroniques

  • Pendant la crise, 50% de rabais sur votre conseiller national

    Pendant la crise, 50% de rabais sur votre conseiller national

    Pour un jour de session, un parlementaire gagne 440 francs. Une cinquantaine de francs l’heure, grosso modo. Ce n’est pas misérable, ce n’est pas indécent. Ce n’est pas non plus volé. Certains estiment toutefois le contraire…

    Dans un monde idéal, L’Humanité n’existerait pas.» C’est le slogan vraiment bien trouvé du célèbre journal communiste du même nom. Mais le monde idéal du PCF n’étant vraisemblablement pas le mien, je crains plutôt l’enfer bolchevique dans lequel l’humanité disparaîtra.

    Dans la même idée et dans notre Suisse imparfaite, la Weltwoche existe. Et nous en avons besoin. Pas tant pour sa ligne éditoriale que pour nous rappeler la nécessaire pluralité des opinions. Ainsi, on y retrouve chaque semaine dans la rubrique «Personenkontrolle» un florilège de dénonciations des écarts des élus, selon les critères de la rédaction. J’ai eu l’honneur d’être balancé, parfois. Pour mes votes qui ne satisfaisaient pas quelques casques à boulons côté Limmat.

    Dans un élan lyrique, ils ont cette fois-ci publié la liste de 139 élus du Conseil national qui ont voté pour maintenir l’intégralité des jetons de présence les jours de session. J’en fais partie. J’avoue que je n’ai pas compris pourquoi nous devions renoncer à être payés si nous travaillions. Corona ou pas corona.

    Vous n’imaginez pas les horreurs que j’ai pu lire à notre sujet. Sur ces élus qui avaient le culot d’encaisser leurs indemnités. Voleurs. Traitres à la patrie. Parasites. Pourtant, de ces commentateurs avisés, je n’en ai pas vu beaucoup pour demander de diminution de leur propre salaire. Je ne me souviens pas avoir lu les journalistes de la Weltwoche proposer une réduction du prix du journal. On s’est plutôt pliés en quatre pour que chacun touche quelque chose, avec ou sans travail.

    Parlementaire de milice, à côté de mon « métier » de représentant du peuple, j’ai un « vrai » travail. Pour moi, c’est avocat. Avec un loyer, du personnel, des charges. Des délais et des clients. Quand je siège à Berne, je ne suis pas au bureau. En tant qu’affreux capitaliste turbo-libéral que je suis, je considère que mon temps, comme le vôtre, a une valeur. Et que si tout travail mérite salaire, le mien aussi. 

    Dans la pure tradition weltwochienne, on pourrait toutefois exiger des élus qu’ils bossent à l’œil. Les remplacer par des bénévoles crève-la-faim. Ou des gens au-dessus de ces basses contingences matérielles, par exemple des héritiers richissimes. 

    Avec l’antiparlementarisme traditionnel de certains franges politiques viendra peut-être la saison des soldes électorales. Ceux qui voudront un conseiller national à moitié prix le trouveront peut-être. Mais ce ne sera pas moi. 

     

  • La démondialisation, c’est le populisme côté terroir

    La démondialisation, c’est le populisme côté terroir

     Avec la reprise, beaucoup demandent un «autre modèle», démondialisé. Un modèle obligatoirement local, prétendument plus durable. L’humanité aurait pourtant tout à perdre d’un effondrement des échanges entre les peuples, y compris commerciaux.

    Avant la crise, je m’inquiétais du protectionnisme qui s’abattait sur le parlement. Il ne s’est pas calmé. Au moment du déconfinement, les voix se multiplient contre la mondialisation. Désormais, l’Homme nouveau consommera exclusivement dans son quartier. Des collègues veulent restreindre les importations. Limiter le commerce extérieur. Pour chaque concombre espagnol sur les étalages, une petite indignation. Et voilà que le directeur de l’OMC, Roberto Azevêdo, démissionne avec grand fracas, face à l’échec de son organisation.

    On aime le petit commerce local et les produits de notre terre. Il n’y a pas d’intérêt à échanger par principe avec les gens les plus éloignés ou les plus inconnus. Travailler localement, c’est souvent plus simple, plus raisonnable. Et si j’apprécie l’économie de proximité, c’est parce qu’elle est la meilleure. Pas simplement parce qu’elle est estampillée «locale».

    La démondialisation que beaucoup espèrent ne présage rien de bon. D’abord égoïstement. En Suisse, le commerce extérieur représente la moitié des richesses produites. Si tous les habitants de la planète s’interdisaient d’importer, de partir en vacances au-delà de quelques kilomètres, de travailler avec une banque étrangère, nous devrions renoncer à la moitié de nos salaires. A notre sécurité sociale. A notre système de santé. Nous n’aurions probablement plus les moyens de fréquenter nos propres restaurants et commerces qui appellent à une consommation plus locale.

    Cette démondialisation, ce serait aussi une catastrophe pour les autres, et pas les mieux lotis. En quelques décennies, les pays en voie de développement ont connu la plus fulgurante progression humaine de l’histoire, grâce au commerce mondial, au libre-échange.

    Un autre monde reste toujours possible. Un pire surtout. On peut réduire notre «dépendance». Relocaliser. Mais, sincèrement, pensez-vous que l’on maintiendra notre niveau de vie si, au lieu de fabriquer des montres de luxe et d’inventer les nouveaux médicaments contre le cancer, on se met à fabriquer des masques à quelques centimes et des t-shirts? Et vous pensez que les Chinois et les Indiens se porteraient mieux si on ne leur achetait plus de textiles et de téléphones mobiles?

    La démondialisation, c’est la version terroir du populisme. Un slogan qui fleure bon le patriotisme, mais dont la stricte application démolira ce que des générations ont mis des années à construire. Comme disait très sagement Frédéric Bastiat«si les biens ne traversent pas les frontières, les soldats le feront». La paix en Europe a commencé par un accord de libre-échange. Un retour en arrière est toujours possible. On ne devrait pas trop s’en réjouir.

  • Le message de Gaïa à l’humanité pécheresse

    Le message de Gaïa à l’humanité pécheresse

    Alors qu’on voit la lumière au bout du confinement, quelques partisans d’une écologie politique radicale trouvent dans le coronavirus un allié de poids pour imposer un programme d’austérité, de frugalité et de décroissance. Vision misanthrope et obscurantiste.

    Au XVIe siècle, on se posait le plus sérieusement du monde la question de savoir comment soigner la peste noire sans défier la colère divine. La pandémie était reçue comme une punition du ciel, une fatalité qui confinait presque à la purification des péchés. On se gausse volontiers de cette époque où l’on menait des procès aux sauterelles et aux parasites vecteurs de maladies. Les temps ont changé, l’Eglise fait preuve d’une certaine modernité. Jusqu’ici, pangolins et chauves-souris ont échappé à la préventive.

    Malheureusement, on n’est pas épargné par les néo-obscurantistes. Ceux-là que l’on attendait le moins, qui se proclament la voix de la science. Dominique Bourg, philosophe et ancien professeur de l’Université de Lausanne, nous explique dans une grande interview donnée au Temps que le coronavirus serait une espèce d’avertissement de la nature. Pour les pauvres hères qui sont tombés malades, jusqu’à en mourir parfois, ce n’est vraiment pas de bol. Ils ont reçu le message de Gaïa, qui «révèle l’interface violente entre nos sociétés et les systèmes naturels qu’elles ont dégradés». Bref, on ne l’a pas volé, nos sociétés récoltent ce qu’elles ont semé.

    Délire animiste

    Derrière ce délire animiste new age se cache une misanthropie détestable. Les extrémistes de l’écologie politique, ceux qui nous promettent le grand effondrement, voient dans le coronavirus un allié, à court terme, qui nous permet de réfléchir. Un soutien qui a déjà mis en œuvre une bonne partie de leur projet: les avions sont cloués au sol, les usines ralentissent, les voitures ne circulent plus. On ne pollue plus. On décroît. On recule. A toute vitesse.

    Mais le bilan humain de la crise est catastrophique. En vies emportées, qui se comptent déjà en centaines de milliers. En emplois détruits. En richesses gâchées. En prospérité annihilée. En qualité de vie. Il faut vraiment détester ses semblables pour se réjouir de la crise que nous traversons.

    A croire les sciences expérimentales, notre planète et la «nature» ne sont pas dotées d’une conscience propre. Elles n’ont pas d’opinion dont elles nous feraient part. Ni la foudre, ni les virus, ni les tremblements de terre ne sont l’expression d’un soutien ou d’un rejet d’un système politique ou économique. Et l’humanité a le droit, sans doute même le devoir moral, de tout mettre en œuvre pour se préserver de ces fléaux.

  • L’impôt prestidigitateur

    L’impôt prestidigitateur

    La micro-taxe sur les transactions financières est présentée comme une révolution qui rendrait l’impôt indolore. Mais comme dans tous les tours de magie, il y a un truc qui ne permettra pas sérieusement de repenser notre système fiscal.

    Après le RBI et la monnaie pleine, voici une nouvelle initiative qui projette modestement de révolutionner le monde par une machinerie fiscalo-financière: la micro-taxe sur les transactions. Le projet est alléchant. On liquide la TVA, l’impôt fédéral direct et le droit de timbre. Et on les remplace par une toute petite taxe indolore et incolore de 1‰, prélevée sur chaque transaction, du banal retrait aux virements internationaux entre multinationales. On encaisserait une centaine de milliards et des brouettes par année. Facile, quoi.

    Au lieu de se siphonner 20% de nos revenus par le méchant impôt, on pourrait faire bouillir la marmite fédérale en acquittant des clopinettes moins élevées que les frais bancaires. Un vrai «Black Friday» fiscal. C’est ma foi un coup à la David Copperfield. On fait disparaître les impôts comme il a caché la Statue de la liberté: elle était toujours là, même si on ne la voyait plus.

    Aucune réponse

    Peu importe que l’impôt soit prélevé d’un coup ou par d’infimes pourcentages: le résultat est le même. Et l’on ferait mieux de se demander qui va payer l’impôt. Car la micro-taxe ne fournit malheureusement aucune réponse à cette question.

    Notre système fiscal n’est pas exempt de défauts. Mais il a au moins l’avantage social d’être progressif et de définir qui paie quoi, sur quelle base. On taxe le revenu, la fortune ou les donations dans des proportions variables, selon la capacité contributive. La micro-taxe, elle, ne s’embarrasse pas de tout cela: elle impose l’argent qui circule, parce qu’il circule. Ce qui reste une cause assez légère.

    Micro-goutte-à-micro-goutte

    Rien ne garantit que les riches paieront davantage que les pauvres, au contraire. La charge fiscale liée à un revenu d’un million de francs sera immédiatement divisée par cent. Cette différence, quelqu’un devra la payer. La micro-taxe arrache aussi à la fiscalité son effet de levier qui permet de soutenir des comportements vertueux, comme l’épargne-retraite ou la rénovation énergétique des bâtiments.

    Avec la micro-taxe, on ne remplit la baignoire non plus au robinet, mais au goutte-à-goutte, au micro-goutte-à-micro-goutte. En espérant que personne ne remarque rien. Débattons de la taille de la baignoire et du robinet. Mais évitons ces artifices fiscaux qui fonctionnent comme un moteur qui fuit doucement. Sans allumer de voyant sur le tableau de bord. Mais qui fuit quand même.

  • Du choléra aux spaghettis corona

    Du choléra aux spaghettis corona

    Est-il possible de parler d’autre chose que de pandémie? Probablement pas, car il est temps de mettre toutes nos forces et notre intelligence à combattre ce fléau pour que nous puissions passer le plus vite possible à autre chose.

    Le 25 janvier, GastroValais organisait une opération séduction pour découvrir le choléra. On s’en souviendra… Le choléra, c’est une recette de cuisine qui remonte à l’épidémie valaisanne éponyme de 1836. A cette époque, quelqu’un avait eu le besoin impérieux de mélanger tout ce qu’il avait sous la main pour ne pas mourir de faim. On n’est pas dans le registre de la grande cuisine: de la pâte, du beurre, des pommes, des patates, des oignons. Et du fromage raclette AOP, pour les mieux lotis. C’est assez bon. Mais s’il fallait tenir un siège, on risquerait de s’en lasser.

    Deux siècles après l’invention de ces röstis en croûte, on provisionne les spaghettis sans les rebaptiser corona. Et de vendredi en vendredi, le Conseil fédéral annonce des mesures, toujours plus drastiques, pour protéger notre santé et éviter le crash complet de notre système.

    L’ordre martial

    Mais ce n’est jamais assez. Beaucoup exigent la mise sous scellés des citoyens, espérant battre le virus avec une quarantaine forcée aux contours assez flous. Cette croyance bizarre que la lutte contre le Covid-19 passera par les grandes vacances sur son canapé. Ou une vision un peu romantique de l’ordre martial qui pourrait perdre de son attrait au fil des semaines d’enfermement.

    Pour sauver autant de vies que possible, il faudra continuer à travailler, en respectant les consignes sanitaires évidemment. Pas par cupidité, mais par nécessité. Au moins là où la situation l’impose. Et ça fait du monde, vous serez surpris.

    Les fournisseurs des fournisseurs

    Imaginez les ressources dont un hôpital a besoin. Du personnel soignant bien sûr. Mais aussi technique. Du matériel à produire et acheminer. Des cuisines. Une blanchisserie et des équipes de nettoyage. Des ambulances et tout ce que ça implique. Imaginez la liste des fournisseurs du CHUV. Puis la liste des fournisseurs des fournisseurs… Et quid des autres secteurs vitaux en temps de coronavirus? Se nourrir, garder la frontière, produire de l’électricité, de l’eau, transporter tous ces travailleurs ou traiter les déchets: rares sont les professions inutiles dans une crise.

    Pour le reste, faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Et preuve d’un peu de responsabilité. Il n’est pas nécessaire que le confinement soit ordonné pour rester chez soi. Serrons-nous les coudes, mais pas trop. Limitons nos contacts. Et bientôt, dans quelques semaines, on rouvrira nos bras, nos portes et nos frontières. On se coupera les cheveux. Mais d’ici-là, prenons soin de nous, intelligemment.

  • Le vent lugubre du protectionnisme souffle sur la Suisse

    Le vent lugubre du protectionnisme souffle sur la Suisse

    Cette absurdité économique consiste à s’imposer un poison en étant convaincu qu’il nous fera du bien. Malheureusement, ce genre d’attitude masochiste a le vent en poupe.

    Un vent de protectionnisme souffle. Un de ces vents froids, secs. Il n’a pas l’air bien méchant, il porte pourtant la désolation et vous fiche un sacré rhume qui vous cloue au lit. Ça a commencé par ces votations successives pour boucler les frontières. Pour cause d’huile de palme ou pour empêcher les réfugiés syriens d’arriver jusqu’à nos portes. Et puis maintenant, ceux qui prônaient hier l’internationale socialiste se vantent ouvertement d’être «protectionnistes» quand ils se proposent de diriger leur parti.

    Le vent souffle aussi à Berne. Mû par le genre de patriotisme économique qui vaut à la France ce succès éclatant qu’on lui connaît, le parlement veut bloquer les investissements chinois en Suisse. Les contingenter. Par méfiance, avec une pointe de racisme aussi. Sans savoir – ou faisant semblant de l’ignorer – que celui qui rachète les entreprises de l’autre, c’est surtout la Suisse. On se venge comme on peut du coronavirus.

    La Commission de l’économie vous protège

    Le Conseil fédéral voulait aussi supprimer les droits de douane des produits industriels. Favorable aux entreprises et aux consommateurs, le projet n’est combattu que par les syndicats des douaniers et quelques enragés de la décroissance. Eh bien, malgré cette quasi-unanimité, c’est non. Au nom d’un intérêt public invraisemblable, la Commission de l’économie vous protège. Et s’assurera que vous payerez votre dû sur chaque boulon qui franchira la frontière. Il faut bien sauver les gens d’eux-mêmes.

    L’embargo est un acte de guerre que le droit international prohibe, en principe. Avant le tapis de bombes, on essaie d’asphyxier son adversaire en lui interdisant de commercer. On ne le souhaite en principe à personne. Ce sont des méthodes réservées pour les régimes d’affreux tyrans. Et pourtant. Le protectionnisme, c’est la même chose, mais on se le fait à soi-même. Curieusement, ses partisans sont persuadés que ce qui tue votre ennemi vous rendra plus fort quand vous l’appliquerez à vous-même, à vos concitoyens. Allez comprendre.

    Depuis quatre ans, la gauche se moque de Trump et son America First. Mais comme tout se passe en Suisse avec des années de retard, c’est elle qui applique aujourd’hui le même programme absurde, convaincue que les formules qui ont échoué partout ailleurs et à toutes les époques cartonneront ici et aujourd’hui.

  • Le 17 mai, c’est le plan C, comme Chaos.

    Le 17 mai, c’est le plan C, comme Chaos.

    Chronique publiée en allemand, le 28 février 2020, dans le Walliserbote.

    Pendant les deux minutes de lecture de cette petite chronique, l’économie suisse aura échangé un peu plus de 2,6 millions de francs avec l’économie européenne. C’est un chiffre qui donne le tournis. Inlassablement, jour et nuit, vingt-quatre heures par jour, dimanche et jours fériés inclus, nous commerçons quotidiennement pour plus de deux milliards de francs avec notre voisin.

    Autant dire que la qualité des relations qui nous lient est importante. Pour notre prospérité. Pour l’emploi. Pour notre qualité de vie.

    Avec l’Europe, il y a eu le plan A, comme adhésion. Rejeté en 1992. C’est le plan B, comme bilatérales, qui a été choisi. Des centaines d’accords et de conventions taillées sur mesure pour la Suisse. Et ce plan fonctionne assez bien, on doit l’admettre. Il n’est pas parfait, mais il a au moins eu le mérite de nous apporter un certain confort de vie tout en maintenant notre souveraineté.

    Le 17 mai prochain, nous voterons sur une initiative qui réclame la fin de l’accord de libre-circulation des personnes. Or, dans ce cas, l’article 25 de cet accord prévoit expressément la fin automatique des autres accords bilatéraux du premier paquet. Ce n’est pas négociable, discutable, c’est la loi.

    En pratique, nous choisirons si la Suisse doit se passer de la libre-circulation des personnes, mais aussi de l’accord sur le transport aérien, sur le transport par rail et route, sur les échanges de produits agricoles, sur les reconnaissances mutuelles de conformité, sur les marchés publics ou sur la coopération scientifique et technologique.

    Ce ne sont pas des broutilles. L’accord agricole ouvre le marché européen à l’industrie agroalimentaire, par exemple celle du fromage qui a connu un essor extraordinaire au cours des vingt dernières années. L’accord sur la reconnaissance des produits assure que les produits autorisés en Suisse le soient aussi en Europe, notamment dans le secteur pharmaceutique. C’est grâce à l’accord sur les marchés publics que Stalder Rail a pu concourir et remporter le marché des transports publics de Darmstadt en Allemagne. Sans lui, nous serions exclus des marchés publics dans les secteurs de l’énergie, des transports et des télécommunications.  

    La libre-circulation, elle, garantit à 450’000 Suisses de pouvoir vivre et travailler dans l’Union européenne. Elle constitue un modèle de gestion de l’immigration qui fait primer les besoins de l’économie sur une bureaucratie tatillonne. Les contingents que l’on applique avec les pays tiers sont déjà la bête noire des entreprises qui prospèrent, à commencer par celles qui ont investi massivement sur le site industriel de Viège.

    La libre-circulation a aussi sa face sombre, c’est vrai. Il y a des citoyens, en Suisse, qui souffrent de la concurrence des travailleurs européens. Le parlement créera en session de printemps une rente-pont pour les chômeurs en fin de droit de plus de 60 ans. Quelque 6’000 personnes en Suisse. Il est plus efficace d’aider les perdants d’un système qui a fait ses preuves que de démolir ce même système.  

    La Suisse doit faire le choix entre la voie bilatérale, taillée sur mesure ou le modèle des pays qui n’ont aucun lien particulier avec ce grand marché unique, comme la Turquie ou l’Ukraine. Après le plan A et le plan B, on peut essayer le plan C, comme Chaos. Par sûr que ce soit une expérience très amusante.

  • Bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider

    Bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider

    A tout problème privé, il existe une solution publique. Qui n’est pas forcément la meilleure. Parfois la pire. La définition du rôle de l’Etat suscitera encore de longs débats philosophiques, mais elle n’est pas immuable.

    Plus encore qu’un acteur et un président, Ronald Reagan était l’homme de la formule. De celles qui font mouche et que j’adore recycler. Par exemple: «Les dix mots les plus terrifiants de la langue sont: bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider.»

    Comme élu, le tout-à-l’Etat, on connaît. Nos messageries regorgent de supplications pour des réponses publiques aux problèmes privés. Avec de grandes idées pour dépenser l’argent des autres. Toujours pour le bien commun, s’entend. On se vante pourtant assez peu des inventions des collectivités. Je crois à l’intelligence individuelle. Et si la Suisse fonctionne, c’est peut-être aussi qu’elle a confié à des privés le soin de mettre en œuvre ses grandes institutions comme la plupart des assurances sociales ou certains services publics.

    La chasse et les déchets

    Même entre cantons, on diverge. A Genève, chasser est le rôle d’un fonctionnaire. En Valais, des passionnés paient, et cher, pour le faire pendant leurs loisirs. La gestion des déchets est considérée par la plupart comme une tâche quasi régalienne. C’est pourtant l’apanage de sociétés privées très profitables et les acteurs les moins efficaces du secteur, d’un point de vue tant financier qu’écologique, sont les régies publiques.

    Il est classique d’opposer aux libéraux qu’il faut un Etat fort pour construire les routes. Qui s’amuserait à poser du bitume et des trottoirs si ce n’est la collectivité? Et pourtant… En Amérique, Domino’s Pizza fait sa pub en réparant les réseaux routiers mal entretenus. Le but prétendu est de protéger leur production contre les nids-de-poule lors des livraisons. En réalité, ils pointent du doigt le tarissement des dépenses d’entretien du réseau routier à la faveur de nouvelles tâches prétendument publiques.

    A l’inverse, plus près de chez nous, on sait que l’Etat n’en finit pas de ne pas finir l’autoroute du Haut-Valais. Incapable manifestement de réaliser une infrastructure élémentaire, suscitant d’éternelles moqueries.

    Nous, les politiciens, sommes par essence incompétents pour presque tout et spécialistes pour presque rien. Comme tout le monde. Et c’est certainement pour cela qu’il est souvent plus efficace de confier des tâches au marché et aux citoyens plutôt que de chercher à tout gérer nous-mêmes.

  • La roulette russe de Novartis, une pilule dans le barillet

    La roulette russe de Novartis, une pilule dans le barillet

    Novartis a envisagé de tirer au sort 100 nourrissons qui auraient eu droit à sa thérapie géniale et hors de prix. Pour qu’ils aient la vie sauve. La démarche impose une réflexion sur la prise en charge des innovations par nos systèmes de santé modernes. Mais n’enlève rien au caractère immoral de la proposition du géant pharmaceutique.

    C’est de Gaulle qui avait eu cette méchante phrase: «Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche.» Au grand dam des finances publiques et pour notre bien à tous, le temps lui donne tort. L’industrie pharmaceutique invente des médicaments. Qui soignent des maladies jusqu’ici incurables. Qui redonnent de l’espoir. Mais qui coûtent un saladier.

    Prenez le Zolgensma. Cette thérapie pourrait sauver des vies. Et pas n’importe lesquelles. Celles des enfants. Pour plus de 2 millions de francs l’unité. A ce tarif, nos systèmes sociaux rechignent à passer à la caisse. Pour leur forcer la main, Novartis voulait tirer au sort 100 nourrissons qui bénéficieraient gratuitement du traitement. Les autres mourront. Probablement. Le procédé est infernal, insupportable.

    La vie n’a pas de prix. Le médicament oui, et non des moindres. Avec ces thérapies, nous soignerons peut-être des leucémies. Ralentirons la mucoviscidose. Ferons du cancer une maladie chronique. En déboursant par patient des centaines de milliers de francs. Voire des millions. Mis bout à bout, sans doute des milliards.

    On pourrait limiter les marges de ces inventions dont le succès dépend du brevet. Aux droits découlant d’une position dominante sur le marché, le devoir de pratiquer des tarifs raisonnables. Mais au risque de doucher les espoirs, cela ne suffira pas. A priori, ce sont bien les coûts mirobolants de la recherche qui expliquent l’essentiel des tarifs, et fabriquer la pilule miracle n’est pas une sinécure.

    Une proposition bestiale

    Un jour ou l’autre, nous devrons affronter le douloureux débat de l’étendue du système de santé. Jusqu’où lui consacrer nos revenus? Jusqu’au quart? A la moitié? Où est la limite? Admettre toutes les innovations techniques, c’est accepter la diminution de notre pouvoir d’achat et donc la paupérisation de la classe moyenne. Y renoncer, c’est laisser mourir des gens que l’on savait pouvoir guérir.

    Le hasard est le fruit de la nature, imparfaite. Celle qui laisse s’abattre la maladie au petit bonheur et la malchance sur les hommes et les femmes. C’est la fatalité qui joue à la roulette russe. A l’inverse, l’humanité doit rejeter ce hasard pour lui substituer la raison. En cela, la proposition de Novartis est immorale. Bestiale, même. In extremis, l’entreprise pharmaceutique y a renoncé. Elle aura toutefois mérité de poser un débat nécessaire.

  • La laborieuse créativité du selfie gouvernemental

    La laborieuse créativité du selfie gouvernemental

    C’est le dernier moment pour les vœux. Et pour revenir sur ceux du Conseil fédéral, qui passent nécessairement par cette laborieuse recherche d’originalité: la sempiternelle photo officielle, arrachée probablement à contrecœur pour beaucoup des modèles.

    C’est une jeune tradition que celle de la photo officielle du Conseil fédéral. Le premier selfie gouvernemental remonte à 1993 (ci-dessous). Et depuis, on nous gratifie d’un portrait annuel qui m’offre l’occasion d’une chronique plus légère que la glose juridico-climatique des derniers jours.

    Au début, les Sages sont restés sages. Sobres. A voir les images jaunies disponibles sur Admin.ch, on imagine bien le scénario de la photo. A l’issue de l’apéro de Noël, on alignait les sept ministres, le chancelier pour ne pas le laisser seul dans un coin, le président au milieu et on les photographiait. A chaque tremblement de terre, on remplaçait un ancien par un nouveau. Et c’était tout. Et ça allait très bien. C’était la photo officielle.

    Le bug est apparu en 2000 (ci-dessous). Pour ajouter un peu de rigole, on a mis un thème. Un peu de créativité dans le monde gris de la Berne fédérale. On a planté des décors. Des montagnes pour commencer. Et puis ça a dérapé, avec une espèce de délire artistique parfois incompréhensible. Un Palais fédéral pixélisé. Du noir-blanc à l’excès. Un pastiche de pub nulle pour les meubles USM. Des farandoles de croix suisses. Des conseillers fédéraux en marche, debout, assis, assis-debout. A l’usine, au petit-déjeuner, déguisés en Queen dans Bohemian Rhapsody, sur un fond de dessin animé ou dans un entrepôt. Les portraits soumis aux critiques d’art et à l’avis des politologues. Bientôt aux psychologues.

    J’ai de la compassion pour le stagiaire ou le collaborateur personnel du futur président de la Confédération qui se tape la corvée d’inventer le thème de la photo suivante. J’imagine le bizutage ou la punition. Le pauvre Hansruedi, peu habitué à ces bagatelles, forcé de trouver le truc laborieusement original pour donner une image cool au gouvernement.

     

    On a même désormais droit aux options auxquelles on a échappé. Cette année, ils ont hésité à nous faire un remake d’Abbey Road. Déguisés en Beatles, huit Ueli Lennon et Simonetta McCartney traversant les passages piétons de Berne. On s’en tire bien, finalement.

    Le résultat est parfois bon, c’est rare, mais il y en a eu. Comme celle des élus perdus dans la foule en 2008 (ci-dessus): plus une œuvre d’art statistique qu’une photo officielle. Mais en général, malheureusement, c’est raté. Et la photo vieillira mal. On s’amuse aujourd’hui de l’allure des élus de 1848 (ci-dessous), on pouffera des fantaisies de ceux de 2020.