Quel avenir pour la SSR après la redevance?

Hier, l’initiative «No Billag» a été repoussée dans un débat-fleuve, mi-discussion de café du commerce sur l’appartenance politique des journalistes, mi-étalage de lieux communs sur le ciment de la Suisse, Willensnation devenue «télénation».

Le soutien politique symbolise la cohésion de ce pays qu’aurait construite le média de service public. Tous se rangent derrière la SSR et la majorité des téléspectateurs et des cantons repousseront l’initiative, au nom de tout ce qui fait la Suisse.

Un goût d’inachevé

La liquidation de «No Billag» laisse un goût d’inachevé. Jusqu’au-boutiste, l’initiative paraît peu applicable en plus d’être très violente à l’égard du service public. Malgré tout, elle soulève des questions auxquelles il faudra un jour répondre, à moins de laisser le marché s’en occuper seul.

Les générations actives et leurs représentants au Parlement sont encore les enfants de la télévision, les chaînes publiques constituent notre référentiel médiatique. Malgré nous, les bouleversements technologiques démolissent une à une les évidences d’il y a quelques années.

«Digital natives»

Signe de ces changements, les études foisonnent sur le rapport aux médias des «digital natives», cette génération post-téléviseur qui ne fait rien comme la précédente. Sans jeter tout le produit à la poubelle, on ne peut pas ignorer que les nouveaux consommateurs ne regardent pas la télévision – s’ils la regardent – comme ceux d’avant. Et cela ne signifie encore pas que la Suisse va disparaître.

Face aux centaines de chaînes disponibles, aux offres de films et de programmes sportifs à la demande et au développement des médias électroniques, la redevance obligatoire et forfaitaire paraît désuète pour financer durablement le service public. Dans un monde où chaque citoyen consomme les médias d’une manière propre, il est de moins en moins imaginable que les uns imposent aux autres des habitudes toujours moins communes.

Devoir d’anticipation

En rejetant toute discussion sur un autre modèle que le tout à la redevance, le parlement et la SSR manquent à leur devoir d’anticipation. Je crains le moment où une majorité adoptera une loi qui lui dicte la bonne méthode de consommer des informations, du divertissement, du sport. Ce jour-là, il sera malheureusement trop tard pour réagir. Comme l’industrie musicale voulait nous renvoyer chez les disquaires à coups de procédures judiciaires, les élus rêvent encore que la redevance nous maintiendra devant le téléviseur.

A chaque innovation, son interdiction: la preuve par Booking.com

A chaque succès sur Internet correspond une proposition pour l’interdire ou le limiter en Suisse. Cet été, ce sont Booking.com et les plateformes de réservation que cible le parlement. Le législateur veut encourager les clients à ne pas payer la commission du courtier. Absurde.

L’interdiction de la semaine vous est offerte par le Conseil des Etats. Les sénateurs, mus par les meilleures intentions du monde, veulent bannir les «clauses de parité» dans les contrats liant les plateformes de réservation et les hôteliers. En français, cela signifie que Booking.com devra tolérer que les hôtels partenaires cassent les prix en cas de vente directe sur Internet via leur propre site.

Sans oser le dire trop clairement, la branche espère que les clients, après avoir consulté gratuitement la plateforme et choisi un établissement en fonction des disponibilités, réservent directement auprès de l’hôtel pour lui permettre d’épargner la commission. Proposée dans d’autres domaines, une telle motion créerait un tollé. Par extension, on pourrait soutenir les clients qui achètent leurs vêtements en ligne après les avoir essayés en magasin. Ou ceux qui commandent sur Amazon une fois les conseils obtenus du libraire du quartier. Quand on se plaint de la disparition du commerce de détail, c’est une approche à peu près irresponsable.

On peut cogner fort

Mais sur ce coup-là, il paraît que c’est différent. Booking.com est en ligne, et par-dessus le marché, étranger. On peut donc cogner, et fort. Certes, ces plateformes pratiquent des comportements hégémoniques et des tarifs élevés. Pour y répondre, le Surveillant des prix s’est saisi du dossier. Cela ne rend pas légitimes les pratiques douteuses de ceux qui veulent profiter du service sans le payer. En général, c’est même l’inverse qui est prévu: le droit impose le paiement du salaire du courtier, même quand les parties l’ont contourné au moment de conclure le contrat.

«Au nom du bien commun»

Booking, leader du secteur, est né aux Pays-Bas. La plupart des géants du Web viennent d’outre-Atlantique. Il ne faut pas s’étonner que ces grands succès ne naissent pas en Suisse: pour chaque bonne idée, on y trouve toujours un élu éclairé pour vouloir l’interdire. Uber, Airbnb, Booking, Amazon, Netflix, Spotify: tous connaissent leurs pourfendeurs, au nom du bien commun, un bien commun à leur propre branche du moins.

Quand on y pense, ce sont les mêmes qui nous cassent les pieds à longueur d’année avec des discours lénifiants sur l’innovation et la compétitivité des hautes écoles qui pondent ces lois destinées à ce que rien ne change. Quelle ironie.

 

Les autocars helvétiques libéralisés se font attendre

Alors que les pays européens libéralisent le marché du transport public, la Suisse attend, temporise, regarde. Et verra finalement encore un nouveau secteur échapper aux entrepreneurs helvétiques.

Les pays d’Europe ont libéralisé l’autocar. Le transport public est le théâtre d’une compétition entre les chemins de fer historiques et des entreprises privées qui attirent les clients avec des tarifs hyperavantageux. La Suisse, Sonderfall devant l’Eternel, se trouve désormais encerclée de pays adeptes du bus. Comble du ridicule: les accords bilatéraux garantissent aux compagnies étrangères le droit d’opérer depuis et vers la Suisse, à condition de ne pas laisser les passagers faire un trajet interne.

Bon marché, l’autocar permet à des citoyens peu fortunés et à des touristes sans demi-tarif de voyager en évitant la ruine. D’un point de vue écologique, il apparaît qu’un bus ne pollue pas tellement plus qu’un train régional. En Allemagne, on a constaté que le bilan du point de vue du trafic était positif, sans mettre en danger les chemins de fer nationaux.

Le crime: ne pas avoir choisi le chemin de fer

Heureusement, face au risque majeur de voir les choses changer, le Conseil fédéral a combattu toute libéralisation. Apprenant que des citoyens peu scrupuleux avaient l’outrecuidance de pratiquer le cabotage en toute illégalité (soit le fait de descendre du bus avant son arrivée), l’Office fédéral des transports s’est mis en tête d’inventer une sanction pour punir ces voyageurs. Passagers dont le seul crime est de ne pas avoir choisi le chemin de fer, devenu hors de prix pour un certain nombre de personnes. Heureux pays celui qui n’a que de petits problèmes.

Dans les embouteillages administratifs

La semaine dernière, la Commission des Etats a traité ma motion qui propose l’ouverture du marché en Suisse. Libéralisera, libéralisera pas l’autocar? Réponse: on temporise. La Commission a suspendu le traitement de l’objet, dans l’attente d’un rapport promis par le gouvernement. Rapport qui, pour la petite histoire, est pris dans les embouteillages administratifs puisque sa publication a déjà été reportée du premier semestre à la fin de l’année.

Pendant que le monde bouge, nous annonçons, nous écrivons et nous attendons des rapports. Les compagnies étrangères s’implantent en Suisse, acquièrent une clientèle et préparent le terrain d’une libéralisation inévitable. Ce jour-là, les sociétés suisses se retrouveront prises de court par Flixbus (Allemagne) et Ouibus (France), à l’image des taxis qui n’ont pour beaucoup pas su prendre le virage de la numérisation. Et il sera trop tard pour se plaindre.