Fathi, cette fois, c’est fini

Une nouvelle législature s’ouvre, notre chroniqueur se réjouit de rencontrer de nouveaux collègues, mais tient à faire ses adieux à son prédécesseur dans les colonnes du «Temps», Fathi Derder.

Voilà, c’est fini. La 50e législature commence vraiment à sentir le sapin. Celle des élus de 2015. Théoriquement, nous sommes encore en place. S’il fallait réunir d’urgence l’Assemblée fédérale pour choisir un général en chef, ce serait encore nous. Jusqu’au 2 décembre. Mais en pratique, on s’est déjà dit au revoir le 27 septembre. Le dernier jour de la dernière session. Cette journée avait un air de fin des classes, avant la maturité. On se dit «à bientôt», décontractés, en tremblant secrètement pour le résultat final.

Depuis dimanche, on connaît le nom de ceux qui ont réussi l’examen. Il y a ceux qui espéraient, mais qui resteront à la maison. Et il y a ceux qui ont renoncé. Parmi eux, mon prédécesseur, dans l’exercice de cette chronique. Une sacrée plume. Mais Fathi, c’est fini. Et je rends hommage à ce parlementaire pas vraiment comme les autres. Celui qui y était sans vraiment y être. Il a d’ailleurs écrit un bouquin pour nous dégonfler tous, nos petites manies et nos petits défauts.

Une saucisse aux choux en prime

Le genre d’élu qu’on ne voyait pas souvent là où il fallait, comme aux séances de groupe. Pas trop non plus aux fêtes folkloriques, ni aux autres mondanités cantonales incontournables pour tout candidat aux élections fédérales. Pas étonnant d’ailleurs qu’il ait senti le vent du boulet en 2015 déjà. Je me souviens d’ailleurs de cette soirée du 24 janvier dans une commune de son district où sa chaise, en face de moi, est restée désespérément vide toute la soirée. J’ai mangé deux saucisses aux choux pour la peine. Pas fait le déplacement pour rien.

Fathi Derder, l’élu qui siégeait juste derrière moi, était un atypique. On l’est tous un peu, mais lui un peu plus que les autres. Et c’est aussi ce qui faisait son charme. Il était du genre à pouvoir changer d’opinion. Pas sur un détail, mais sur le fond d’un dossier. A savoir: se laisser convaincre. La marque d’une intelligence qui manque parfois.

Et puis il y a ces dossiers qu’il a portés, en faveur de l’innovation et des start-up. Des choses importantes, qui n’excitent pas toujours les foules, mais essentielles pour la Suisse de demain. Une chose est certaine, il en aurait fallu un peu plus, de ces Fathi. J’espère qu’on n’a pas cassé le moule. Pour les autres, je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, tu vas me manquer.

Greta Thunberg, le message et la messagère

Voici la chronique que je m’étais promis de ne pas écrire avant les élections. Peut-être même de ne jamais écrire.

C’était en 1999. J’étais aussi adolescent, aussi à New York. Je l’avoue, j’avais pris un avion de ligne. Ce catamaran du pauvre. J’y étais pour un projet informatique, dans une de ces start-up qui ont disparu dans le tsunami qui a emporté la moitié du Nasdaq en 2001. De retour, j’ai aussi eu droit à certaines faveurs de la presse. Du genre de l’enfant prodige. Ça a dû en agacer plus d’un. J’arborais déjà cette tête à claques à laquelle on griffonne des moustaches au bord des routes. Et c’est aussi pour cela que je m’émeus des attaques qu’elle subit. Que j’ai de la sympathie pour Greta Thunberg. Pour la personne. Pour la jeune femme de 16 ans qui croit à ce qu’elle fait.

Son message, par contre, c’est une autre histoire. Et en particulier son discours à l’ONU et le nombrilisme de son «How dare you?» qui frise l’indécence.

Les dirigeants du monde ne se sont pas réunis pour parler de croissance infinie. Ils se rencontrent pour parler réchauffement climatique. Et y trouver des solutions.

Cent mille personnes manifestent parce que rien ne se passe. Et l’on insulte quand quelque chose arrive. Que veulent les grévistes du climat? Une thérapie collective new age ou des réponses sérieuses?

Il y a encore eu cette plainte. Contre les pays qui n’en feraient pas assez. Pas contre la Chine. Pas contre l’Amérique. Non. Ces pays se partagent presque la moitié des émissions de gaz à effet de serre. Non, on porte plainte contre l’Allemagne. Ce pays qui débloquait la veille 100 milliards d’euros pour le climat. Le message est clair: ne faites rien, ça vaut mieux.

Et puis, il y a cette phrase qui choque. «Vous avez volé mes rêves d’enfant.» Lancée à une assemblée qui compte, entre autres, le président indien. Un pays où plus de 170 millions de personnes vivent avec moins de 1,70 dollar par jour. Où des millions d’enfants, bien plus jeunes que Greta Thunberg, travaillent quotidiennement pour nourrir leur famille, dans des conditions qui n’ont rien de suédois.

On peut agir pour le climat sans injurier les millions de personnes qui s’engagent au quotidien, partout, à tous les échelons, pour essayer de rendre le monde un peu meilleur. Et cela n’est pas s’en prendre à une jeune femme que de le dire.

La carte d’identité numérique, ce truc inutile

Elle est arrivée certainement vingt ans trop tard. Notre chroniqueur prend le pari que le succès confidentiel de ce gadget montrera une fois de plus que le temps politique n’a rien à voir avec celui du monde réel, ou plutôt virtuel en l’espèce.

Toujours en avance de deux guerres, les Chambres fédérales mettent sous toit une loi sur les identifiants numériques. Roulements de tambour, la carte d’identité électronique va débarquer. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la bataille est sensationnelle.

Côté place Fédérale, les Etats estiment que l’identité est une tâche régalienne et ne saurait être déléguée à des privés. Côté Aar, le National est tenté de confier la réalisation de nos papiers à des entreprises commerciales. Peut-être à cause de la proximité des élections fédérales. On pourrait croire que le destin du monde se joue sous nos yeux. Comme si notre propre identité était en jeu. Et de part et d’autre, on n’hésite pas à brandir la menace nucléaire du référendum.

D’autres supercheries en vue

Cette loi ne sert à rien. Nous n’avons pas besoin de carte d’identité numérique. Dans dix ans, la poignée de sociétés qui auront reçu l’autorisation de délivrer des «e-Id» sera en sursis concordataire ou reconvertie dans une autre supercherie électronique. On parie?

Selon le Conseil fédéral, la carte d’identité électronique doit permettre aux prestataires de «donner confiance dans l’identité et l’authenticité de l’interlocuteur». Elle contribuera à «l’expansion des transactions en ligne, même au-delà des frontières nationales». Non, vous ne rêvez pas. A Berne, nous ouvrons la voie pour des transactions électroniques sans limites. Dans un futur pas si lointain, grâce à nous, vous pourrez réserver un billet d’avion sur internet. Y faire vos courses. Choisir un hôtel, à l’étranger aussi. Peut-être même – qui sait? – gérer votre compte bancaire sans passer au guichet. On n’arrête pas le progrès.

Même à Troistorrents…

Au grand désespoir du monde politique, personne n’a attendu les élus fédéraux pour développer ces services. Depuis des années, la carte de crédit nous identifie. Les Britanniques survivent même sans carte d’identité du tout. Et même ma petite commune de Troistorrents (VS), sans avoir la prétention d’être la plus connectée du pays, offre déjà un comptoir virtuel qui répond à tous les besoins des citoyens. Et pour ce qui ne serait pas prévu, ils répondent au téléphone et aux e-mails. Un peu comme tout le monde.

Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, disait Montesquieu. Je suis pourtant atterré de voir comment on peut facilement confondre les unes et les autres.

L’heure de gloire des lobbyistes

Avec l’arrivée des élections fédérales, les groupes d’intérêt de toutes sortes publient les classements des bons et des mauvais élus. De ceux qu’il faut cumuler, de ceux qu’il faut tracer. Forcément subjectifs, ces «rankings» sont leur revanche.

Lobbyiste. Peut-être le pire métier du monde. Attendre devant la porte. Quémander une rencontre avec un élu qui n’y comprend rien. Et qui vous perçoit comme le porte-serviettes de la dernière des corporations. Subir les petites humiliations quotidiennes. Poireauter des heures à l’entrée du Palais. Pour se voir rembarré au dernier moment. Et finir dépeint comme la corruption personnifiée.

Quel masochisme!

Les plus téméraires tentent systématiquement d’approcher les élus du parti le plus éloigné de l’objet défendu. Un PLR pour saborder un accord de libre-échange. Un UDC pour interdire les armes à sous-munition. Un socialiste pour réduire l’impôt sur la fortune. Quelle abnégation. Quel masochisme. S’il y a un job que je fuirais, c’est bien celui-là. Je le classe dans la même catégorie que télémarketeur. Ces gens qui vous appellent n’importe quand pour vous vendre n’importe quoi. Et dont vous n’avez pas envie, par principe.

On peut comprendre que tous ces lobbyistes prennent leur revanche avec les élections. Ils tiennent enfin l’occasion de cogner sur ceux qui ont commis l’outrage de ne pas partager leurs préoccupations. Ou celles de leur client. Ou de leur employeur. De lobbyistes, les divers et variés groupes d’intérêt deviennent ainsi dénonciateurs publics. Et pondent des rankings de toutes sortes. Espérant faire pleuvoir les coups de crayon fatals sur la tête des candidats hermétiques à leurs causes.

Sus aux affreux jojos

Par exemple, les organisations écologistes publient un écorating. Ou coco-rating. On y épingle les affreux jojos dont le pain quotidien s’est résumé pendant quatre ans à détruire notre environnement. Forcément, c’est un peu biaisé. On s’inquiète surtout que vous partagiez la conscience écologiste des organisations qui téléguident le classement. Pour peu que vous acceptiez toutes les nouvelles interdictions, les nouvelles lois, les nouvelles taxes, vous êtes dans le camp du bien. Avec une invitation à peine voilée à biffer les mal classés.

L’heure du jugement est ainsi venue. Les consommateurs, les arts et métiers, les tireurs, les paysans, et même ceux qui veulent l’interdiction de la 5G s’y sont mis. La liste des candidats à biffer s’allonge, se recoupe, se contredit. Et c’est dans ces moments que, pour la seule fois de la législature, je voudrais pratiquer le pire métier du monde. Juste une fois. Juste le temps d’une élection.

Don Quichotte contre Netflix

Taxer les géants du Net, c’est tendance. A défaut d’innover dans la technologie, les administrations nationales deviennent un vivier à idées fiscales, qui ont toutefois montré leurs limites et s’avèrent finalement assez peu convaincantes du point de vue de l’intérêt public.

C’est en grande pompe et en juillet que le ministre de l’Economie a obtenu sa taxe sur les GAFA pour la France. Ce pays merveilleux où, comme chacun le sait, les finances publiques brillent par leur rachitisme. Le fond de l’affaire était entendu. Quand une société américaine gagne de l’argent, Bercy tousse. Quand elle ne lui verse pas d’impôts, Bercy s’étouffe. Mais Bercy sera sauvé, grâce à la taxe GAFA. Un nouvel impôt de 3% frappera le chiffre d’affaires de ces horribles sociétés dont le grand défaut est d’avoir réussi là où le Minitel et le Bi-Bop ont échoué: inventer un monde connecté.

O rage! ô désespoir! Les grands docteurs ès impôts n’ont pas su anticiper la réplique. A la surprise générale, Amazon reportera les 3% sur ses «partenaires», soit des petits commerçants bien français qui profitent de la plateforme américaine pour y gagner leur vie. Et qui supporteront désormais une nouvelle charge dont ils se seraient bien passés. Le géant américain échappera, quant à lui, à ces velléités toutes populistes qui consistent à faire croire que lorsqu’une entreprise est imposée, la facture n’est pas payée par le client ou le salarié.

«Quand on taxe le lait, ce n’est pas la vache qui paie l’impôt»

Ne rions pas trop du malheur de nos voisins. En Suisse, c’est l’Office fédéral de la culture qui s’est lancé dans la taxation aventureuse des méchants du numérique. Ils veulent ainsi prendre à Netflix et à ses concurrents 4% de leurs revenus. Pour le cinéma indigène. Quand la cause est noble, tous les moyens sont bons.

Pour n’avoir pas su inventer une plateforme à succès, pour n’avoir pas trouvé de réponse intelligente au piratage, l’OFC va punir les esprits inventifs qui l’ont réalisée sans s’encombrer des conseils avisés des fonctionnaires de la culture. Et bien entendu, le Père Noël n’existant pas, la taxe sera payée par les abonnements des vilains clients qui ont l’audace de ne pas se contenter de la production publique.

Quand on taxe le lait, ce n’est pas la vache qui paie l’impôt. Cette formule amusante illustre assez bien l’absurdité du raisonnement des politiques qui se persuadent au quotidien qu’il ne manque qu’une dernière taxe, qu’une dernière loi pour atteindre le bonheur. Et qui malheureusement l’adoptent.

 

Extinction Rebellion, ou l’art d’enfoncer les portes ouvertes

Une cinquantaine de ses militants ont tenu une manifestation illicite devant le Palais fédéral, nécessitant le déploiement d’une colonne de policiers pour assurer le fonctionnement de la session. Tout cela pour trois revendications, dont l’institution d’un parlement démocratique.

«Ce n’est que le début.» C’est avec ce message au ton un peu menaçant que le groupuscule Extinction Rebellion, XR pour les intimes, s’est réuni sur la place Fédérale, pendant la session. La veille, une petite note du bureau du National avait été adressée aux députés. Nous étions invités à rejoindre nos sièges en catimini. Par les annexes du parlement, histoire d’éviter la confrontation avec des manifestants qui se réunissaient sans autorisation, pour déverser des litres de faux sang sur le parvis du Palais.

Ce genre de démonstration de force n’est pas du goût des élus. Deux cent quarante-six élus du peuple face à une poignée de mécontents: le jeu démocratique et numérique voulait que les premiers l’emportent. Et nous l’avons emporté.

Un militant de XR a néanmoins eu l’occasion de me tendre un papillon alors que je traversais le cordon de police. Ils y revendiquaient la mise en place «d’assemblées citoyennes locales et nationales pour assurer une transition juste et démocratique». Quelle idée de génie.

On pourrait réunir dans une ville suisse, à Berne par exemple, des représentants choisis par les citoyens pour débattre et décider des sujets d’avenir du pays. On renouvellerait leur mandat régulièrement. Pour ensuite tenter de les empêcher de travailler en tenant des manifestations illégales. A ce niveau-là, on enfonce des écluses ouvertes.

Réclamer ce qui existe déjà…

A coups de pancartes, de flyers et de chants, on réclame ce qui existe. Il est consternant de voir tant de citoyens ignorer tout ce qui se fait déjà. Aussi pour le climat. Des milliards de subventions pour isoler les bâtiments? Ça se fait. Des dizaines de milliards pour les transports publics? On les a appelés Rail 2000, FAIF, PRODES et NLFA. On peut encore citer pêle-mêle la RPC, la réduction des produits phytosanitaires, les paiements directs pour l’écologie dans l’agriculture. Les taxes poubelles, CO2et sur tous les produits chimiques possibles et imaginables. Tout cela existe déjà. Et produit des effets: un Suisse moyen émet 4,3 tonnes de CO2 en 2018 contre 6,8 en 1970.

Certes, ce n’est pas assez. Certes, on doit en faire davantage. On en fera davantage. Mais je doute que verser des litres de faux sang sur la place Fédérale, fût-il issu de l’agriculture biologique, ne résolve efficacement le problème.

Sorry for the tongue

Une fois le Brexit consommé, l’anglais ne sera plus une langue officielle de l’Union européenne. Pourtant, on juge encore le sérieux d’un dirigeant à sa capacité à s’exprimer en anglais, même si la réciproque ne compte pas. Et si l’on se montrait plus conciliant, en saluant l’effort plutôt que la performance?

«Sorry for the time.» Nicolas Sarkozy s’excusait ainsi de la pluie parisienne en accueillant Hillary Clinton lors de l’hiver 2010. Entre l’anglais et les élus, l’ambiance n’est pas toujours au beau fixe. On se rappelle aussi du «yes» qui needait le «no» to win against le «no». Jean-Pierre Raffarin dans toute la splendeur de la campagne pour la Constitution européenne.

Nous qui parlons tous forcément un anglais parfait, on se gausse des politiciens qui dérapent dans la langue de leur homologue. Qui se ridiculisent, paraît-il. Et quand Ueli Maurer patine devant une journaliste de CNN, on a l’impression de se prendre la honte nationale. Internationale, même.

Pourtant, l’hégémonie anglophone agace. En tout cas en ce qui me concerne. Croiser un de ces expats établis en Suisse depuis dix ans et incapable de baragouiner trois mots en français me casse les pieds. On dirait que les grands programmes pour les étrangers ne s’appliquent qu’aux arabophones et albanophones. Parlez turc à Renens, vous serez mal intégré. Exprimez-vous en anglais à Rolle, c’est Rolle qui ne vous aura pas compris.

Une Suisse simple et sincère

Sans être un grand partisan d’Ueli Maurer, je l’ai trouvé plutôt sympathique dans sa tentative ratée de donner une interview dans la langue de Walt Disney. L’accent n’y était pas. Le vocabulaire non plus. Mais l’intention, oui. Il a donné l’image d’une Suisse simple et sincère. Un peu comme Ogi avec son sapin ou Schneider-Ammann et sa journée des malades. Et le monde s’en remettra.

N’envoyons pas trop vite à l’échafaud ceux qui commettent des fautes dans une langue étrangère, parfois même nationale. A Berne, on se prétend tous bilingues. On fait semblant de comprendre les Haut-Valaisans quand ils se parlent entre eux. La grande fiction d’un parlement de polyglottes. Mais c’est l’effort que chacun réalise qui compte. Cette volonté de comprendre l’autre illustre à elle seule tout ce qui manque trop souvent en politique.

C’est peut-être pour cela que l’on n’entendra jamais Donald Trump se prendre les pieds dans le tapis lors d’une interview en français ou en allemand. L’arrogance linguistique, prémisse de toutes les autres. Comme le disent les Anglo-Saxons, ne nous moquons pas trop de ceux qui bafouillent en «broken english». Eux, au moins, parlent une autre langue.

Mordre le média qui me publie

Pendant le Forum des 100, les Chambres tenaient session. Le Temps publiait une édition spéciale intitulée «Terre brûlée», que j’ai dévorée. Ce quotidien a réussi à montrer comme personne les contradictions de notre société. Entre l’idéal que nous visons et les vices auxquels nous succombons.

Les articles… et la pub

On pouvait y lire de vibrants plaidoyers pour taxer les avions. En face, Ethiopian Airlines se payait une ostensible annonce nous invitant à découvrir l’Afrique au départ de Genève. Un peu plus loin, on pointait du doigt les technologies jugées inutiles. On critiquait la multiplication des gadgets de plastique et de silicium. On menait la charge contre la 5G, icône s’il en faut des dérives modernes…

… et Swisscom vantait à son tour ses produits dans une pleine page de pub. L’aménagement du territoire en prenait aussi pour son grade. Lutter contre le climat, c’est réduire notre impact sur le sol… Pourtant, la BCV proposait en page 38 des crédits à 0% pour l’acquisition de votre futur logement. J’achevais ma lecture par la réclame de Fust qui vendait un robot-aspirateur électrique pour 199 fr. 90. Quatre lignes plus haut, un jeune Neuchâtelois appelait à la décroissance immédiate.

Moins de tout

La liste des efforts nécessaires est longue. Presque infinie, dans un monde fini. Et quand on doit les mettre en œuvre, on comprend que nos petites actions positives ne pèsent pas très lourd au regard de nos mauvaises habitudes et de nos besoins du quotidien. Alors on se dit que c’est la faute d’en haut. Que les gouvernements doivent agir. Les «collapsologues» disent qu’il faut décroître. Et pour y arriver, il doit bien y avoir quelqu’un dans un bureau, là-bas à Berne ou à New York, pour décréter que les humains vivront désormais mieux avec moins. Moins d’argent. Moins de santé. Moins de logements. Moins de voyages.

Avec son édition spéciale, Le Temps a fait un travail d’accusateur public. Nommer les vices de notre société et expliquer le besoin d’améliorer notre modèle. De leur côté, les publicités ont rappelé crûment quelles étaient les mains que nous aimerions tant avoir le courage de mordre.

Frankenstein, Terminator et la 5G

La technophobie nourrit les fantasmes les plus irrationnels et les chefs-d’œuvre de science-fiction. Elle est aussi devenue le moteur de campagnes électorales malsaines. C’est pourtant l’ignorance qui doit être crainte.

«Les premières recherches faites de manière indépendante sur les effets sanitaires des émetteurs de téléphonie mobile donnent des résultats effrayants.» C’était l’accroche d’un article publié en 1999 dans le Journal du regretté Franz Weber: Les Natels pollueur.

On y apprenait qu’à Neuhausen, les ondes créaient des troubles de la vue et du cœur. A Zurich, les habitants dormaient dans des caves pour échapper aux radiations des téléphones. Les gens, pris de peur, fuyaient leur domicile. Les prix de l’immobilier s’effondraient. Comble de l’horreur, les opérateurs corrompaient les autorités pour multiplier les antennes et nous empoisonner tous. La téléphonie mobile allait aboutir à une mutation génétique généralisée.

Je n’exagère rien. Ce sont les mots d’un résistant de la première heure à l’invasion numérique. Avec du recul, on sourit de cette fin du monde absurde. Le Natel D nous aura finalement épargnés.

Des superstitions

La technophobie n’est pas fille de la 5G. Elle ravage les esprits depuis l’époque industrielle. Au moins. Elle a donné naissance à quelques mythes. A Frankenstein, à Terminator. Aux romans de Philip K. Dick, comme dans Blade Runner, où l’humanité de 2019 devait combattre des androïdes tueurs. Avec nos smartphones, on n’est pas passé loin.

Plus le savoir croît, plus les superstitions prolifèrent. Contre la robotisation. Contre le génie génétique. Contre les pesticides. Par le mouvement anti-vaccins, imperméable à toute pensée sérieuse. Prêt à laisser s’étendre des pandémies de rougeole et crever la population. Au diable l’intelligence humaine, Dieu reconnaîtra les siens.

Panique réactionnaire

La panique réactionnaire a maintenant saisi les députés. Les Don Quichotte cantonaux combattent la fleur au fusil les antennes-relais. Les prenant dans leur délire pour des monstres de métal magique. En année électorale, on défend un principe de précaution qui protège surtout de la raison, au profit de pseudosciences farfelues. Des voix mal acquises, sur le dos du progrès technique indispensable à l’amélioration de notre quotidien et de notre développement.

Le rôle des élites est de raisonner. De prendre du recul. Pas de flatter l’ignorance et la peur. En violation crasse de leurs compétences, plusieurs élus imaginent bloquer le progrès. Au mieux, on rira d’eux comme des Natel tueurs. Au pire, comme avec les vaccins, ils nous tueront.


Radio-TV: des taxes comme s’il en pleuvait

En 2015, le peuple acceptait une réforme de la redevance radio-TV qui alourdissait considérablement la charge des sociétés. On promettait une solution indolore, mais la réalité est tout autre.

C’est avec une poignée de voix d’avance que la loi fédérale sur la radio et la télévision (LRTV) avait été adoptée en 2015. Ironie de l’affaire, ce sont les votes des Suisses de l’étranger, non soumis à la redevance, qui avaient fait basculer le résultat. On est toujours prompt à accepter les impôts quand ils sont acquittés par d’autres.

A l’époque, comme à mon habitude du côté des méchants, je combattais la loi. Arguant son iniquité à l’égard des entreprises qui se voient depuis imposées sur leur chiffre d’affaires. Soi-disant pour réduire la redevance à charge des citoyens. L’absurdité du raisonnement illustrait déjà l’incompétence économique de l’administration. Les entreprises ne consomment pas de médias. Aucune. Il n’y a que des gens faits de chair et d’os qui regardent la télévision et écoutent la radio. Et lorsqu’on fait payer les entreprises, c’est forcément une personne physique qui paie au bout de la chaîne. L’actionnaire, le client ou le salarié, peu importe. Ce contribuable qui s’est déjà docilement acquitté de son obole à titre privé.

L’avidité du percepteur

Procédé classique. Au lieu d’alléger l’impôt, on le cache. On le dilue. Dans les comptes de pertes et profits des entreprises. Indirecte, invisible, la redevance devient un peu plus perfide. Mais toujours plus chère, même si elle est dissimulée dans le ticket de caisse.

Ce n’était pas encore assez pour l’avidité insatiable du percepteur, jamais en manque d’idées pour saigner à blanc les entreprises qui, ne l’oublions pas, ne votent pas. Non contente d’imposer la double peine en taxant injustement le chiffre d’affaires, voilà que l’Administration fédérale des contributions, successeur de l’infâme Billag en la matière, s’est mise à taxer les consortiums. Et introduire par la même occasion la triple peine.

Le consortium est un contrat. Une alliance de sociétés soumises elles-mêmes à la redevance. La richesse est prélevée une première fois dans la poche du citoyen. Une seconde dans les comptes de son employeur. Et une troisième fois au titre des accords conclus avec des tiers.

La Suisse est régulièrement placée en tête des classements des pays les plus innovants. On devrait inventer un classement des fiscs les plus inventifs. Sûr qu’on marquerait là aussi des points.