Le message de Gaïa à l’humanité pécheresse

Alors qu’on voit la lumière au bout du confinement, quelques partisans d’une écologie politique radicale trouvent dans le coronavirus un allié de poids pour imposer un programme d’austérité, de frugalité et de décroissance. Vision misanthrope et obscurantiste.

Au XVIe siècle, on se posait le plus sérieusement du monde la question de savoir comment soigner la peste noire sans défier la colère divine. La pandémie était reçue comme une punition du ciel, une fatalité qui confinait presque à la purification des péchés. On se gausse volontiers de cette époque où l’on menait des procès aux sauterelles et aux parasites vecteurs de maladies. Les temps ont changé, l’Eglise fait preuve d’une certaine modernité. Jusqu’ici, pangolins et chauves-souris ont échappé à la préventive.

Malheureusement, on n’est pas épargné par les néo-obscurantistes. Ceux-là que l’on attendait le moins, qui se proclament la voix de la science. Dominique Bourg, philosophe et ancien professeur de l’Université de Lausanne, nous explique dans une grande interview donnée au Temps que le coronavirus serait une espèce d’avertissement de la nature. Pour les pauvres hères qui sont tombés malades, jusqu’à en mourir parfois, ce n’est vraiment pas de bol. Ils ont reçu le message de Gaïa, qui «révèle l’interface violente entre nos sociétés et les systèmes naturels qu’elles ont dégradés». Bref, on ne l’a pas volé, nos sociétés récoltent ce qu’elles ont semé.

Délire animiste

Derrière ce délire animiste new age se cache une misanthropie détestable. Les extrémistes de l’écologie politique, ceux qui nous promettent le grand effondrement, voient dans le coronavirus un allié, à court terme, qui nous permet de réfléchir. Un soutien qui a déjà mis en œuvre une bonne partie de leur projet: les avions sont cloués au sol, les usines ralentissent, les voitures ne circulent plus. On ne pollue plus. On décroît. On recule. A toute vitesse.

Mais le bilan humain de la crise est catastrophique. En vies emportées, qui se comptent déjà en centaines de milliers. En emplois détruits. En richesses gâchées. En prospérité annihilée. En qualité de vie. Il faut vraiment détester ses semblables pour se réjouir de la crise que nous traversons.

A croire les sciences expérimentales, notre planète et la «nature» ne sont pas dotées d’une conscience propre. Elles n’ont pas d’opinion dont elles nous feraient part. Ni la foudre, ni les virus, ni les tremblements de terre ne sont l’expression d’un soutien ou d’un rejet d’un système politique ou économique. Et l’humanité a le droit, sans doute même le devoir moral, de tout mettre en œuvre pour se préserver de ces fléaux.

L’impôt prestidigitateur

La micro-taxe sur les transactions financières est présentée comme une révolution qui rendrait l’impôt indolore. Mais comme dans tous les tours de magie, il y a un truc qui ne permettra pas sérieusement de repenser notre système fiscal.

Après le RBI et la monnaie pleine, voici une nouvelle initiative qui projette modestement de révolutionner le monde par une machinerie fiscalo-financière: la micro-taxe sur les transactions. Le projet est alléchant. On liquide la TVA, l’impôt fédéral direct et le droit de timbre. Et on les remplace par une toute petite taxe indolore et incolore de 1‰, prélevée sur chaque transaction, du banal retrait aux virements internationaux entre multinationales. On encaisserait une centaine de milliards et des brouettes par année. Facile, quoi.

Au lieu de se siphonner 20% de nos revenus par le méchant impôt, on pourrait faire bouillir la marmite fédérale en acquittant des clopinettes moins élevées que les frais bancaires. Un vrai «Black Friday» fiscal. C’est ma foi un coup à la David Copperfield. On fait disparaître les impôts comme il a caché la Statue de la liberté: elle était toujours là, même si on ne la voyait plus.

Aucune réponse

Peu importe que l’impôt soit prélevé d’un coup ou par d’infimes pourcentages: le résultat est le même. Et l’on ferait mieux de se demander qui va payer l’impôt. Car la micro-taxe ne fournit malheureusement aucune réponse à cette question.

Notre système fiscal n’est pas exempt de défauts. Mais il a au moins l’avantage social d’être progressif et de définir qui paie quoi, sur quelle base. On taxe le revenu, la fortune ou les donations dans des proportions variables, selon la capacité contributive. La micro-taxe, elle, ne s’embarrasse pas de tout cela: elle impose l’argent qui circule, parce qu’il circule. Ce qui reste une cause assez légère.

Micro-goutte-à-micro-goutte

Rien ne garantit que les riches paieront davantage que les pauvres, au contraire. La charge fiscale liée à un revenu d’un million de francs sera immédiatement divisée par cent. Cette différence, quelqu’un devra la payer. La micro-taxe arrache aussi à la fiscalité son effet de levier qui permet de soutenir des comportements vertueux, comme l’épargne-retraite ou la rénovation énergétique des bâtiments.

Avec la micro-taxe, on ne remplit la baignoire non plus au robinet, mais au goutte-à-goutte, au micro-goutte-à-micro-goutte. En espérant que personne ne remarque rien. Débattons de la taille de la baignoire et du robinet. Mais évitons ces artifices fiscaux qui fonctionnent comme un moteur qui fuit doucement. Sans allumer de voyant sur le tableau de bord. Mais qui fuit quand même.

Du choléra aux spaghettis corona

Est-il possible de parler d’autre chose que de pandémie? Probablement pas, car il est temps de mettre toutes nos forces et notre intelligence à combattre ce fléau pour que nous puissions passer le plus vite possible à autre chose.

Le 25 janvier, GastroValais organisait une opération séduction pour découvrir le choléra. On s’en souviendra… Le choléra, c’est une recette de cuisine qui remonte à l’épidémie valaisanne éponyme de 1836. A cette époque, quelqu’un avait eu le besoin impérieux de mélanger tout ce qu’il avait sous la main pour ne pas mourir de faim. On n’est pas dans le registre de la grande cuisine: de la pâte, du beurre, des pommes, des patates, des oignons. Et du fromage raclette AOP, pour les mieux lotis. C’est assez bon. Mais s’il fallait tenir un siège, on risquerait de s’en lasser.

Deux siècles après l’invention de ces röstis en croûte, on provisionne les spaghettis sans les rebaptiser corona. Et de vendredi en vendredi, le Conseil fédéral annonce des mesures, toujours plus drastiques, pour protéger notre santé et éviter le crash complet de notre système.

L’ordre martial

Mais ce n’est jamais assez. Beaucoup exigent la mise sous scellés des citoyens, espérant battre le virus avec une quarantaine forcée aux contours assez flous. Cette croyance bizarre que la lutte contre le Covid-19 passera par les grandes vacances sur son canapé. Ou une vision un peu romantique de l’ordre martial qui pourrait perdre de son attrait au fil des semaines d’enfermement.

Pour sauver autant de vies que possible, il faudra continuer à travailler, en respectant les consignes sanitaires évidemment. Pas par cupidité, mais par nécessité. Au moins là où la situation l’impose. Et ça fait du monde, vous serez surpris.

Les fournisseurs des fournisseurs

Imaginez les ressources dont un hôpital a besoin. Du personnel soignant bien sûr. Mais aussi technique. Du matériel à produire et acheminer. Des cuisines. Une blanchisserie et des équipes de nettoyage. Des ambulances et tout ce que ça implique. Imaginez la liste des fournisseurs du CHUV. Puis la liste des fournisseurs des fournisseurs… Et quid des autres secteurs vitaux en temps de coronavirus? Se nourrir, garder la frontière, produire de l’électricité, de l’eau, transporter tous ces travailleurs ou traiter les déchets: rares sont les professions inutiles dans une crise.

Pour le reste, faisons contre mauvaise fortune bon cœur. Et preuve d’un peu de responsabilité. Il n’est pas nécessaire que le confinement soit ordonné pour rester chez soi. Serrons-nous les coudes, mais pas trop. Limitons nos contacts. Et bientôt, dans quelques semaines, on rouvrira nos bras, nos portes et nos frontières. On se coupera les cheveux. Mais d’ici-là, prenons soin de nous, intelligemment.

Bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider

A tout problème privé, il existe une solution publique. Qui n’est pas forcément la meilleure. Parfois la pire. La définition du rôle de l’Etat suscitera encore de longs débats philosophiques, mais elle n’est pas immuable.

Plus encore qu’un acteur et un président, Ronald Reagan était l’homme de la formule. De celles qui font mouche et que j’adore recycler. Par exemple: «Les dix mots les plus terrifiants de la langue sont: bonjour, je suis du gouvernement et je viens vous aider.»

Comme élu, le tout-à-l’Etat, on connaît. Nos messageries regorgent de supplications pour des réponses publiques aux problèmes privés. Avec de grandes idées pour dépenser l’argent des autres. Toujours pour le bien commun, s’entend. On se vante pourtant assez peu des inventions des collectivités. Je crois à l’intelligence individuelle. Et si la Suisse fonctionne, c’est peut-être aussi qu’elle a confié à des privés le soin de mettre en œuvre ses grandes institutions comme la plupart des assurances sociales ou certains services publics.

La chasse et les déchets

Même entre cantons, on diverge. A Genève, chasser est le rôle d’un fonctionnaire. En Valais, des passionnés paient, et cher, pour le faire pendant leurs loisirs. La gestion des déchets est considérée par la plupart comme une tâche quasi régalienne. C’est pourtant l’apanage de sociétés privées très profitables et les acteurs les moins efficaces du secteur, d’un point de vue tant financier qu’écologique, sont les régies publiques.

Il est classique d’opposer aux libéraux qu’il faut un Etat fort pour construire les routes. Qui s’amuserait à poser du bitume et des trottoirs si ce n’est la collectivité? Et pourtant… En Amérique, Domino’s Pizza fait sa pub en réparant les réseaux routiers mal entretenus. Le but prétendu est de protéger leur production contre les nids-de-poule lors des livraisons. En réalité, ils pointent du doigt le tarissement des dépenses d’entretien du réseau routier à la faveur de nouvelles tâches prétendument publiques.

A l’inverse, plus près de chez nous, on sait que l’Etat n’en finit pas de ne pas finir l’autoroute du Haut-Valais. Incapable manifestement de réaliser une infrastructure élémentaire, suscitant d’éternelles moqueries.

Nous, les politiciens, sommes par essence incompétents pour presque tout et spécialistes pour presque rien. Comme tout le monde. Et c’est certainement pour cela qu’il est souvent plus efficace de confier des tâches au marché et aux citoyens plutôt que de chercher à tout gérer nous-mêmes.

La roulette russe de Novartis, une pilule dans le barillet

Novartis a envisagé de tirer au sort 100 nourrissons qui auraient eu droit à sa thérapie géniale et hors de prix. Pour qu’ils aient la vie sauve. La démarche impose une réflexion sur la prise en charge des innovations par nos systèmes de santé modernes. Mais n’enlève rien au caractère immoral de la proposition du géant pharmaceutique.

C’est de Gaulle qui avait eu cette méchante phrase: «Des chercheurs qui cherchent, on en trouve. Des chercheurs qui trouvent, on en cherche.» Au grand dam des finances publiques et pour notre bien à tous, le temps lui donne tort. L’industrie pharmaceutique invente des médicaments. Qui soignent des maladies jusqu’ici incurables. Qui redonnent de l’espoir. Mais qui coûtent un saladier.

Prenez le Zolgensma. Cette thérapie pourrait sauver des vies. Et pas n’importe lesquelles. Celles des enfants. Pour plus de 2 millions de francs l’unité. A ce tarif, nos systèmes sociaux rechignent à passer à la caisse. Pour leur forcer la main, Novartis voulait tirer au sort 100 nourrissons qui bénéficieraient gratuitement du traitement. Les autres mourront. Probablement. Le procédé est infernal, insupportable.

La vie n’a pas de prix. Le médicament oui, et non des moindres. Avec ces thérapies, nous soignerons peut-être des leucémies. Ralentirons la mucoviscidose. Ferons du cancer une maladie chronique. En déboursant par patient des centaines de milliers de francs. Voire des millions. Mis bout à bout, sans doute des milliards.

On pourrait limiter les marges de ces inventions dont le succès dépend du brevet. Aux droits découlant d’une position dominante sur le marché, le devoir de pratiquer des tarifs raisonnables. Mais au risque de doucher les espoirs, cela ne suffira pas. A priori, ce sont bien les coûts mirobolants de la recherche qui expliquent l’essentiel des tarifs, et fabriquer la pilule miracle n’est pas une sinécure.

Une proposition bestiale

Un jour ou l’autre, nous devrons affronter le douloureux débat de l’étendue du système de santé. Jusqu’où lui consacrer nos revenus? Jusqu’au quart? A la moitié? Où est la limite? Admettre toutes les innovations techniques, c’est accepter la diminution de notre pouvoir d’achat et donc la paupérisation de la classe moyenne. Y renoncer, c’est laisser mourir des gens que l’on savait pouvoir guérir.

Le hasard est le fruit de la nature, imparfaite. Celle qui laisse s’abattre la maladie au petit bonheur et la malchance sur les hommes et les femmes. C’est la fatalité qui joue à la roulette russe. A l’inverse, l’humanité doit rejeter ce hasard pour lui substituer la raison. En cela, la proposition de Novartis est immorale. Bestiale, même. In extremis, l’entreprise pharmaceutique y a renoncé. Elle aura toutefois mérité de poser un débat nécessaire.

La laborieuse créativité du selfie gouvernemental

C’est le dernier moment pour les vœux. Et pour revenir sur ceux du Conseil fédéral, qui passent nécessairement par cette laborieuse recherche d’originalité: la sempiternelle photo officielle, arrachée probablement à contrecœur pour beaucoup des modèles.

C’est une jeune tradition que celle de la photo officielle du Conseil fédéral. Le premier selfie gouvernemental remonte à 1993 (ci-dessous). Et depuis, on nous gratifie d’un portrait annuel qui m’offre l’occasion d’une chronique plus légère que la glose juridico-climatique des derniers jours.

Au début, les Sages sont restés sages. Sobres. A voir les images jaunies disponibles sur Admin.ch, on imagine bien le scénario de la photo. A l’issue de l’apéro de Noël, on alignait les sept ministres, le chancelier pour ne pas le laisser seul dans un coin, le président au milieu et on les photographiait. A chaque tremblement de terre, on remplaçait un ancien par un nouveau. Et c’était tout. Et ça allait très bien. C’était la photo officielle.

Le bug est apparu en 2000 (ci-dessous). Pour ajouter un peu de rigole, on a mis un thème. Un peu de créativité dans le monde gris de la Berne fédérale. On a planté des décors. Des montagnes pour commencer. Et puis ça a dérapé, avec une espèce de délire artistique parfois incompréhensible. Un Palais fédéral pixélisé. Du noir-blanc à l’excès. Un pastiche de pub nulle pour les meubles USM. Des farandoles de croix suisses. Des conseillers fédéraux en marche, debout, assis, assis-debout. A l’usine, au petit-déjeuner, déguisés en Queen dans Bohemian Rhapsody, sur un fond de dessin animé ou dans un entrepôt. Les portraits soumis aux critiques d’art et à l’avis des politologues. Bientôt aux psychologues.

J’ai de la compassion pour le stagiaire ou le collaborateur personnel du futur président de la Confédération qui se tape la corvée d’inventer le thème de la photo suivante. J’imagine le bizutage ou la punition. Le pauvre Hansruedi, peu habitué à ces bagatelles, forcé de trouver le truc laborieusement original pour donner une image cool au gouvernement.

 

On a même désormais droit aux options auxquelles on a échappé. Cette année, ils ont hésité à nous faire un remake d’Abbey Road. Déguisés en Beatles, huit Ueli Lennon et Simonetta McCartney traversant les passages piétons de Berne. On s’en tire bien, finalement.

Le résultat est parfois bon, c’est rare, mais il y en a eu. Comme celle des élus perdus dans la foule en 2008 (ci-dessus): plus une œuvre d’art statistique qu’une photo officielle. Mais en général, malheureusement, c’est raté. Et la photo vieillira mal. On s’amuse aujourd’hui de l’allure des élus de 1848 (ci-dessous), on pouffera des fantaisies de ceux de 2020.

Procès Credit Suisse: à vaincre sans péril…

Treize avocats ont défendu gratuitement les 12 grévistes du climat qui se sont déguisés en tennismen, qui n’ont pas manqué de paroles fortes pour qualifier leur engagement. Et obtenu un acquittement surprenant.

Vous n’avez pas manqué le procès des héros du climat, pour une banale affaire de violation de domicile. Les grévistes ont tenu un interclubs entre des bancomats et des guichets du Credit Suisse. La gravité des faits est toute relative, comme l’a relevé le tribunal. Et pourtant, ils font durer le spectacle depuis plus d’une année.

Dans le fond, le pire des dénouements pour la cause est peut-être cet acquittement. Qu’on admette que leur promenade dans le hall de la banque était une rigolote réunion de jeunes déguisés, pas bien méchante, pas bien grave.

Le souvenir de Rosa Parks

Ce n’est pas innocent si, pour cette broutille, 13 ténors du barreau se sont passé le mot pour faire des militants grimés en Björn Borg des Martin Luther King de la cause environnementale. Curieuse stratégie pour minimiser la gravité des actes. Ils en ont fait beaucoup, même trop. Pour que l’acte paraisse historique. On y a même évoqué Rosa Parks, la «mère» du mouvement des droits civiques américains dans les années 1950.

Quand Rosa Parks a refusé de se lever du siège du bus réservé aux Blancs, elle n’était pas déguisée. Elle a défendu son droit fondamental à être traitée comme un être humain. On peut difficilement mettre sur un même pied l’attitude des 12 tennismen et celui, autrement plus courageux, d’une femme qui, seule, sans l’appui d’une foule de manifestants massée derrière les vitres de l’autocar, sans le soutien d’une ribambelle d’avocats et de la complaisance médiatique ambiante, est restée assise à la place d’un homme blanc. Là où l’on battait les Noirs pour moins que cela. Parfois à mort. La comparaison est outrancière.

Des lanceurs d’alerte?

On les a aussi présentés comme des lanceurs d’alerte. Ces gens qui risquent leur carrière, leur famille, leur vie, parfois, pour révéler un secret que personne ne devait savoir. Ici, ils ont proclamé publiquement des faits notoires. Sans rien risquer de sérieux.

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Ce n’est qu’au prix d’une condamnation que ces héros à la petite semaine seraient sortis gagnants. Qu’ils auraient acquis les titres de noblesse de ceux qui se sont sacrifiés pour leur cause, à moindres frais.

Comme au tennis, les accusés avaient un partenaire: le Credit Suisse. Si j’avais coaché la banque, je lui aurais conseillé de déclarer forfait. De retirer la plainte. Et de proclamer avec un petit sourire en coin, après l’ordonnance pénale rendue antérieurement, qu’il faut que jeunesse se passe.

Laissez-moi passer, je suis docteur

Cette semaine, deux Confédérés ont été nobélisés. Du coup, on se sent tous un peu plus malins, on a l’impression d’avoir soi-même découvert des exoplanètes. Mais l’inverse est aussi vrai, quand les spécialistes d’un domaine particulier deviennent des experts de tous les autres.

Il existerait une «maladie du Nobel» qui se manifeste par l’incapacité des lauréats affectés à poursuivre une carrière scientifique aussi brillante qu’auparavant. En résumé, l’aura de la distinction suédoise est si grande que ses bénéficiaires ne se sentent littéralement plus aller et se mettent à pérorer sur n’importe quel sujet, bien au-delà de leur domaine de compétences.

Une ânerie rapportée par un Prix Nobel sera toujours plus crédible qu’une évidence proférée par un imbécile. D’ailleurs, ne suffit-il pas d’inscrire «Albert Einstein» en dessous de n’importe quelle plate banalité pour qu’elle en devienne une vérité humaniste indiscutable?

Biais d’autorité type, chaque semaine, on peut lire les «appels des scientifiques» à faire toutes sortes de choses. Il y a eu l’appel des chercheurs à la grève climatique . Ou ces plus de 15 000 scientifiques qui nous ont alarmés sur l’état de la planète. A priori, si la science le dit, c’est que c’est vrai. On est tenté de s’arrêter au titre et au chiffre, sans lire la suite. Et justement, ce sont les titres qui m’intéressent. Qui sont ces scientifiques?

Vraiment mieux qu’un mécano?

On y trouve pêle-mêle des juristes, des médecins, des éthiciens, des sociologues, des théologiens ou des politologues. Des statuts respectables, mais dont l’autorité en matière de réchauffement climatique ne dépasse pas celle d’un ramoneur ou d’un mécanicien sur chasse-neige. Reconnaissez toutefois que «l’appel de 15 000 mécanos contre le réchauffement climatique», ça le fait moins, à tort. D’ailleurs, fort de mon doctorat en droit, ma légitimité à revendiquer des opinions scientifiques pourrait aussi m’être reconnue. Laissez-moi passer, je suis docteur.

La semaine dernière, ce monde universitaire qui hurle légitimement lorsque le politique se mêle de ses recherches signait un prétentieux appel à destituer un ministre qui ne leur plaisait pas. Trop à droite, trop libéral, pas assez altermondialiste. Et la presse en a fait largement l’écho. Mais en démocratie, la seule autorité qui vaille est celle de la majorité. Et c’est par 145 voix contre 82 qu’elle a rappelé ce bon vieux principe: one man, one vote.

Black Friday: et dire qu’il suffirait que les gens n’achètent plus

Le «vendredi noir» est moins un jour de soldes qu’un programme politique un peu moralisateur. Et, dans le fond, le succès de l’opération ne dépend que de l’adhésion des magasins et de leurs clients. Comme toujours.

Vendredi, c’était Black Friday. A moins que vous ne viviez dans une grotte enchaîné à Espace 2, je ne vous apprends certainement rien. Bref, vendredi, je n’ai rien acheté. Pas plus par conviction que par hasard, pour ne rien vous cacher. Franchement, personne n’avait rien demandé. Il y a eu des manifestations pour le climat, l’égalité salariale ou contre les violences faites aux femmes, mais je n’ai pas de souvenir de grands rassemblements de hordes de consommateurs qui réclamaient un jour de «sale» à prix cassés.

Ce vendredi noir s’est imposé à nous comme n’importe quel autre artifice commercial. Il n’est ni moral, ni immoral. Ne m’est ni sympathique, ni antipathique. Des commerçants ont décidé souverainement de brader leurs marchandises un jour par année. Ou de faire semblant. Grand bien leur fasse, tant mieux pour les clients qui font des affaires, tant pis pour les autres.

Depuis que quelques enseignes de chez nous ont repris cette pratique aux origines incompréhensibles pour l’Européen moyen que je suis, ordres et contre-ordres se succèdent. On se croirait à l’armée. En deux semaines, on m’a invité à grands coups de pubs noires à acheter tout et n’importe quoi. Sans convaincre.

Merci du tuyau…

Et je me suis fait successivement engueuler par la moitié de mes amis sur Facebook, par quatre chroniques de journalistes engagés, par les manifestants du climat, par les directeurs d’une chaîne de librairies et celui de magasins de chaussures. Tous répétant l’horreur de ce monde d’ultra-consommation et de marchandises, ceux-là mêmes qui d’ordinaire en vendent volontiers. Avec des slogans géniaux sur le fait que l’on ne dépenserait rien si l’on n’achetait rien. Merci du tuyau.

Comme politicien, j’en viens à me sentir coupable. Le sentiment de ne pas en faire assez. Face à ces vendeurs qui nous prient à genoux de leur interdire de vendre à bon marché. Et à ces acheteurs qui, dans un grand élan de générosité, nous supplient de promulguer une loi pour les empêcher d’acheter à bon compte.

«Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas.» C’est Coluche qui avait eu ce bon mot. Et c’est certainement la réponse la plus sérieuse à toute cette frénésie.

Le socialisme mikado, lui, moins il bouge, plus il perd

Après douze années à la tête du PSS, force est de constater que Christian Levrat n’a pas encore assimilé la fusion des libéraux et des radicaux. Mais les Roses, eux non plus, n’ont pas enregistré un certain nombre d’évolutions de notre société.

Douze années à la tête d’un parti politique, même en Suisse, c’est une éternité. Christian Levrat est un peu notre Jean Paul II. Il aura vu défiler 16 conseillers fédéraux et une cohorte de chefs de partis. Comme président, il a connu les crises UBS, des subprimes, du secret bancaire. Les fiascos à répétition d’initiatives pas assez suisses et de campagnes mal menées. Le succès aussi de référendums lancés au bon moment et avec les bons arguments. Il aura incontestablement été une figure incontournable et influente de la politique suisse.

Curieusement, la pilule la plus amère reste peut-être la fusion des anciens Partis radical et libéral, intervenue en 2009, à peine une année après son accession au trône. La semaine passée, il parlait toujours du Parti radical, incapable de prononcer PLR. Un peu comme ceux qui disent encore «Tchécoslovaquie».

Les plus courtes sont les meilleures

Dix ans que je me demande pourquoi Christian Levrat bute sur le mot composé «libéral-radical». Longtemps, j’ai pensé que c’était une boutade. Mais les plus courtes sont les meilleures. Et même à passer ses journées avec des Alémaniques à l’humour potache, on a déjà dû lui dire que la blague était entendue. Et qu’elle était nulle.

Ou peut-être qu’il refuse aux libéraux et aux radicaux le droit de s’unir. Un comble venant du président d’un parti qui se pose en champion de la liberté de choisir sa propre identité et du mariage pour tous. Ce qui inclut le choix de son propre nom, droit que l’on ne saurait décemment nier aux autres, même à ses adversaires politiques préférés.

Le refus du changement

L’explication la plus probable, la plus méchante, reste ce refus très «socialiste suisse» d’un monde qui change. Ce courant qui n’a pas évolué depuis la chute du Mur. Qui s’arc-boute sur le tout-à-l’Etat en prônant encore le renversement du capitalisme. Cette idéologie qui croit qu’une loi peut endiguer la révolution numérique et qu’il faut sauver les cabines téléphoniques. Ce socialisme-là ne peut certainement pas accepter, même après dix ans, que deux partis aient choisi d’unir leurs destins. Malheureusement pour les tenants de cette ligne, l’histoire a montré qu’en politique, contrairement au mikado, c’est celui qui ne bouge pas qui perd.