Catégorie : Le Temps

  • Une taxe pour le climat plutôt que pour la conscience

    Une taxe pour le climat plutôt que pour la conscience

    D’après un sondage, la majorité veut une taxe sur les billets d’avion. C’est la solution réclamée par des dizaines de milliers de collégiens. Mais alors assurons-nous qu’elle serve vraiment son but plutôt qu’aux caisses publiques.

    «Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le.» Elle est de Ronald Reaganet elle n’a pas perdu de son actualité.

    La solution du monde, c’est la taxe. A chaque problème, on en invente une. Sur le tabac, les smartphones, le sucre. Tout est prétexte à taxer. De retour des vacances de Noël, passées à constater les désastres du réchauffement climatique sur les coraux du Pacifique, on se dit qu’il faudrait vraiment faire quelque chose. Une taxe. Vingt ans après avoir arrosé de milliards notre compagnie aérienne, il faut qu’elle repasse par le «start». L’heure est à la taxe sur les billets d’avion.

    En Allemagne, on le fait depuis 2011. Soucieux de la juste répartition des vacances, nos voisins craignaient que les moins fortunés ne puissent plus prendre l’avion. Ils sont rassurés. Depuis l’introduction de la taxe, le nombre des passagers allemands n’a cessé d’augmenter. Et même plus rapidement qu’en Suisse, sans taxe. Les gens paient. Et les gens s’envolent.

    Tout a été fait pour, il faut le dire. On s’est bien gardé de matraquer le court-courrier. Celui qu’un TGV peut facilement remplacer. Plus le trajet est long, plus l’impôt est cher. C’est connu: moins on est disposé à renoncer au voyage, plus on l’est à payer son obole.

    «Il faut agir, concrètement»

    A défaut du climat, l’Allemagne aura au moins amélioré ses finances publiques. Pour le CO2, la taxe sur les billets d’avion, c’est un peu comme la grève pendant les heures de classe: ça ne coûte pas grand-chose et ça apaise la conscience.

    Ne croyez pas que je refuse toute critique. Le rejet de la loi sur le CO2 est regrettable, insuffisant. Il faut agir, concrètement. Trouver le bon compromis pour avancer. Et si chacun doit mettre de l’eau dans son vin, je veux bien être le premier. D’accord pour la taxe sur les billets d’avion. A une condition.

    Une taxe de plus, une taxe de moins. On veut encourager les citoyens à préférer les destinations plus locales? A voyager en train, à vélo, à cheval, plutôt qu’en avion? Alors pour chaque franc prélevé sur les billets d’avion, on réduit d’autant la TVA sur l’hôtellerie et la restauration, en Suisse. Histoire que l’effort, plutôt que de calmer les consciences et combler les caisses publiques, encourage à préférer les Alpes aux Caraïbes.

     

  • «Gilets jaunes»: sans consensus, pas de démocratie directe

    «Gilets jaunes»: sans consensus, pas de démocratie directe

    En France, les protestataires réclament la démocratie directe «à la suisse», pour imposer un programme politique encore inexistant. L’outil ne fait cependant pas tout: sans compromis et acceptation de la défaite, il ne peut y avoir de démocratie directe durable.

    Passé la trêve des confiseurs, les «gilets jaunes» se sont remis en marche. Hétéroclite, le mouvement propose la confusion pour politique. Casser des vitrines et bouter le feu aux poubelles ne font pas encore un programme.

    Comme plus petit dénominateur commun, ils ont choisi un bout du modèle suisse. C’est si rare qu’il faut le relever. Ils ont pris conscience que leur petit voisin avait pour une fois quelque chose d’intéressant à piquer, nos «amis français». De quoi leur retourner ces sempiternels «amis suisses», qu’ils prononcent sur un ton un chouïa paternaliste. Ça fait sourire.

    Bref, ce sont nos droits populaires qui les intéressent. Incapables de convenir de revendications, ils réclament l’outil pour les réaliser.

    Et le mode d’emploi?

    Pour garantir le sérieux de la chose, il fallait évidemment un nom à rallonge. Un peu comme le «tri» des déchets est devenu le «tri sélectif». Allez savoir ce que le sélectif ajoute au recyclage. Dans la même veine, l’initiative s’y appelle le «référendum d’initiative citoyenne», le RIC. Un joyeux mélange de tous nos droits populaires.

    L’inspiration s’arrête malheureusement là. Quelqu’un doit leur envoyer le mode d’emploi. Dire à la majorité présidentielle opposée que nous ne votons pas que sur les minarets et les cornes des vaches. Que nos débats ne sont pas moins sérieux que les leurs.

    Notre cocorico à nous

    Et contrairement aux croyances des «gilets jaunes», les droits populaires ne conduisent pas non plus à la révolution permanente. C’est même plutôt l’inverse: le gouvernement sort vainqueur de la quasi-totalité des scrutins populaires. Expliquer aussi que les initiatives ne peuvent contredire les lois de la physique. Même à coups de référendums, on n’arrive pas à décupler les prestations sociales en réduisant les impôts. On ne parvient même pas à construire un pont sur la rade de Genève, c’est dire…

    Notre fierté, notre cocorico, c’est que les droits populaires ne vont pas sans un petit sens civique. Avec beaucoup de pouvoir viennent de grandes responsabilités. Celles qui nous font refuser, en français de France, les RTT, le SMIC, la Sécu et les 35 heures. On l’appelle aussi l’esprit de consensus, probablement encore peu intégré par ceux qui mettent la France à sac. Cela malgré la détresse compréhensible d’une partie de la population, victime du désastre des politiques publiques défaillantes.

  • A Berne, le grand cirque climatique

    A Berne, le grand cirque climatique

    Une curieuse entente entre l’UDC et la gauche a fait capoter la révision de la loi sur le CO2. Sans être jusqu’au-boutiste, les compromis trouvés permettaient des progrès significatifs pour que la Suisse continue à respecter ses engagements. Pas assez pour la majorité, qui a préféré tout jeter à la poubelle.

    Des centaines de courriels, de SMS, de coups de fil. Des lettres de lecteurs, des manifestations, des injures. Ils ont mis le paquet pour nous faire prendre conscience de l’urgence climatique. Pour respecter l’Accord de Paris. Taxer tout ce qui bouge. Et ce qui bouge encore après ça, on peut toujours l’interdire.

    Pour nous convaincre, des militants sont allés frapper à la porte de mes collègues. Les citadins cela va de soi. Ils ne sont pas venus à Morgins, chez moi. Avec les transports publics, du siège du WWF, à Gland (VD), à ma porte, c’est deux heures et demie bien tapées. Pas terrible pour montrer comment se passer de moteur.

    La Suisse à petits pas

    Conscient de sa responsabilité envers la Création, comme le dit la Constitution, le parlement a fait ce qu’il sait faire de mieux. Légiférer. Un travail de compromis constructif. Une hausse du prix de l’essence et du CO2, la prolongation du programme d’isolation des bâtiments et une augmentation massive des compensations à la charge des importateurs de carburant. Des objectifs climatiques réalistes. C’est ainsi que va la Suisse, depuis des siècles. Par petits pas. Et ça fonctionne. En 2016, la Suisse faisait deux fois mieux que la moyenne de l’OCDE en termes d’émissions et dépassait les Objectifs de Kyoto, en réduisant déjà de 5% son niveau de production de CO2 de 1990.

    Il faut que ça saigne

    C’est vrai, le parlement ne s’est pas plié à toutes les exigences des écologistes. On a refusé la taxe sur les billets d’avion, ce gadget unilatéral dont l’inutilité est vécue ailleurs. On n’a pas non plus interdit de prendre des mesures à l’étranger: cela n’avait aucun sens pour le climat. Mais le réchauffement, ça ne suffit pas de le subir. Il faut aussi souffrir de ses remèdes. Il faut que ça saigne. Sinon, l’exercice de rédemption est inachevé.

    Ainsi, quand il a fallu voter sur l’ensemble, les enragés de l’écologie ont pratiqué la politique de la terre brûlée. Du pire. Un «rien» vaut mieux qu’un «tiens». Ils ont rejeté le texte, purement et simplement. Alliés du coup avec l’UDC qui, elle, ne voulait rien et avait au moins le mérite de l’assumer. Le cirque climatique peut continuer. Et ceux qui engrangent des voix sur son dos s’assurent ainsi de pérenniser la recette.

  • Derrière l’ours en peluche, le spectre de la corruption généralisée

    Derrière l’ours en peluche, le spectre de la corruption généralisée

    Nous partageons peut-être un souvenir d’enfance. Le toboggan des jouets Weber de la rue de Bourg à Lausanne. Le nom de la marque a toujours éveillé en moi un petit sentiment de joie. Qu’ils étaient beaux, les jouets Weber! Même Jean-René Fournier s’en souvient, m’a-t-il dit. Weber. Avant qu’on en fasse une loi absurde sur les résidences secondaires. Mais c’est une autre histoire.

    Au parlement, j’ai pour voisin Marcel Dobler. Un jeune entrepreneur à succès, Saint-Gallois et champion suisse de bob à 4. Récemment, il a racheté les jouets Weber. Et pour le faire savoir, il nous a offert un petit ours en peluche qui nous attendait mardi sur nos tablettes au National. Un peu de douceur dans la grisaille fédérale.
    Jusque-là, rien de bien méchant. Enfin, de mon point de vue. D’autres collègues et connaissances (dont je vous laisse deviner l’appartenance partisane) ont immédiatement brandi le spectre de la corruption derrière le cadeau mal venu dans le «climat actuel». Certains ont regretté que les ours fussent importés de Chine. Stupeur à Berne: les peluches des enfants ne sont pas fabriquées à la Bahnhofstrasse. On m’a même suggéré de rendre le cadeau à l’expéditeur. A trop en faire, on voit maintenant de la corruption partout. Les conseillers d’Etat doivent livrer leur agenda. Dire avec qui ils mangent. Qui paie les cafés. L’armée se fait épingler pour avoir pris une deuxième tournée d’Appenzeller.

    Théories conspirationnistes

    La transparence est une drogue à accoutumance. Essayez-la, vous en redemanderez. Un cercle vicieux, sans fin. Une fois les noms dévoilés, vous exigerez les montants. Puis les intentions. Et les grandes intentions cachées derrière les petites intentions dévoilées. Vous commencerez à échafauder des théories conspirationnistes toujours plus farfelues. Franz Carl Weber vous offre un ours en peluche. C’est pour promouvoir l’élection de Karin Keller-Sutter et l’accord de libre-échange avec la Malaisie. Les élus vaudois sont des agents du FSB. Toutes les cartes de crédit se ressemblent et se confondent.
    J’ai de la peine pour ces gens qui ont perdu toute candeur, toute idée de simplicité dans les rapports humains. Qui voient le mal partout. Des gens sérieux qui ont un peu laissé leur âme d’enfant au vestiaire. Personnellement, j’espère naïvement que mon voisin réussisse son pari, et ramène un jour le toboggan au magasin de la rue de Bourg.

  • Les obstructeurs de l’UDC sous la coupole du Palais fédéral

    Les obstructeurs de l’UDC sous la coupole du Palais fédéral

    A propos de l’initiative pour l’autodétermination, le parti a fait traîner les débats autant que possible, en espérant un report du vote. Pour que le peuple ne se prononce sur le sujet qu’en pleine campagne électorale de 2019. Mais c’est raté…

    Passer du Grand Conseil valaisan au Conseil national est surprenant. Surtout pour les débats. A Sion, il suffisait d’appuyer sur le bouton pour que la parole me soit donnée. Je pouvais m’enflammer. On croisait le fer. On m’écoutait. On faisait semblant, au moins.

    Personne n’écoute personne

    Rien de cela sous la Coupole. D’abord, personne n’écoute personne. Les visiteurs sont souvent décontenancés: l’ambiance de la salle du National rappelle étrangement celle du hall de la gare de Berne.
    Je n’intéresse pas grand monde avec ma prose, certes. Mais je n’ai pas vraiment le droit de la dire. Le débat est millimétré. La liste des orateurs limitée. Le temps de parole décompté. Quand vous montez au perchoir, on vous flanque un chronomètre. Le président tape sur sa cloche pour que vous en finissiez. Au suivant. On n’a pas que ça à faire.

    L’exception

    Il existe toutefois une exception. Un cas où tous les députés peuvent parler, parler et encore parler. C’est quand on cause des initiatives populaires. Là, le débat devient fleuve. Chacun peut s’inscrire pour répéter ce que tous les autres ont déjà raconté. Passionnant. En juin, ce fut le tour de l’initiative pour l’autodétermination. Les travées étaient encore plus vides que d’habitude. Comprenez: 83 parlementaires inscrits, dont 43 UDC. Les trois quarts du groupe. Parler le plus possible. Et comme ça ne suffisait pas, ils ont commencé à se poser des questions entre eux. Albert Rösti qui demandait à Hans-Ueli Vogt s’il avait apprécié le discours de Toni Brunner.

    D’humeur chafouine

    Quelle mouche les a piqués? Les initiants étaient d’humeur chafouine. En liquidant les débats ce printemps, il leur était impossible d’obtenir un vote populaire pendant la campagne des fédérales de 2019. Rageant, n’est-ce pas? Alors ils ont tenté ce que les Américains nomment le filibuster: la flibuste, l’obstruction parlementaire. Faire traîner les débats autant que possible, en espérant un report de la décision. Caramba, encore raté. De guerre lasse, on a fini par voter, vers minuit, quand les députés s’endormaient sur leur fauteuil après des heures de discussion.Il paraît que cette initiative est tellement vitale pour la Suisse que la survie de la démocratie en dépend. Et malgré l’urgence, ils voulaient nous faire poireauter encore une année. Les impératifs électoraux ne sont pas ceux de l’intérêt supérieur du pays, ma foi.

  • Le diable se cache dans le texte, jamais dans le titre

    Le diable se cache dans le texte, jamais dans le titre

    Publié dans le Temps, le 5 novembre 2018.
    Bien choisir le titre de sa chronique ou celui de son initiative populaire, c’est essentiel. Surtout à une époque où l’on se contente souvent des quelques caractères de l’étiquette, sans analyser les détails du texte. Où se cache pourtant le diable.
     
    Bien choisir son titre. C’est un peu le défi hebdomadaire des chroniqueurs du Temps. Pour attirer l’attention. Pour vous donner envie de lire. Pour durer.
     
    On dit que près de 60% des gens partagent des articles dont ils n’ont lu… que le titre. Autant dire qu’il vaut mieux se concentrer davantage sur les 50 caractères espace-compris de l’intitulé que sur ce texte que, la plupart d’entre vous, ne lirez même pas. J’en profite au passage pour saluer les téméraires qui n’ont pas encore tourné la page.
     
    Face à la concurrence de la titraille de la colonne d’à-côté, on trouve des parades pour attirer le chaland. Dans le jargon des réseaux sociaux, on parle vulgairement de « putes à clics ». Des mots forts pour susciter la curiosité. Ainsi, pour vous pousser à me lire, j’aurais dû choisir : « L’invraisemblable scandale des titres falsifiés ». Ou : « Un élu usurpe à nouveau un titre ! ».
     
    Le lecteur est ingrat. L’électeur aussi. Ce qui vaut pour mes chroniques vaut pour les initiatives populaires. Pour vendre une nouvelle taxe, on vous promet une « économie verte ». Pour faire passer des restrictions bureaucratiques, on parle de « fair food ». Pour toucher des subventions, on écrit « vaches à cornes ».
     
    Les titres des initiatives sont les grands oubliés des débats parlementaires. On n’y pense pas trop. Ils n’ont pas de portée juridique. Alors on passe dessus comme chat sur braise, jusqu’à la votation. Là, ils deviennent une ligne de publicité gratuite et bienvenue pour des articles constitutionnels compliqués et ennuyeux.
     
    Au hasard, prenez les « juges étrangers ». L’initiative ne parle pas de juge. Ni d’étrangers d’ailleurs. Vous pouvez fouiller, les deux termes n’apparaissent jamais dans le texte de l’initiative. Pas plus que cette prétendue « autodétermination ». En réalité, on n’y parle que de hiérarchie des normes, de droit international et de constitutionnalité. Rien de très folichon. Pas de quoi gagner une campagne de votation. Surtout quand on comprend que le but réel, c’est de forcer la Suisse à transgresser ses engagements, au gré de l’humeur du jour.
     
    Cette initiative aurait pu s’intituler « Pinocchio : pour que la Suisse ne tienne plus sa parole ». Les débats auraient été bien différents. Comme quoi, un bon titre, c’est le secret de la réussite.

  • Assurances sociales: pour la gauche, certains fraudeurs sont plus égaux que d’autres

    Assurances sociales: pour la gauche, certains fraudeurs sont plus égaux que d’autres

    Publié dans le Temps, le 22 octobre 2018
    D’ordinaire disposés à toutes les compromissions sur l’autel de la lutte contre la fraude fiscale, la gauche s’est désormais lancée dans un numéro d’équilibrisme qui consiste à faire croire que les mesures prises contre l’escroquerie aux assurances sociales seraient forcément disproportionnées et injuste. Deux poids, deux mesures. 
    « Les fraudeurs fiscaux n’ont pas besoin de protection ». C’était le titre d’un communiqué du parti socialiste. En 2015, les camarades s’enthousiasmaient pour l’échange automatique d’informations entre les banques et le fisc.
    La belle affaire. Permettre enfin aux percepteurs de lutter contre la fraude en dehors de toute décision. Les bonnes vieilles fishing expedition. Sans besoin du moindre soupçon. Accéder directement à votre compte en banque. C’était pour la bonne cause, on ne s’embarrassait pas des procédures.
    On ne les a pas beaucoup entendu prôner le respect de la présomption d’innocence lorsqu’ils ont voté des accords d’échange automatique de renseignement, par dizaines. Quand il fut décidé de livrer pieds et poings liés des listes de citoyens russes, turcs ou brésiliens à leurs sympathiques régimes.
    Je me souviens les avoir vus dérouler le tapis rouge pour le brigand Falciani. A l’époque où il faisait la tournée des trésors publics européens, mendiant la vente sous le manteau de ses cédéroms de données volées à des Etats aux abois, plus enclins à marcher sur leurs propres principes que de s’imposer une petite politique de rigueur budgétaire.
    Ah, ils étaient beaux ceux qui vous expliquaient le poing tendu qu’il n’y aurait pas de pitié pour les fraudeurs du fisc. Qu’on les ferait raquer jusqu’au dernier centime. On ne demandait pourtant pas la lune. Simplement une ou deux garanties de procédure. Des investigations individuelles, fondées sur quelque chose de concret. Mais pour le bien, l’impôt, rien n’était assez incisif.
    Et badaboum, voilà que l’on parle de fraude aux assurances sociales. Les mêmes qui vous bassinaient de leur morale fiscale sont devenus les jusqu’au-boutistes de la sphère privée. Affirmant que la lutte contre la fraude est, par essence, une violation des droits fondamentaux. Qu’un soupçon ne suffit pas à enquêter. Que même les procédures ciblées et limitées nous rappellent les « heures les plus sombres ». Que l’on ne peut quand même pas photographier des gens en pleine rue sans tomber dans l’autoritarisme.
    Big brother arrive ! On n’en peut plus des comparaisons avec 1984. Tricheurs de tous les pays, unissez-vous. Et puisque l’on en est à Georges Orwell, disons-le : tous les fraudeurs sont égaux. Mais certains le sont plus que d’autres.

  • Via Silentia

    Via Silentia

    Publié dans le Temps, le 8 octobre 2018.

    Il paraît que les Confédérés en ont marre du bruit. Reste à savoir duquel. Quand on en parle, on voit que les mesures mises en place par les autorités paraissent peu enclines à réduire les nuisances qui pourrissent la vie et les nuits des citoyens.
    La moitié des Suisses n’en  » peut plus  » du bruit. Selon un sondage et selon mon entourage aussi. Alors la Confédération agit : ces jours, une nouvelle ordonnance a été adoptée, contre le bruit et les rayons laser. On serre la vis. Mais, comme à l’accoutumée, pas la bonne.
    Comme en matière de libertés, le bruit des uns devrait s’arrêter là où commence celui des autres. Et pourtant, quand on agit sur la question, on s’attaque au volume que vous avez choisi pour vous même. Celui de la fête. De toutes les manifestations. Du Paléo festival comme du mariage de votre cousin. Et pas pour protéger le voisin de la fête, mais le fêtard lui-même.
    Une rave party ou un concert de Rammstein, c’est bruyant. Sans blagues ? Et le public s’y attend. Dans un monde utopique, on considérerait les spectateurs comme des adultes. Des gens conscients qu’il n’est pas recommandé de poser sa tête sur les baffles de la grande scène du Paléo. Qu’à passer la moitié de sa vie en boîte de nuit, on passe l’autre moitié sourd comme un pot. Sans besoin de rajouter une couche administrative ou de coller des étiquettes de prévention :  » la disco assourdit « .
    Non. Quand les Suisses disent qu’ils en ont marre du bruit, ils parlent de celui qu’ils n’ont pas demandé. Celui qu’ils subissent en silence. Et selon le sondage en question, c’est d’abord celui du trafic.
    Celui de la moto qui fait sauter les compteurs en pleine ville. En pleine nuit. Celui de ces maquilleurs de l’extrême qui profitent de l’installation d’un  » spoiler  » pour percer leur pot d’échappement. Quand ce n’est pas le constructeur qui s’y met. Audi propose un  » système de gestion de la sonorité moteur « . Un gadget qui vous permet  » d’offrir à la demande une expérience sonore modifiée au relief particulièrement sportif « . On s’en souviendra, merci du cadeau.
    Plutôt que de protéger les gens contre eux-mêmes, protégeons leurs libertés et leur sphère privée. Un vrai programme pour respecter la loi. Une  » via silentia « , pour reprendre la nomenclature fédérale. Prêter une oreille attentive à la majorité de la population dont les doléances sont couvertes par le bruit des moteurs.

  • Ouf, le foie gras est sauvé…

    Ouf, le foie gras est sauvé…

    Publié dans le Temps, le 24 septembre 2018

    Les initiatives agricoles auraient entrainé l’interdiction du foie gras en Suisse, c’est en tout cas l’avis du Conseil fédéral. Elles ont malgré tout provoqué un débat qui manquait cruellement de légèreté, porté par les ambitions hygiénistes de certains militants de la cause écologistes.
    La guerre du foie gras n’aura pas lieu. Dimanche, dans son habituelle sagesse, le peuple a rejeté deux initiatives populaires qui entendaient régir l’agriculture par des plans quinquennaux et un nouveau catalogue de barrières douanières. Les derniers temps de campagne auront été égayés par une énième polémique sur le foie gras.
    Il y a quelques jours, j’ai commis un petit tweet. En mode troll : si l’initiative dite  » fair food  » interdisait l’importation du poulet en batterie, le foie gras suivrait le même sort, oh misère. Le  » team premier degré  » a sauté sur l’occasion, trop belle pour la tribu de SJW (social justice warrior, les combattant de la justice sociale) qui peuple Twitter. J’ai été submergé d’une avalanche de moqueries et d’injures, plus ou moins drôles. Même ce qu’il reste du Matin s’est entiché d’en parler, plusieurs fois, sous la plume du fougueux Eric Felley. Provocateur comme trop souvent, je ne l’ai pas volé, je vous l’accorde.
    Alors oui, cette histoire est un détail. Une anecdote. Elle révèle toutefois les vraies ambitions des militants du Bien. Le foie gras n’étant pas un produit de première nécessité, rien ne s’opposerait à son interdiction. Pire ! Il serait l’expression vulgaire de l’étalement indécent des fortunes bourgeoises. Carrément. Quelle tristesse que cette vie promise faite d’austérité et de culpabilité. Où l’on n’y mange que ce qui nourrit. Où les petits plaisirs de la vie sont rangés dans la catégorie des pêchés interdits. Immoraux aujourd’hui, illégaux demain.
    Je ne suis pas le seul à aimer le foie gras. Ils sont nombreux, mes compatriotes, à le manger en cachette, un peu honteux. Il faut dire qu’on en importe 250 tonnes chaque année. Excusez du peu. Ça fait même un peu trop pour affirmer qu’il est réservé à l’élite turbo-libérale et nantie. La lutte des classes devra se jouer sur un autre terrain.
    Aujourd’hui, le peuple a classé le dossier. Nous restons libres d’avaler le foie malade des oies françaises. C’est vilain. Mais c’est bon. Peut-être que l’on en reparlera. Si les arguments de la cause animale touchent de plus en plus de personnes qui renoncent aux produits issus de maltraitance, force est de constater que les Suisses sont de plus en plus gavés des initiatives populaires moralisatrices.

  • La franchise ou la prime d’assurance maladie, il faudra choisir

    La franchise ou la prime d’assurance maladie, il faudra choisir

    Publié dans le Temps, le 10 septembre 2018

    A l’approche de la traditionnelle augmentation des primes d’assurance-maladie, il est peut-être temps de réfléchir à cette répartition des coûts de la santé qui ne cessent, et ne cesseront, de croître. Et repenser le système. Sans tabou.
    On ne réduira pas les coûts de la santé. Notre société n’en veut pas. Les patients n’en veulent pas. Le personnel médical n’en veut pas. La balance démographique n’en veut pas.
    L’automne arrive. Inlassablement, la même mauvaise nouvelle de l’augmentation des primes nous attend. Préparez-vous aux formules magiques des uns, au fatalisme des autres. En fin de compte, il faudra avaler une nouvelle couleuvre.
    Les Suisses se plaignent de ces augmentations de prime. Pas de leurs propres coûts de santé. La nuance est de taille. La prime, c’est ce que l’on dépense pour les autres. Ce qui est mutualisé, la part sociale. Elle augmente, que vous soyez très malade ou en parfaite santé. Elle ne tient pas compte de vos comportements. Elle dévore à petit feu le pouvoir d’achat des ménages. La franchise, c’est la part que vous assumez pour vous. Et chaque franc de franchise est un franc qui ne pèse pas sur les primes, par un jeu de vases communiquant.
    L’assurance-maladie obligatoire est devenue une assurance tout risque. Une casco complète. Selon le modèle de base, passés les trois cents premiers francs de la franchise, c’est open bar pour le reste de l’année. Ces Frs. 300.- constituent le seuil à partir duquel on considère qu’il serait antisocial d’exiger des patients qu’ils assument leurs propres frais. Or, s’il paraît illusoire de réduire les coûts de la santé, on peut encore diminuer la partie qui plombe les primes. Augmenter les franchises, c’est réduire les primes.
    Il est politiquement incorrect de le dire. La grande maladie de notre système de santé, c’est son trop-plein de solidarité. C’est cette idée qu’au-delà de 300.- par année, les autres doivent payer. Vingt-cinq francs par mois : le seuil de la prise en charge individuelle. Trois paquets de cigarettes. Ce que certains dépensent en deux jours pour goudronner leurs poumons, on ose à peine le leur demander pour les soigner.
    Les projets d’augmentation de la participation aux coûts sont légion. Ils suscitent toujours la même levée de boucliers. Il n’y a malheureusement pas de gentille fée cachée dans une grotte qui attend impatiemment qu’on lui envoie la facture de notre système de santé. C’est à nous qu’il reviendra toujours de l’acquitter. Et si ce n’est pas en adaptant les franchises, ce sera en augmentant nos primes. Il faudra choisir, encore et toujours.