Catégorie : Le Temps

  • Le médecin, son salaire, sa bataille

    Le médecin, son salaire, sa bataille

    La polémique sur le salaire des médecins met en lumière la déconnexion complète des praticiens de la population qu’ils soignent. Le problème concerne cependant moins les chiffres eux-mêmes que la double nature de la profession médicale, libérale mais financée par une assurance sociale obligatoire.

    Les médecins font de mauvais avocats. Au moins quand il s’agit de défendre leur propre cause. Une petite pique du ministre de la Santé et toute la profession est en émoi. La panoplie complète du personnel des salles d’opération s’est succédé à la télévision. Et plus ils se défendent de gagner des sommes folles, plus ils sont suspects.

    La déconnexion est complète entre le Suisse médian qui paie ses primes, et l’homme au stéthoscope qui ne voit pas le début du problème.

    Brandissant maladroitement l’argument des charges d’exploitation, certains mélangent allègrement revenu brut et imposable. Les impôts feraient partie des frais généraux. Comme le SUV et le chalet à Verbier peut-on ajouter avec sarcasme.

    Il y a aussi ce chirurgien genevois qui joue la transparence dans Le Temps. Il perçoit un revenu «compris entre 250 000 et 750 000 francs par année». Dans la même veine, je pèse entre 30 et 100 kilos. Avec un tel degré de précision, l’homme vous greffe un rein à la place du cœur. Pas sûr que ce genre de mise à nu approximative paie.

    D’autres relativisent. 600 000 francs par an, c’est un revenu optimal pour un médecin-chef. Optimal, comprenez, raisonnable. On verserait presque une larme. Docteur, vous vous trompez. 600 000 francs pour un salarié du secteur public ou des assurances sociales, ce n’est pas normal. C’est énorme. Même en Suisse. C’est le salaire d’un conseiller fédéral et demi. C’est huit fois le salaire médian, deux à trois fois celui des cadres des banques ou des assurances.

    La polémique est cruelle. Elle ne concerne qu’une partie seulement des médecins et ne rend pas justice à tous ceux, nombreux, qui travaillent sans compter leurs heures pour un revenu convenable, décent. Elle mélange un peu tout.

    Les spécialistes gagnent bien leur vie? Tant mieux. C’est tout le mal qu’on leur souhaite. D’autres jouent au tennis, dirigent des multinationales ou font le commerce des matières premières. Ils gagnent bien plus sans sauver de vies.

    Docteurs, gagnez le maximum. Je vous en prie. Mais dans un marché libre. Avec une vraie concurrence. Sans obligation de contracter. Sans ce tarif aussi incompréhensible que hors de prix. Parce que le problème, ce n’est pas tant votre salaire que la poche dans laquelle il est prélevé: celle des assurés contraints et solidaires.

  • L’overdose législative est proche au Palais fédéral

    L’overdose législative est proche au Palais fédéral

    Avec 286 nouveaux textes entrés en force, la Suisse se retrouve, comme chaque premier de l’an, sonnée par une nouvelle couche de lois. Cette masse en augmentation continue devrait nous faire réagir face au danger de surréglementation, inutile et nuisible.

    Réjouissez-vous: la campagne des élections fédérales va bientôt recommencer. Les candidats vous promettront monts et merveilles pour lutter contre tout et n’importe quoi. Le pire, c’est qu’ils tiendront certainement leurs promesses. Quand on siège dans un législatif, on produit des textes de loi. Toujours plus. Jusqu’à la nausée.

    Un pays un peu plus «propre en ordre»

    L’année dernière, votre parlement a beaucoup travaillé. En votes, ça fait 522. Alors forcément, on aboutit à quelque chose. Le 1er janvier 2018 sont entrés en vigueur 286 nouvelles loi, révisions d’ordonnances et autres textes législatifs. Le tout à digérer le premier de l’an, contre 70 abrogations. Et je ne vous parle pas des cantons. Un moyen de retrouver la Suisse un peu plus «propre en ordre» que celle que l’on avait laissée s’endormir la veille dans les cadavres de champagne du réveillon.

    Il y a à boire et à manger dans ces nouvelles lois. On y expose comment vendre correctement son chien sur anibis et la bonne manière de cuisiner le homard. Les formations des mouleurs de fonderie et des bottiers-orthopédistes sont corrigées. On aura introduit quelques registres et numéros d’identification. Sans parler de la grande réforme de Tarmed, qui agace tellement les médecins.

    On n’arrête pas le progrès. En tout cas celui de la masse informe et législative. Les milliers de pages de règles qui sont entrées en force contrastent un peu avec le romantisme du compte à rebours du 31 décembre, à la fin duquel on espère tous un monde un peu meilleur. Avec du recul, on peut se demander comment on a pu survivre toute l’année 2017 sans toutes ces nouvelles règles essentielles.

    Pour nous rassurer, on peut toujours se dire qu’on n’est pas les pires. Au moment où j’écris ces lignes, notre voisin français planche sur une loi pour interdire les fake news et une autre pour réglementer les abus de soldes dans les grands magasins.

    L’inflation législative ne fait pas honneur au parlement. Elle donne l’illusion du travail bien fait, à la faveur d’un travail trop fait. Et malgré les multiples motions pour freiner cette explosion, les Chambres et l’administration restent accros aux réglementations, malades d’une forme poussée de «législatite». Un sevrage s’impose.

  • Le grand reset du 4 mars

    Le grand reset du 4 mars

    Publié dans le Temps, le 15 janvier 2018.

    Le 4 mars prochain, le peuple aura l’occasion de supprimer l’impôt fédéral direct et la TVA, liquidant d’un coup l’essentiel de la Confédération elle-même. Une cure d’austérité massive contre laquelle aucun plan B n’est prévu, pour changer.
    Accrochez-vous, 2018 sera sport. Les 349 prochains jours seront placés sous le signe du reset : UE, Billag, prévoyance vieillesse. Et surtout, le « régime financier 2021 ».
    Cette votation du 4 mars sera l’occasion d’appliquer le pire régime minceur à la Confédération. Il suffirait de refuser l’objet dont presque personne ne parle pour que, d’un coup, l’impôt fédéral direct et la TVA disparaissent.
    Tout cela vient d’un esprit superstitieux qui nous habite. Plutôt que de décider une fois pour toute que les citoyens paient des taxes, les Helvètes préfèrent reconduire régulièrement l’impôt. La dernière fois que les contribuables se sont infligés pareille saignée fiscale, c’était en novembre 2004. Remarquez que 26% de la population avait quand même dit « non », dont la majorité du canton de Zoug. Quels romantiques, ces Zougois…
    Bref. Si l’on joue les Neinsager le 4 mars, on tire vraiment la prise. Rien à voir avec cette bagatelle de No Billag. D’un coup, on liquide les deux tiers des revenus de la Confédération. On rend aux citoyens cinquante milliards chaque année. On résout le problème de la RIE 3. Sur le ring de la concurrence fiscale, Trump est K.O.
    Il y a évidemment quelques inconvénients, une certaine idée de la cure d’austérité pour la Confédération. Exit les dépenses pour l’agriculture et la formation. L’office de l’environnement, les transports publics et l’aide au développement, c’est fini. On pourrait juste se payer une minarchie : un Etat qui assure le minimum syndical. Trois pouvoirs, une petite armée et quelques services de base. Les routes, les douanes et la régie fédérales des alcools resteraient autofinancés, on est sauvés.
    Comme toujours, il n’y a pas de plan B. Il faut dire qu’un refus serait un chouia extrême, à tel point que le parlement a adopté l’objet à l’unanimité. Pourtant, débarrassés de la capacité de nuisance de l’administration fédérale, les vingt-six cantons prendraient le pouvoir, leur destin bien en main. On supprimerait le F des CFF et des EPF, et on recommencerait à zéro. Le vrai reset.
    C’est ainsi que la Suisse connaît son petit frisson, tous les quinze ans, ses rêves d’un grand soir confédéral, le retour à 1847. Et si l’on ne se jette pas dans le vide en mars, rien n’est perdu : on remet le couvert en 2035. D’ici-là, bonne année.

  • Le monde va de mieux en mieux, mais ne le dites surtout pas

    Le monde va de mieux en mieux, mais ne le dites surtout pas

    Comment va la vie? A priori, mal. Neuf personnes sur dix sont persuadées que le monde s’enfonce dans la misère. L’ONG Oxfam insiste: les inégalités exploseraient. Les ultra-riches accaparent 82% de la prospérité. Le titre claque, relançons la lutte des classes. La statistique est forcée, alambiquée. On y mesure l’épargne d’un an, déduite de la dette, sans tenir compte du niveau de vie. Dans cette équation, un diplômé de Harvard endetté est moins riche qu’un paysan malien. Pour parler d’égalité, on pourrait comparer les revenus. Rappeler que le salaire médian mondial a doublé en dix ans. Qu’avec une rente AVS, on fait déjà partie des 5% les plus riches du globe. C’est tout aussi vrai, mais ça vend moins.

    Cet alarmisme n’est pas innocent. Il appuie les sempiternelles revendications du mois de janvier, en marge de Davos. Un autre monde est possible. On nous le répète en boucle depuis l’OMC à Seattle en 1999. En 2010, Oxfam nous gratifiait même d’un blog sur la success story du Venezuela en matière d’inégalité. Ça ne s’invente pas.

    Et pourtant… Depuis trente ans, le monde s’améliore. Plus vite que jamais. Pour la première fois, moins de 10% des individus vivent dans l’extrême pauvreté. Ils étaient 35% à la chute du Mur. En trois décennies, le monde capitaliste contre lequel on casse des vitrines a permis d’arracher 1,7 milliard de personnes à la pauvreté. Ce progrès n’est pas isolé. On s’améliore aussi en termes de sous-nutrition, d’accès à l’eau potable, de réduction des maladies, d’espérance de vie, d’alphabétisation, de mortalité infantile, de conflits. L’humanité ne s’est jamais aussi bien portée qu’aujourd’hui. Et elle continue sur sa lancée.

    Une société droguée aux mauvaises nouvelles

    La vraie success story, c’est celle du capitalisme mondialisé et pacifié. Le dire ne vous rendra certainement pas populaire, dans cette curieuse société droguée aux mauvaises nouvelles. Aucun autre système économique n’a permis de telles réussites. Même si l’on doit faire mieux. Même si la richesse extrême sera toujours insupportable tant qu’il restera de la misère. Mais pendant que vous lisiez cette chronique, 200 personnes sont sorties de la pauvreté. Elles seront 137 000 d’ici à demain. Un autre modèle est possible. Il n’est certainement pas souhaitable.

  • Impôt fédéral direct et TVA: le grand «reset» du 4 mars

    Impôt fédéral direct et TVA: le grand «reset» du 4 mars

    Dans sept semaines, le peuple aura l’occasion de supprimer l’impôt fédéral direct et la TVA, liquidant d’un coup l’essentiel de la Confédération elle-même. Une cure d’austérité massive contre laquelle aucun plan B n’est prévu, pour changer.

    Accrochez-vous, 2018 sera sport. Les 349 prochains jours seront placés sous le signe du reset: UE, «No Billag», prévoyance vieillesse. Et surtout, le «régime financier 2021». Cette votation du 4 mars sera l’occasion d’appliquer le pire régime minceur à la Confédération. Il suffirait de refuser l’objet dont presque personne ne parle pour que, d’un coup, l’impôt fédéral direct et la TVA disparaissent. Si l’on joue les Neinsager le 4 mars, on tire vraiment la prise. Rien à voir avec cette bagatelle de «No Billag». D’un coup, on liquide les deux tiers des revenus de la Confédération.

    Tout cela vient d’un esprit superstitieux qui nous habite. Plutôt que de décider une fois pour toutes que les citoyens paient des taxes, les Helvètes préfèrent reconduire régulièrement l’impôt. La dernière fois que les contribuables se sont infligé pareille saignée fiscale, c’était en novembre 2004. Remarquez que 26% de la population avait quand même dit non, dont la majorité du canton de Zoug. Quels romantiques, ces Zougois…

    On tire la prise…

    Bref. Si l’on joue les Neinsager le 4 mars, on tire vraiment la prise. Rien à voir avec cette bagatelle de «No Billag». D’un coup, on liquide les deux tiers des revenus de la Confédération. On rend aux citoyens 50 milliards chaque année. On résout le problème de la RIE III. Sur le ring de la concurrence fiscale, Trump est KO.

    Il y a évidemment quelques inconvénients, une certaine idée de la cure d’austérité pour la Confédération. Exit les dépenses pour l’agriculture et la formation. L’Office de l’environnement, les transports publics et l’aide au développement, c’est fini. On pourrait juste se payer une «minarchie»: un Etat qui assure le minimum syndical. Trois pouvoirs, une petite armée et quelques services de base. Les routes, les douanes et la régie fédérale des alcools resteraient autofinancées, on est sauvés.

    Les «CF» et les «EP»

    Comme toujours, il n’y a pas de plan B. Il faut dire qu’un refus serait un chouïa extrême, à tel point que le parlement a adopté l’objet à l’unanimité. Pourtant, débarrassés de la capacité de nuisance de l’administration fédérale, les 26 cantons prendraient le pouvoir, leur destin bien en main. On supprimerait le «F» des CFF et des EPF, et on recommencerait de zéro. Le vrai reset.

    C’est ainsi que la Suisse connaît son petit frisson, tous les quinze ans, ses rêves d’un Grand Soir confédéral, le retour à 1847. Et si l’on ne se jette pas dans le vide en mars, rien n’est perdu: on remet le couvert en 2035. D’ici là, bonne année.

  • Après l’ordre mâle aux Chambres fédérales, l’ordre divin

    Après l’ordre mâle aux Chambres fédérales, l’ordre divin

    Publié dans le Temps, le 18 décembre 2017.

    La session des Chambres fédérales a pris fin, avec des débats sur le budget et sur le harcèlement sexuel, avec la pire des conclusions possibles, celles où les victimes sont prises pour les responsables.
    Avec des amis pareils, elles n’ont pas besoin d’ennemis. Il n’aura fallu que deux semaines pour réaliser que le Palais fédéral reste un truc de mecs, avec quelques femmes à côté, pour faire joli.
    En politique, tous les coups sont permis. Sauf quand il est question de bibine et de fesses. Les mêmes qui, d’ordinaire, se tirent dans les pattes à la moindre occasion, se découvrent soudainement une franche camaraderie dès lors qu’il est question de se protéger parmi, de justifier une main baladeuse ou d’expliquer un commentaire dégradant.
    Ce même parlement censé adopter des règles pour protéger les victimes. Ces mêmes parlementaires qui vous bassinent lors des élections fédérales pour durcir le droit pénal contre les délinquants. Ces mêmes élus qui vous pondent une motion à chaque fait divers et exigent la démission d’un juge fédéral à chaque fois que l’internement à vie n’est pas prononcé.
    Et là, tout à coup, dès lors qu’il est question d’un collègue qui a fauté, on se serre les coudes. On balance sa voisine. A tel point que les autres n’osent plus rien dire. J’en ai entendu des détails, des histoires de mains égarées jusque sous des jupes non consentantes. Et croyez bien qu’après le traitement fait à celle qui a le courage de parler, plus personne ne s’exprime.
    Il y a celui par qui tout a commencé. Pour lui, c’est fini. Mais ils sont nombreux, les autres, ceux qui cautionnent sans trop le dire. Qui, derrière leurs mauvaises blagues à faire semblant d’éviter l’ascenseur, n’en pensent pas moins, et se disent qu’une « main au cul », c’est pas si grave. D’ailleurs, on « l’a tous fait », m’a-t-on dit.
    Alors voilà, peut-être qu’il est temps d’admettre qu’on s’est trompé. Que l’on ne peut encore pas attendre du Parlement qu’il se montre moderne et en phase avec la société qui l’a élu. Quand on découvre qu’un parlementaire se comporte en harceleur, on reproche aux victimes de se taire. Et quand on en trouve une qui s’exprime, on lui jette sa jupe à la figure.
    Lundi passé, le lobby suisse du cinéma nous a offert l’« Ordre divin », un bon film sur l’octroi du droit de vote aux femmes. En DVD. Vu la fraicheur de certaines mentalités, il fallait distribuer en vieilles cassettes VHS.

  • De mauvais motifs pour interdire le glyphosate

    De mauvais motifs pour interdire le glyphosate

    L’Europe a renoncé à interdire l’herbicide, dans un contexte particulier. Mais partisans et opposants s’appuient chacun sur des études scientifiques dont la pertinence politique est pour le moins douteuse.

    Faut-il bannir le glyphosate? Douter de la réponse, c’est déjà s’exposer à la suspicion d’intelligence avec l’industrie pharmaceutique. Je prends le risque de poser la question, en sachant que cela ne m’apportera, à coup sûr, pas beaucoup d’amis.

    L’herbicide provoquerait le cancer. C’est ce qu’affirme un organisme de recherche de l’OMS, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), qui ne s’occupe pas que du glyphosate. La liste des produits «probablement cancérogènes»est longue comme un jour sans pain. On la trouve sur Internet. Et, sans grande surprise, on y découvre un paquet de choses que l’on n’a pas forcément envie d’avaler, sans même toujours savoir ce que c’est: le glyphosate, bien entendu, mais aussi le méthanesulfonate de méthyle, le virus de l’herpès ou le gaz moutarde.

    La viande, le tabac, l’amiante…

    Plus étonnant, figurent aussi dans la fameuse liste des probablement cancérogènes la viande rouge, les boissons très chaudes et l’exercice du métier de coiffeur, en raison des produits utilisés. Voilà autre chose. Mais ce n’est pas la seule liste. Une encore plus effrayante, par exemple, est celle des cancérogènes avérés. Elle contient évidemment le tabac et l’amiante. Mais aussi les boissons alcoolisées et la fabrication de chaussures.

    Vous avez pu le constater, on trouve moins de volontaires pour interdire la Feldschlösschen que le glyphosate, alors que la nocivité de l’une est garantie contrairement à l’autre, en dépit d’une récente croyance populaire. C’est la dose qui fait le poison. Une petite bière, ça ne fait pas de mal. De tous les produits comestibles, ce sont les pâtes alimentaires qui contiennent le plus du fameux herbicide. Or il faudrait manger 71 kilos de spaghettis par jour, une vie durant, pour s’exposer à une dose de glyphosate qui présenterait des conséquences sanitaires.

    Où se situe le problème?

    Sachant que personne ne parle de trinquer au Roundup, il est difficile de voir franchement où se situe le problème. On ne vous demande d’ailleurs pas non plus d’ingurgiter des bidons d’eau de Javel, produit aux vertus pourtant incontestées.

    Il y a peut-être de bonnes raisons d’interdire le glyphosate. Peut-être des problèmes liés à son utilisation professionnelle, peut-être la défense de l’agriculture biologique ou l’activisme politique contre le génie génétique. Une chose est sûre, cependant: les motivations que l’on nous sert aujourd’hui sont franchement mauvaises.

  • Les Paradise Papers, ou la parabole de la paille et de la poutre

    Les Paradise Papers, ou la parabole de la paille et de la poutre

    Publié dans le Temps, le 20 novembre 2017.
    Chacun peut s’étonner, s’émouvoir et même s’indigner des montages financiers révélés au gré des « papers » dévoilés par la presse. Mais lorsque l’on est soi-même au bénéfice d’une niche fiscale qui nous exclut totalement de la charge de payer des impôts, mieux vaut le faire discrètement…
    Ils auront été nombreux, les chevaliers blancs des organisations internationales, à faire des leçons sur la manière de bien payer ses impôts. On les aura entendu entonner le refrain du juste partage et de l’égalité sociale. Le genre de Pascal Saint-Amans. Avec un nom pareil, on lui confierait le bon Dieu sans confession. A défaut, on lui a laissé l’OCDE. Il s’en donne régulièrement et jusqu’à la caricature contre les vilains qui se planquent sur les îles, et plus encore contre les multinationales, responsables de tous les malheurs du monde. Il le répétait encore il y a quelques jours, à la radio romande.
    Il faut dire que l’OCDE est passée maître en matière de fiscalité redistributive. Depuis des années, l’organisation lutte par tous les moyens contre la fraude fiscale. Avec l’appui de quelques trésors publics qui n’ont pas connu d’excédant depuis les trente glorieuses, ils nous font part de leurs bons conseils en adoptant des modèles de convention incompréhensibles jusqu’à leur acronyme.
    Toutes ces affaires me rappellent la vieille histoire de la paille et de la poutre, qui colle à la peau de ces père-la-morale. Pour attirer les meilleurs, l’OCDE exonère ses employés de l’impôt sur le revenu, cela dans la plupart des Etats membres. C’est un fait trop méconnu : par le truchement d’accords internationaux, un grand nombre d’organisations permettent aux fonctionnaires d’échapper à la fiscalité en toute légalité. Cette concurrence aux mécanismes off-shore n’a jusqu’ici pas bénéficié de son lot de papers, on peut le regretter, mais tout vient à point.
    Bref, si je calcule bien, Pascal Saint-Amans, Monsieur impôt de l’OCDE, n’en a pas payé sur son revenu depuis 2007. Ce qui ne l’a pas empêché, durant ces mêmes années, de s’époumoner à réclamer la justice fiscale pour l’argent des autres, la mise à mort des droits procéduraux des contribuables et la lutte contre l’optimisation fiscale des multinationales.
    Les dissertations convenues sur ce qui est légal, illégal, moral et immoral tombent à plat quand on est protégé par de vieilles conventions entre Etats pour échapper au fisc en habitant en plein Paris. Avant de s’épancher dans la presse sur les bonnes pratiques fiscales, ces bouchers qui prêchent le véganisme seraient bien avisés d’apprendre à remplir une déclaration d’impôts. La leur.

  • La Suisse n’est pas une brosse à dents

    La Suisse n’est pas une brosse à dents

    Chaque fois que l’on nous sert du «ce produit n’est pas comme un autre», c’est pour exiger le privilège de bénéficier de règles spéciales, justifiées ou non.

    De plus en plus de domaines bénéficient en Suisse de leur législation propre, destinée à leur épargner les contraintes du marché libre. Et pour justifier ces exceptions, leurs promoteurs ont un argument de choc: «Ce n’est pas une brosse à dents.» C’était en 2012 que l’on m’a sorti pour la première fois cet argument. En pleine campagne de votation sur le prix unique du livre, mes explications furent balayées par un simple et direct: «Monsieur Nantermod, le livre n’est pas une brosse à dents!»

    Que répondre à cela? Comme une forme d’argument d’autorité, il suffisait à mon opposant d’asséner cette banalité pour que tout le monde, circonspect, me regarde de travers comme si ma position revenait à confondre le livre et un bien de consommation si vulgaire qu’il fallait interrompre immédiatement le débat et jeter aux orties toute discussion raisonnable. Le livre n’est pas une brosse à dents, point final, il n’y a plus besoin de réfléchir.

    Livres et boîtes de conserve

    Variation sur un même thème, un auteur saviésan bien connu avait brandi sur le plateau d’Infrarouge en 2012 deux livres et trois boîtes de conserve, histoire que les téléspectateurs puissent bien distinguer l’un de l’autre, et évitent de mélanger la haute littérature et la liste des ingrédients des raviolis. Le débat n’en fut pas renforcé, mais nous avions bien ri.

    Et cela revient sans cesse: dès que l’on est à court d’arguments, on vous fait le coup surréaliste de la brosse à dents. Depuis les élections fédérales de 2015, les Chambres ont ainsi recensé beaucoup d’objets à exclure du champ des produits ordinaires: les autocars, le Red Bull, les hôtels, l’aspirine, le cinéma, le passeport suisse, le Tribolo ou les insectes. Rien que cette semaine, j’ai appris que le téléjournal, les pommes de terre et les kilowattheures n’étaient pas une brosse à dents.

    Ça ne lave pas les dents, un prétexte

    En réalité, chaque fois que l’on nous sert du «ce produit n’est pas comme un autre», c’est pour exiger le privilège de bénéficier de règles spéciales, justifiées ou non. Si l’on veut admettre des régimes d’exception, ce devrait être pour des motifs objectifs et raisonnables, et non sous prétexte que le produit en question ne lave pas les dents.

    On en vient à ne plus trouver de domaines que l’on imagine exister sans que l’Etat n’adopte une série de règles spéciales pour les sortir des contraintes du marché, de la consommation ou d’autres abominations du même genre. Sauf, bien sûr, la brosse à dents, qui se porte à merveille: le leader suisse en vend plus d’un million par jour.

  • OFT: l'obsession de tout contrôler

    OFT: l'obsession de tout contrôler

    Publié dans le Temps, le 31 octobre 2017.
    La Suisse est le pays qui peine le plus à accoucher d’un début de libéralisation de ses transports. En matière d’autocar, après des mois à attendre un rapport, voici qu’arrive une petite ouverture bureaucratique du marché, contrôlée jalousement par l’OFT.
    Après avoir menacé pendant des mois de publier un rapport, le conseil fédéral a enfin tranché à propos des autocars à longue distance. Dans sa grande mansuétude, le gouvernement nous permettra de voyager en car, mais sous conditions. Plutôt que permettre purement et simplement l’autobus, il a été décidé de le soumettre à l’usine à gaz de la concession de transport.
    Concrètement, les compagnies ne pourront travailler que moyennant autorisation et surveillance de l’Office fédéral des transports (OFT). Il faudra aussi ne pas trop concurrencer le train. Il serait en effet assez cocasse (pour ne pas dire humiliant) qu’un entrepreneur privé parvienne à ébranler les CFF et les milliards de francs déversés pour asseoir leur monopole. Les autocars devront encore accepter les abonnements des CFF, même si l’on ne comprend pas trop l’intérêt d’acheter l’AG pour prendre les bus low cost. A lire ces exigences, on peut s’estimer heureux que ne soient pas imposés un service de minibar et l’uniforme des conducteurs.
    L’incohérence du système est déroutante. Les véhicules privés, eux, ne sont pas organisés par l’Etat. Chacun est libre de prendre sa voiture à l’heure qui l’arrange, avec ou sans passagers, pour aller où bon lui semble. Je pourrais bien m’offrir un immense autocar panoramique de deux étages pour me balader : tant que je ne partage pas mes trajets, c’est bon.
    Dans ce dossier, l’obsession de l’administration de vouloir tout contrôler se révèle pathologique. Alors que la Confédération ne prend aucun risque à laisser certains citoyens s’organiser librement, le gouvernement s’est mis en tête qu’il ne pouvait y avoir de transport efficace sans planification fédérale.
    Craint-on que des entrepreneurs se mettent à offrir un service de transport rentable à une clientèle qui ne demande rien d’autre ? Du point de vue de l’OFT, l’horreur absolue serait sans doute atteinte si des passagers peu scrupuleux choisissaient de voyager assis dans des cars plutôt que debout entre deux wagons saturés. Ce jour-là, ce sont les cars qui seront remis en question, pas les trains bondés.
    Surveiller, autoriser, décider : l’autorité fédérale trouve dans ces termes sa raison d’exister. Mais elle se trompe. Le but d’une collectivité est de servir ses citoyens. Ici, elle n’apporte rien d’autre qu’un dirigisme dépassé.