Un dîner à Locarno pour casser Netflix

Le monde du cinéma est sur le point d’imposer son obligation d’investissement pour les plateformes en ligne. Une manière de faire payer ceux qui ont trouvé une solution au défi d’internet et, indirectement, un public qui n’a rien demandé.

Un dîner. Une soirée. Un festival. Des politiciens invités. Un puissant lobby qui réunit toute la crème des commissions des Chambres fédérales pour les convaincre de voter une loi, des dizaines de millions à la clé.

Si cette soirée au Festival de Locarno avait été le fait d’un assureur ou d’une pharma, Le Courrier en aurait fait sa une, scandalisé. Mais bon, c’est pour la culture. Une branche économique sympa, intouchable, qui hyperventile depuis des mois pour faire adopter la taxe Netflix la plus chère possible.

Grand écran versus grand réseau

Le grand écran et le grand réseau, c’est vingt ans de relations compliquées. D’abord, on a cru qu’internet ne servirait jamais qu’aux adolescents qui pratiquaient le téléchargement compulsif sur Napster et Kazaa. Puis sont arrivées les plateformes de streaming. De simples diffuseurs, elles sont devenues les plus grands producteurs de films, surclassant allègrement les grandes maisons historiques.

La partition est connue, répétée. Les Américains ont tout inventé, à peu près dans un garage (il y a vingt-cinq ans, Netflix envoyait des DVD par la poste…). Prime, Netflix, Disney +, Apple TV ou Sky: ils traversent tous l’Atlantique pour nous inonder de films et de séries. Pendant ce temps, l’Europe n’a su que légiférer, taxer, réglementer. A propos de l’ordre de sortie des films, sur les exclus des festivals ou les soutiens aux salles obscures. Pour finalement se rendre à l’évidence: notre cinéma est à la traîne. A tel point qu’il faut maintenant des lois pour forcer les plateformes américaines à accepter nos productions.

Fière comme un pou

Derrière l’étendard ridicule de sa propre exception, l’industrie culturelle est devenue bien triste, réduite à supplier le législateur à coups de dîners au bord du lac Majeur de bien vouloir jouer les arbitres face aux grands noms de l’entertainement. Fière comme un pou, elle proclame sans rougir que sa planche de salut ne réside pas dans la qualité de ses productions ou sa capacité à trouver son public, mais dans l’intervention de vos élus pour choisir à votre place ce qui est bon pour vous.

Sans doute que l’opération sera couronnée de succès. Les parlementaires donneront 4% des recettes des plateformes au cinéma suisse qui se gargarisera de ce succès. A l’inverse, il n’est pas certain que l’histoire du 7e art n’en retienne autre chose que la poursuite de la décadence inéluctable d’une culture autocentrée qui perd son public et son futur.

Loi Netflix à l’heure de Locarno: débat face à Jacob Berger.

Débat sur Forum face à Jacob Berger. Cinéaste et co-président du groupe des auteurs, réalisateurs et producteurs de cinéma, sur la Lex Netflix. Quel que soit le prix et le catalogue de l’abonnement, les abonnées l’ont souscrit librement. Refuser la taxe Netflix, car la culture doit convaincre son public, pas les politiciens. A écouter ici 👇

Non à Taxflix !

20.030 Encouragement de la culture pour la période de 2021 à 2024

2 Loi fédérale sur la culture et la production cinématographiques (Loi sur le cinéma, LCin).

Section 2 (art. 24b, 24c, 24d, 24e, 24f)

Biffer.

Développement

Depuis qu’Internet est Internet, l’industrie cinématographique souffre du piratage. Des studios entiers ont disparu sous les assauts d’un fléau qui s’est longtemps expliqué par un manque de compréhension des attentes du public.

Alors que l’on pouvait craindre un affaiblissement massif de l’offre, la solution est venue de l’innovation : les plateformes de streaming. Des offres de qualité, payantes mais à un prix raisonnable, qui contrent le téléchargement illicite.

D’une situation de vol généralisé, nous sommes passés à un modèle commercial à succès qui a vu naître de nouvelles maisons de production. Seulement voilà, l’offre n’est pas suisse. Ni même européenne. Elle est principalement américaine.

Malheureusement, en raison de l’anti-américanisme en vogue dans certains milieux culturels, nous sommes souvent plus prompts à adopter les mauvaises idées de nos voisins qu’à copier les bonnes idées américaines. Cette appréciation est manifeste à la lecture de la révision de la LCin.

Plutôt que de pousser les cinéastes européens à offrir leur contenu sur des plateformes de streaming performantes, ou du moins à les imiter, « l’innovation » à l’européenne consiste à imposer, limiter, contrôler ce qui a du succès, celles qui fonctionne.

Le projet de loi veut introduire une taxe de 4% qui frappera toutes les plateformes de streaming en ligne. C’est-à-dire Netflix, Prime Video, HBO, Disney, AppleTV. Le produit de cette taxe servira à financer la culture nationale, sous-entendue celle qui le mérite.

Comme tous les citoyens, ceux qui sont abonnés à ces plateformes s’acquittent des impôts et de la redevance dont une part non négligeable finance déjà la production nationale. Il n’y a aucune raison valable pour faire payer une deuxième fois aux citoyens qui s’abonnent à ces plateformes plutôt qu’aux autres. Personne n’est coupable de préférer Netflix à la RTS, AppleTV aux cinémas. Ces consommateurs n’ont pas à supporter davantage l’effort culturel national.

Pour ces raisons, il s’impose de biffer la section 2 de la loi pour que chacun contribue selon les mêmes principes et les mêmes barèmes à la culture nationale.

Don Quichotte contre Netflix

Taxer les géants du Net, c’est tendance. A défaut d’innover dans la technologie, les administrations nationales deviennent un vivier à idées fiscales, qui ont toutefois montré leurs limites et s’avèrent finalement assez peu convaincantes du point de vue de l’intérêt public.

C’est en grande pompe et en juillet que le ministre de l’Economie a obtenu sa taxe sur les GAFA pour la France. Ce pays merveilleux où, comme chacun le sait, les finances publiques brillent par leur rachitisme. Le fond de l’affaire était entendu. Quand une société américaine gagne de l’argent, Bercy tousse. Quand elle ne lui verse pas d’impôts, Bercy s’étouffe. Mais Bercy sera sauvé, grâce à la taxe GAFA. Un nouvel impôt de 3% frappera le chiffre d’affaires de ces horribles sociétés dont le grand défaut est d’avoir réussi là où le Minitel et le Bi-Bop ont échoué: inventer un monde connecté.

O rage! ô désespoir! Les grands docteurs ès impôts n’ont pas su anticiper la réplique. A la surprise générale, Amazon reportera les 3% sur ses «partenaires», soit des petits commerçants bien français qui profitent de la plateforme américaine pour y gagner leur vie. Et qui supporteront désormais une nouvelle charge dont ils se seraient bien passés. Le géant américain échappera, quant à lui, à ces velléités toutes populistes qui consistent à faire croire que lorsqu’une entreprise est imposée, la facture n’est pas payée par le client ou le salarié.

«Quand on taxe le lait, ce n’est pas la vache qui paie l’impôt»

Ne rions pas trop du malheur de nos voisins. En Suisse, c’est l’Office fédéral de la culture qui s’est lancé dans la taxation aventureuse des méchants du numérique. Ils veulent ainsi prendre à Netflix et à ses concurrents 4% de leurs revenus. Pour le cinéma indigène. Quand la cause est noble, tous les moyens sont bons.

Pour n’avoir pas su inventer une plateforme à succès, pour n’avoir pas trouvé de réponse intelligente au piratage, l’OFC va punir les esprits inventifs qui l’ont réalisée sans s’encombrer des conseils avisés des fonctionnaires de la culture. Et bien entendu, le Père Noël n’existant pas, la taxe sera payée par les abonnements des vilains clients qui ont l’audace de ne pas se contenter de la production publique.

Quand on taxe le lait, ce n’est pas la vache qui paie l’impôt. Cette formule amusante illustre assez bien l’absurdité du raisonnement des politiques qui se persuadent au quotidien qu’il ne manque qu’une dernière taxe, qu’une dernière loi pour atteindre le bonheur. Et qui malheureusement l’adoptent.