Catégorie : Le Temps

  • Faute d’être parti à temps avec la vaccination, il ne reste plus qu’à courir

    Faute d’être parti à temps avec la vaccination, il ne reste plus qu’à courir

    Plus d’un demi-million de doses de vaccin sont disponibles en Suisse. Ce n’est pas encore Jérusalem, mais c’est suffisant pour offrir un premier «shot» à 8% de la population. Ou à un tiers des plus de 65 ans. Et dans dix jours, ce chiffre devrait doubler.

    Pourtant, moins d’une personne sur 100 a reçu sa première piqûre. En un mois, depuis l’autorisation par Swissmedic, la Suisse a accouché douloureusement d’un plan de vaccination. Avec un succès mitigé: en Israël, dans le même temps, plus d’une personne sur quatre s’est frottée à une seringue.

    Même si le dire heurte la susceptibilité des responsables cantonaux de la vaccination, notre action n’est pas à la hauteur d’un pays qui dépense tellement pour sa santé, qui se vante de son administration si efficace.
    L’exception suisse

    Sans parler des chiffres: certains cantons refusent encore de transmettre correctement leurs données sur la vaccination à l’OFSP. Nous voulons savoir si et combien de personnes se vaccinent. Notre pays est le seul d’Europe occidentale à ne pas livrer de statistiques régulières et complètes sur la vaccination. Il est loin, le temps où l’on se rassurait en se disant mieux armés que l’Italie face au virus.

    La statistique, c’est surtout l’argument le plus convaincant à opposer aux «antivax». Mieux que n’importe quelle annonce payante, les chiffres prouveront que les vaccinés ne tombent pas comme des mouches ou ne se changent pas en zombies. Mais échappent à un virus qui a déjà tué 8000 concitoyens.

    Tant que roupilleront des doses dans les super-congélateurs, des personnes mourront, des entreprises lèveront les fers, des libertés s’effriteront, inutilement. On ne sortira de cette pandémie qu’à condition de se vacciner largement. Et il n’y a plus une minute à perdre. Comme dans la fable, plutôt que courir en mars, il aurait fallu partir à temps en décembre. Le 19, le jour de l’autorisation par Swissmedic. Vacciner immédiatement, partout, dans chaque canton. Et pour cela, anticiper. Mais c’est trop tard.

    Après ce faux départ, notre pays doit engager maintenant un sprint pour rattraper autant que faire se peut le retard accumulé. Et la Confédération reprendre la main, avec tous ses moyens, y compris militaires, pour appliquer désormais la seule règle de précipitation qui vaille pour les vaccins: aussitôt reçu, aussitôt administré.

  • Vaccin COVID-19: le fiasco suisse se précise

    Vaccin COVID-19: le fiasco suisse se précise

    Le programme de vaccination en Suisse est un fiasco. Du début à la fin. Il ne sert à rien de se voiler la face: les promesses de l’OFSP, des cantons et des task force sur notre formidable plan étaient simplement à côté de la plaque.

    A commencer par l’approvisionnement en vaccins. Il est maintenant connu qu’alors que d’autres pays négociaient des doses en quantité dans des délais rapides, nous organisions ici des conférences de presse pour vanter un plan compliqué de vaccination en six étapes. En Suisse, on se réjouissait des prochains pictogrammes. Ailleurs, on sortait le chéquier pour mettre le prix et assurer des vaccins pour tout le monde avant la Saint-Glinglin. Israël a dépensé une dizaine de dollars de plus par dose et par citoyen pour assurer d’être les premiers. Pour une somme très raisonnable au regard du coût des confinements, nous aurions pu en faire autant…

    Ensuite, le programme de vaccination lui-même. Le 22 décembre, Swissmedic annonce à grands fracas l’autorisation du premier vaccin.

    C’est d’abord la stupeur chez les gouvernements cantonaux qui ne s’attendaient absolument pas à une telle nouvelle. Nous pouvons évidemment regretter le peu de coordination entre l’autorité d’homologation et les organes cantonaux. Un coup de fil quelques jours avant, histoire de se préparer, aurait été la moindre des choses. Mais passons.

    Parlons plutôt de la vaccination « pour de vrai ». Celle qu’on nous vantait dans les conférences de presse. Le 22 décembre, nous avions 107´000 doses disponibles. Ce n’est pas énorme, mais les a-t-on au moins utilisées ? Impossible à dire avec certitude: l’OFSP ne juge pas nécessaire de communiquer ce genre d’informations, si bien que la Suisse fait partie des pays désespérément gris sur les cartes internationales, indiquant un frustrant « no data available ».

    Toutefois, à lire les annonces fracassantes promettant une dizaine de vaccinations par-ci, par-là, tout laisse à penser que la Suisse ne fait pas beaucoup mieux que la France et ses bientôt cinq cents vaccinés. Bref, en dehors des effets d’annonce, il y a fort à parier qu’en deux semaines, la Suisse n’a pas sorti beaucoup de vaccins des super congélateurs de l’armée.

    Franchement, c’est honteux. Les arguments pour justifier cette (dés)organisation sont désolants. Il paraît qu’il est très compliqué d’obtenir le consentement éclairé des pensionnaires d’EMS, ou de leur famille. Ah, la belle excuse. Si seulement nous avions su avant décembre qu’une pandémie frappait le monde et qu’un vaccin se préparait, il aurait été possible d’anticiper cette étape ! Caramba, encore raté.

    Et puis il y a cette logistique insurmontable. Une conseillère d’Etat m’a surnommé « Yaka Nantermod » pour m’être plaint des lenteurs de l’administration. Cette même administration qui impose à tous les restaurants d’ouvrir, fermer, confiner, protéger, sous 24 heures, a été tout simplement incapable de préparer la logistique de vaccination pour un produit dont les caractéristiques sont connues depuis octobre, période a laquelle 40’000 personnes ont été vaccinées en phase de test.

    Mais là où nous avons échoué, là où nous avons des excuses, d’autres ont agi. Preuve s’il en faut que c’est possible. Israël a déjà vacciné plus de 10% de sa population. Dans dix jours, tous ses citoyens âgés de plus de 60 ans auront reçu une dose. En Grand-Bretagne, plus d’un million de personnes sont vaccinées.

    Ici, nous organiserons encore des débats ethico-politique pour camoufler le naufrage de notre plan de vaccination, en préparant un troisième confinement qui coûtera encore une fois une blind à notre économie.

    Ce retard et cette impréparation s’inscrit dans une lignée d’échecs. Après les stocks de masques fantômes, après SwisscovidApp qui ne fonctionne pas, après le traçage dépassé dès qu’il fut mis en œuvre, après la coordination inexistante des fermetures de la deuxième vague. Mais sachant que le vaccin est notre porte de sortie de crise, cet échec est le plus cinglant et le moins excusable.

  • 2020, la pire année de l’histoire?

    2020, la pire année de l’histoire?

    C’est la une du «Time» de début décembre: 2020, biffée d’une grande croix rouge. On ne peut cependant sérieusement considérer que l’humanité n’a pas traversé d’épreuve plus difficile que la présente pandémie.

    Le Time ne mâche pas ses mots. 2020, ce n’est ni plus, ni moins que la pire année de l’histoire. C’est ainsi que sont présentés les bientôt 365 jours qui viennent de nous épuiser à coups de deuils, de souffrances, de masques, d’ordres, de contre-ordres, de confinement, de réouverture et de mille gels hydroalcooliques.

    De là à nommer 2020 l’année diluvienne, il y a un pas que je ne franchirai pas. Et même si le prestigieux magazine américain corrige un peu le titre en expliquant dans le texte que l’année est la pire «pour la majorité des gens encore en vie», on est encore loin du compte.

    Sans minimiser les drames de cette année de malheur, l’humanité a malheureusement connu des périodes plus difficiles. Si l’on s’engage dans le concours des horreurs, le virus du pangolin ne pèsera pas lourd face aux grandes pestes, aux deux guerres mondiales, à Gengis Khan ou à la guerre de Vendée.

    Et si l’on s’en tient à nos contemporains, la vie ne vaut-elle pas mieux d’être vécue à New York en 2020 qu’à Sarajevo en 1995, à Bucarest en 1988 ou à Alep en 2013? Naturellement, si vous faites partie de la population mondiale installée dans le bloc occidental et, dans cette zone, dans un pays qui n’a connu ni dictature, ni communisme, ni crise économique (ou les trois ensemble, qui se marient trop souvent) au cours du dernier siècle, la probabilité existe que 2020 soit clairement l’année la plus pourrie de votre existence. En moyenne, bien entendu: les destins individuels s’accordent assez peu avec ces généralités de magazine.

    Mais ne prenons pas nos projections occidentales pour des réalités universelles. Quinze pour cent des habitants de notre planète vivent dans nos contrées hyper-développées. Il y a de bonnes raisons de penser que plus de trois quarts des habitants du monde considèrent 2020 comme une année compliquée, mais probablement pas encore comme l’apocalypse.

    La titraille du Time joue du réflexe égocentrique occidental. Celui qui nous pousse à croire à divers degrés que nos préoccupations sont partagées universellement. Nos valeurs absolues. Comme si tout ce qui existait avant n’existait pas. Comme si tout ce qui se passait ailleurs comptait pour beurre.

    J’imagine que c’est un réflexe humain, qui n’en reste pas moins faux. On ne rend pas hommage aux victimes de la pandémie en minimisant les autres drames humains.

  • Entreprises responsables: la surprenante et nette victoire des opposants

    Entreprises responsables: la surprenante et nette victoire des opposants

    Avec deux tiers de cantons opposés, l’initiative a largement échoué en votation populaire. Les appels à réformer le système résonnent comme les regrets de mauvais joueurs qui n’acceptent pas les règles une fois la partie terminée.

    Bien sûr, il faudra compter avec ces 50,7%. Le contre-projet déjà adopté en est la première expression. On reconnaîtra aussi la patte de cette très courte majorité populaire dans les futures évolutions du droit de la responsabilité des entreprises.

    Mais ne nous leurrons pas: avec seulement un tiers des cantons favorables, l’initiative s’est pris un vrai bouillon. Il s’en est même fallu de peu que la majorité du peuple ne soit pas non plus atteinte, c’est dire.

    Cette votation rappelle les élections américaines. Là où les sondages nationaux sont commentés naïvement, tandis que les enjeux véritables se jouent dans les cantons. Comme si l’on s’intéressait aux kilomètres parcourus par les joueurs de football, en ignorant sciemment le score du match.
    Des airs de Trump

    Dimanche, certains partisans avaient des airs de Donald Trump, avec son ridicule «I WON, BY A LOT». On a pu entendre l’indignation des élites de gauche face à l’existence de petits cantons alémaniques. Presque une hérésie antidémocratique. Pour la présidente des Jeunes socialistes, la double majorité appartient aux poubelles de l’Histoire. Roger Nordmann trompetait sa volonté de réformer le système en bazardant la majorité des cantons. Et même peut-être la remplacer par une majorité des villes. De gauche, bien entendu.

    La règle n’a pourtant rien d’insolite. Réviser une Constitution, c’est laborieux. Chez nous, comme ailleurs. La plupart des démocraties modernes ont mis sous toit de tels mécanismes de check and balances, de pouvoirs et de contre-pouvoirs, pour empêcher que des majorités hasardeuses n’aboutissent à des renversements définitifs du fonctionnement du pays.
    Des exemples ailleurs

    Aux Etats-Unis, il faut trois quarts des Etats pour adopter un amendement à la Constitution fédérale. L’Allemagne prévoit une majorité aux deux tiers. Beaucoup exigent l’approbation des deux Chambres, à des majorités qualifiées, puis un vote populaire. Sans parler de ceux qui exigent encore l’adhésion du roi.

    Notre initiative populaire vise à changer la Constitution. La modifier impose quelques formalités particulières qui rendent l’exercice moins accessible aux forces trop révolutionnaires. A l’inverse, le référendum permet de combattre une loi. Et là, les régions les plus peuplées sont avantagées pour contrecarrer les projets portés par les deux Chambres fédérales. C’est un de ces équilibres dont nous avons le secret et qui a fait ses preuves. Dimanche encore une fois.

  • Initiatives responsables : la grande mission du Bien

    Initiatives responsables : la grande mission du Bien

    Dans dix jours, la Suisse deviendra peut-être la nation de la moralisation de la politique et de la justice. Avec pour mission d’imposer ses valeurs au monde entier, par la force des tribunaux. Parce que forcément, nos valeurs le justifient.

    Bien sûr que l’initiative contre les entreprises prétendument irresponsables est néocoloniale. Les contorsions des initiants n’y changeront rien. Et ils feraient mieux de l’assumer pleinement, ma foi. Le texte vise à faire appliquer une échelle de valeur, la nôtre, urbi et orbi. Cette échelle de valeur à laquelle j’adhère, mais qui n’implique pourtant pas nécessairement de vouloir l’imposer sur cinq continents par la force de nos tribunaux.

    Avec cette initiative, le camp du Bien s’engage dans une vraie mission. Pas étonnant que les Églises soient de la partie. Elles ont toujours été aux premières loges pour évangéliser un Sud qui n’avait pas trouvé le vrai dieu hier, à qui il manque notre « humanisme » aujourd’hui.

    En 1945, lors de la fondation des Nations Unies, on a pourtant introduit ce principe émancipateur : le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Ce droit de chacun de choisir son régime politique et de décider des règles applicables dans sa propre société. Un droit donné même à la Bolivie, au Nigeria ou à la Namibie (pour reprendre les exemples des initiants), de décider souverainement des comportements punissables sur leur territoire. De constituer leurs propres tribunaux. D’appliquer leur loi, pour ce qui se passe chez eux.

    Au nom d’une conception toute coloniale des droits de l’Homme, l’initiative sur les entreprises responsables bat ce principe en brèche, pour lui substituer la règle de la primauté de l’appréciation occidentale et helvétique des droits humains. Nos priorités. Notre vision des normes environnementales. Les préoccupations des Suisses en 2020 se substitueront à celles des citoyens du reste du monde qui n’ont naturellement pas compris ce qui était bon pour eux. Avec ce regard paternaliste et convaincu que ces pauvres pays sont incapables d’organiser eux-mêmes une justice digne de ce nom, alors que nous avons – c’est bien connu – atteint la perfection en termes d’efficacité et d’équité en la matière.

    La Suisse est d’ordinaire si sensible sur ces questions de souveraineté. A fleur de peau, chaque fois qu’un voisin a l’outrecuidance de nous faire la leçon. De nous donner ne serait-ce qu’un conseil. Notre droit exclut de soumettre aux tribunaux étrangers les actes en Suisse des entreprises étrangères. Mais, bourrés d’incohérences, et comme tout moralisateur qui se respecte, nous appliquerons aux autres ce que refusons catégoriquement pour nous.

  • Les cailloux d’Italie

    Les cailloux d’Italie

    Tandis que des manifestants bloquent une carrière dans la campagne vaudoise, les camions amènent des milliers de tonnes de roche d’Italie en Suisse pour réaliser les ouvrages que la population et l’environnement attendent. Petit rappel des contradictions politiques de notre monde.

    C’est le chantier du siècle en Valais. En Suisse peut-être. La troisième correction Rhône, c’est notre plus grand projet contre les crues. Il protégera environ 100’000 personnes. Quand bien même je n’avais pas dix ans, je me souviens bien de ces images glaçantes de Brigue sous la boue, en 1993. C’est aussi une entreprise de renaturation, de compensations écologiques rendues à la nature.

    Pour réaliser « R3 », il faudra déplacer des montagnes. Pour de vrai. Les travaux nécessiteront environ 1,7 million de mètres cube de blocs d’enrochement. Bout à bout, c’est 25’000 camions.

    Oui mais voilà. La Suisse n’a pas de richesses naturelles, on le sait. Elle n’en a tellement pas, qu’elle n’aurait pas de cailloux. La preuve : la Suisse importe aujourd’hui des roches. D’Italie et de France. Et pas qu’un peu. Presqu’une tonne sur deux est importée. Pour le Rhône, cela représente presque douze mille camions qui traverseront les Alpes depuis la péninsule, pour nous livrer des rochers. Et on ne parle pas de marbre de carrare, mais d’un bon vieux lapis vulgaris, un caillou vulgaire.

    Imaginez maintenant nos autoroutes pleines des semi-remorques transportant la pierre nécessaire aux grands projets. Corriger le Rhône c’est une paille. Il y a tous les autres ouvrages de protection. Là où l’on prône la densification, il faudra des places, des souterrains, des logements exigés à coups d’initiatives populaires. Les kilomètres de route à faire et à refaire. Les ouvrages des CFF. Les hôpitaux que chaque région réclame. Les écoles que l’on veut modernes et sûres. On a beau aimer le bois, il en faudra quand même du béton.

    Ce gravier, il suffirait pourtant de le prendre ici, chez nous. Il existe, sous nos pieds. La Suisse n’a qu’à se baisser pour ramasser ses propres cailloux, plutôt que les faire venir du bout du monde.

    Pourtant, à chaque fois qu’une carrière pourrait être ouverte ou étendue, les oppositions et les recours pleuvent. Ceux qui se battent pour une écologie radicale sont souvent en première ligne. Comme ces zadistes d’Eclépens qui s’enchaînent aux arbres pour empêcher qu’Holcim creuse la terre. Qui expliquent que l’on ne veut pas de ça chez nous. Parce que personne ne veut de pierre dans son jardin. Et c’est ainsi que, pour protéger la nature, on construira la Suisse de demain avec les cailloux d’Italie.

  • Le coronavirus et la cuillère en argent

    Le coronavirus et la cuillère en argent

    Le désastre économique de la pandémie se traduit de manière très concrète pour les petits indépendants, les PME et les employés du privé. Dans ce contexte, les plaintes de certains syndicats de la fonction publique sonnent particulièrement faux.

    Deux mille vingt, annus horribilis, c’est maintenant connu. Il n’y a rien de bien original à considérer que l’année qui a vu s’abattre sur notre monde la pandémie de covid est à ranger dans la catégorie de celles que l’on aurait volontiers évitées.

    D’abord, il y a les victimes, pour lesquelles cette année pourrie sera la dernière. Quoi qu’en disent les complotistes de tout poil pour qui le virus est un mauvais gag inspiré par Bill Gates, leur nombre dépasse amplement le million. Cela sans parler des rescapés: tous n’en reviennent pas la fleur au fusil.

    Et puis, bien entendu, il y a le volet économique de la crise. Un désastre qui ne connaît pas beaucoup de comparaisons. Un compatriote sur huit bénéficie des fameuses RHT, la réduction de l’horaire de travail. Le mot pudique pour dire chômage technique. Le taux de sans-emplois, lui, a augmenté de moitié. A leurs côtés, on trouve ces nombreux indépendants, chauffeurs de taxi, professionnels de l’événementiel, hôteliers, qui se retrouvent parfois sans aucun revenu, passant entre les mailles d’un filet social que le Conseil fédéral a tenté, tant bien que mal, de bricoler en milieu de pandémie. Sans oublier ces entreprises, petites et moyennes, des exploitations liquidées ou précipitées vers une faillite attendue. C’est parfois le travail de toute une vie qui se trouve laminé.

    Face à ces drames humains, j’ai été frappé ces derniers jours par une certaine indécence. Celle de ces professeurs d’université qui se disent à bout de forces un mois après la rentrée. Ou de leurs étudiants, éreintés à la seule idée de suivre assis leurs cours en ligne. Et, surtout, de ces manifestants de la fonction publique genevoise, vent debout contre une proposition de loi qui mènerait à réduire leur revenu d’un malheureux pour cent.

    On ne demande à personne de se réjouir d’une baisse de salaire ou d’une péjoration de ses conditions de travail. Mais au temps où l’ensemble de la société se serre la ceinture face à un cataclysme sanitaire et économique, au moment où les employés du secteur privé espèrent avoir encore un travail à Noël, les plaintes, cuillère en argent dans la bouche, d’une partie de la fonction publique qui bénéficie d’une complète sécurité de l’emploi, confinent à la grossièreté.

  • Rose-vert-grève: la fin de la lune de miel

    Rose-vert-grève: la fin de la lune de miel

    Le lancement du référendum contre la loi sur le CO2 par un grand nombre de sections de la grève du climat met un terme brutal à l’osmose curieuse que la gauche institutionnelle faisait mine de vivre avec les milieux intégristes de l’écologie.

    Étrange automne qui conjugue des records de chute de neige, Roland Garros et l’alliance surprenante de la grève du climat et de l’union pétrolière pour lancer un référendum contre la loi CO2.

    Jusqu’ici, tout pourfendeur du mouvement portait la marque du vieux ringard. Rôle que j’endosse avec un plaisir masochiste. Il était mal vu de ne pas s’émouvoir devant le sens civique des manifestants. A qui les nostalgiques d’un mai 68 idéalisé offraient une totale immunité, face aux multiples incohérences de la génération la plus prospère, la plus low cost, la plus carbonée et la plus vindicative sur ces mêmes questions. Sans parler de l’amnistie des grèves organisées exclusivement durant le temps scolaire.

    Il aura suffi de passer aux choses sérieuses, d’adopter – enfin – la loi sur le CO2, pour que s’éteigne la béatitude des gens de bonne volonté. La grève du climat ne veut pas de cette loi. C’est son droit le plus strict. Rien ne lui a jusqu’ici été refusé, il était attendu qu’une loi de compromis ne pourrait pas lui convenir.

    Mais il est tordant de voir le chef du groupe socialiste essuyer un « Ok boomer », une semaine après avoir mendié la sympathie des jeunes en brandissant un drapeau « Klimastreik » sur la place fédérale. De voir des écologistes bon teint, dépassés sur leur côté jardin, expliquer que même pour le climat, on doit trouver des solutions réalistes.

    La loi sur le CO2 est un compromis ambitieux qui permettra à la Suisse de tenir ses engagements. Même un peu mieux. Réduire de 50% nos émissions d’ici 2030. Atteindre le zéro net en 2050. Un vrai parcours du combattant nous attend, fait de restrictions, de taxes, de normes. Limiter le réchauffement climatique ne sera ni facile, ni agréable.

    A refuser tout compromis, ces milieux qui réclamaient à cor et à cri un changement sont prêts à tout détruire plutôt que de n’être exaucés que partiellement. Que les deux extrêmes rejettent cette loi est sans doute la preuve de sa bonne facture.

    On est loin du projet décroissant des intégristes écologistes, celui que les élites rose-vertes observaient il y a encore dix jours avec un regard paternaliste, en se disant qu’il sera toujours temps de le capter. La grève du climat fait son adolescence et les sociaux-traitres au pouvoir mèneront demain une campagne aux côtés des forces obscures et bourgeoises pour défendre une loi de compromission. Quitte à passer pour des vieux ringards, à leur tour.

  • L’arbre mort de Noël

    L’arbre mort de Noël

    J’admire la France. En particulier sa capacité à faire de n’importe quelle ânerie une polémique nationale. La semaine passée, les nouveaux maires écologistes ont particulièrement marqué le coup avec des propos aussi farfelus qu’emblématiques d’un mouvement fait d’austérité et de puritanisme. Douce France. Les banlieues et les forêts américaines brûlent, le monde se reconfine sous la menace d’un retour du coronavirus, l’économie mondiale suffoque. Et la France s’enfonce dans une terrible polémique pour une histoire de sapin de Noël. C’est Pierre Hurmic, le maire de Bordeaux, un Vert issu de la dernière vague écologiste, qui a lancé les hostilités alors qu’il s’épanchait sur sa vision moderne du monde d’après.

    Parmi les grands projets qu’il porte, M. Hurmic veut biffer du budget municipal celui du sapin de Noël. Tout un programme. Pas pour une forme de laïcité radicale qui aurait suscité des initiatives populaires du côté d’Egerkingen. Non. Notre social justice warrior de maire ne veut pas fêter Noël avec des «arbres morts». Un cadavre étranger au concept de végétalisation de Bordeaux. Et dans la foulée, voilà qu’il lance l’entreprise fondamentale d’une charte des droits des arbres.

    Dans un pays qui ne connaît pas de problème plus grave, cette déclaration fracassante n’a pas manqué de susciter l’indignation générale. La polémique a occupé les plateaux des chaînes d’info en continu. Et suscité l’ire du président de l’Association française du sapin de Noël naturel, l’AFSNN (www.afssnn.fr ), pour ceux qui doutent du sérieux de ma chronique). Son président, M. Naudet, n’a pas manqué de regretter une décision qui jette l’opprobre sur tous les professionnels de la branche. Sans rire.

    De l’autre côté du pays, à Lyon, c’est l’écolomaire Doucet qui se faisait remarquer en tirant à boulets rouges sur le vélo. Original. Il se plaignait que le Tour de France fasse arrêt dans sa ville, accusant la manifestation d’être «machiste et polluante». Pour le représentant d’un mouvement qui promeut la petite reine jusqu’à refuser le casque et le partage des pistes cyclables, c’est cocasse.

    La même semaine, le pape a déclaré que «le plaisir de manger, comme le plaisir sexuel viennent de Dieu». En l’espace de quelques jours, on a ainsi pu voir les représentants de l’écologie politique se montrer plus conservateurs, puritains et moralisateurs que la plus haute autorité catholique. De la viande aux sapins de Noël, de la Grande Boucle aux compagnies low cost, les écologistes seront toujours là pour punir les petits bonheurs terrestres. Par cette forme de grande dépression écologiste, une austérité censée nous protéger d’une prétendue fin du monde que l’on finira par regretter.

     

  • Une initiative pour châtier les « 74 » ?

    Une initiative pour châtier les « 74 » ?

    Le 27 septembre, une initiative propose de résilier la voie bilatérale. Prétendument destinée à nous donner plus d’air, de verdure et d’emplois, elle démolit l’ensemble du cadre juridique qui nous assure des relations harmonieuses avec notre premier partenaire économie, social et culturel. J’avais huit ans, mais comment oublier ce 6 décembre 1992 ? A force de le seriner à chaque campagne, il s’est incrusté dans nos mythes fondamentaux. Comme Guillaume Tell et la prairie du Grütli.

    Le peuple a refusé l’UE. Trente ans après, deux constats s’imposent. La volonté populaire a été respectée, la Suisse reste indépendante. Mais aussi, un plan B, une autre solution, pragmatique, a été trouvée : la voie bilatérale. Ces accords encadrent les relations qui nous lient au partenaire avec lequel nous échangeons chaque jour un milliard de francs. Pour la rentrée politique, on nous propose de casser tout ça.

    L’initiative a le mérite de la clarté. En cas de Oui, nous détruirons en un dimanche ce que nous avons mis trente ans à construire. Bazarder les accords acceptés et confirmés par 70% du peuple. D’un trait de plume, comme on résilie un abonnement de téléphone.

    Vous trouvez le ton catastrophiste ? Énumérons ces accords, on saisira mieux l’enjeu. La libre-circulation. Celle qui assure le statut d’un demi-million de Suisse qui vivent, travaillent, étudient en Europe. Qui encadre l’embauche européenne en Suisse. Celle dont nous avons tant besoin dans les hôpitaux, l’industrie ou le tourisme. Cela selon les besoins des entreprises plutôt que des aspirations bureaucratiques.

    L’accord « marchés publics ». Celui qui permet à Stadler Rail de vendre des trams à coups de milliards. L’accord sur les entraves techniques au commerce qui épargne la double homologation de nos exportations. L’accord sur les produits agricoles transformés qui offre des perspectives à des pans entiers de l’agriculture, par exemple aux producteurs de Gruyère. Des accords sur le trafic aérien ou terrestre, sur la recherche scientifique. Et puis les centaines d’accords techniques qui en découlent.

    Hors UE, nous profitons d’un statut taillé sur mesure. Nous avons su trouver quelque chose entre tout et rien. L’initiative ne veut plus rien. Nous jeter dans l’inconnue. Nous laisser le même statut que la Turquie, l’Ukraine ou le Kosovo. Et tout ça pour se venger des plaques « 74 » qui nous dépassent sur l’autoroute ou d’un Polonais qui a travaillé moins cher pour un boulot qu’on n’aurait de toute manière pas voulu faire. Alors que l’économie boîte encore du coronavirus, ce serait faire preuve de démence que de s’infliger pareille punition.