Catégorie : Chroniques

  • L'innovation à la française

    L'innovation à la française

    Chronique hors-série de l’été, publiée sur mon blog le 5 juillet 2018. 
    La digitalisation permet aux élus d’innover dans le monde législatif, avec de nouvelles interdictions et taxes pour ramener le consommateur sur le droit chemin. Avec parfois quelques absurdités.
    Tandis que le président Macron s’époumone à chanter les louanges de l’intelligence artificielle, son parlement ferraille contre les géants de la digitalisation.
    Il y a eu l’interdiction des livraisons gratuites. Hadopi. La loi sur les  » fake news « . Aujourd’hui, nos amusants voisins débattent du  » Pacte national pour la revitalisation des centres-villes et centres-bourgs « . Ça manquait, c’est sûr. Dans le détail, on innove. On invente la taxation du commerce en-ligne. Pour lutter contre les mauvaises habitudes des gens. Pour sauver le petit commerce. Consommer local. Salauds de consommateurs.
    Comme d’habitude, ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère. La taxe s’élève à cinquante centimes d’euro par kilomètre. Le Toulousain qui aura la mauvaise idée de commander la bio de Nougaro stockée chez Amazon à Lille s’acquittera de la coquette somme de 18 euros. Plus 447 de taxes. Dissuasif.
    Pour justifier cette mesure frappée au coin du bon sens, le Sénat rappelle que  » la livraison de biens commandés par voie électronique ne fait l’objet d’aucune taxation spécifique « . On découvre avec stupéfaction qu’il restait un truc qui n’était pas encore taxé. Il fallait bien agir.
    Chers voisins, rassurez-vous, vos élus vont adoucir le texte. Mais il en restera toujours quelque chose. Et dans quelques mois, un député suisse s’inspirera de cette charmante initiative et nous proposera une version helvétique. Sans les abréviations et les néologismes, mais avec la même bonne volonté à faire frémir.
    On n’innove pas sans casser des œufs. Je n’y étais pas, mais je suppose que beaucoup de palefreniers ont perdu leur boulot après l’invention du moteur à explosions. Les standardistes sont les victimes du téléphone numérique et il ne reste d’allumeurs de réverbères que sur une planète imaginaire. Pourtant, les députés veulent arrêter le temps. Stopper l’évolution. Revenir au minitel. Interdire l’innovation.
    Qu’on l’aime ou pas, les choses changent. En France comme ailleurs. J’adore la France. Si elle n’existait pas, il faudrait l’inventer. Mais ce serait probablement interdit.

  • Expliquer l’égalité à défaut de la vivre

    Expliquer l’égalité à défaut de la vivre

    Le parlement fédéral a adopté une révision du Code des obligations qui prévoit une contrainte pour les sociétés cotées en bourse de se positionner sur la présence des femmes dans ses conseils lorsqu’elles sont fortement sous-représentées. Un coup de pouce peu bureaucratique qui pourrait faire avancer les choses dans le bon sens.

    J’ai accepté les «quotas». Ceux qui se sont joués à une voix près. Ceux qui ne sont pas vraiment des quotas. Les sociétés cotées en bourse devront s’expliquer si elles ne font pas assez bien en matière d’égalité. Dans leur rapport de rémunération. Ces boîtes qui pondent des rapports annuels gros comme un bottin de téléphone zurichois y ajouteront quelques lignes sur l’égalité. On a vu plus contraignant.

    L’égalité n’est pas qu’une marotte de la gauche. J’aurais pu être sensibilisé à ce problème dans mon activité politique. Dans une société où, près de cinquante ans après l’introduction du suffrage féminin, les femmes occupent difficilement un quart des sièges. Et où elles sont les seules à se farcir les questions sur l’éducation des enfants et les tâches ménagères lorsqu’elles se présentent au Conseil fédéral.

    Qui finit par «raquer»?

    Mais c’est plutôt dans ma petite étude d’avocat que j’ai pris conscience de l’ampleur du problème. Le divorce est le pain quotidien des avocats. En tout cas de ceux qui démarrent. Et c’est dans ces affaires-là que l’on met le nez dans les petites histoires des familles. Que l’on demande qui s’occupe des mômes. Qui renonce à sa carrière. Qui encaisse. Et, à la fin, au moment du divorce, qui finit par «raquer».

    L’égalité n’est pas un truc de femmes. Les hommes aussi sont les victimes d’une répartition sociale des rôles qui ne correspond plus aux aspirations des individus, du moins de la moitié qui finit par divorcer. Quand on met un terme au contrat conclu pour la vie, il reste généralement deux personnes. Meurtries et appauvries. Les grandes théories apprises à l’université font pâle figure lorsqu’on entend celui qui se saigne pour payer les contributions de son ex qui ne trouve plus une place convenable. Et les conséquences vont bien au-delà de la seule question du divorce.

    La peau dure

    Je n’étais pas né lorsque le peuple et les cantons ont inscrit l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes dans la Constitution. Les inégalités structurelles ont la peau dure. Les mesures utiles et raisonnables sont rares, alors appliquons au moins celles-ci. Comme adopter un congé parental et ouvrir des crèches (de la responsabilité des cantons, mais c’est un autre débat). Ou demander aux sociétés cotées en bourse de réfléchir à l’égalité, à défaut de la vivre.

  • L’Amérique innove, la Chine copie, l’Europe réglemente

    L’Amérique innove, la Chine copie, l’Europe réglemente

    Lorsqu’il y a une innovation, les Américains en font un commerce. Les Chinois, une copie. Les Européens, quant à nous (en la matière, je nous mets volontiers dans le même panier), nous en faisons un règlement. Cette boutade vient d’Emma Marcegaglia, ancienne présidente de la Confindustria, le «Medef italien». On peut difficilement lui donner tort.

    Vivez l’expérience de notre virtuosité réglementaire. Tous les matins. Par e-mail. Du Verbier Festival à Viagogo en passant par Spotify, des dizaines de sociétés dont je n’avais jamais entendu parler me font poliment part de leur «politique de protection des données». Ces centaines de courriels non sollicités sont l’œuvre des eurodéputés qui ont pondu une «bruxellerie» dont ils ont le secret: le Règlement général sur la protection des données. RGPD pour les gens pressés.

    Ils n’y sont pas allés de main morte. Le texte s’étire sur plus de 130 pages. Je ne l’ai évidemment pas lu, la vie est trop courte. Mais il paraît que le RGPD introduit une ribambelle de droits pour protéger l’utilisateur contre l’usage abusif de ses données. On est sauvés. De mon côté, j’ai fait comme toujours. J’ai menti. J’ai promis que j’avais lu les conditions d’utilisation. J’ai prétendu avoir compris quelque chose au RGPD. Et je continuerai tout comme avant.

    C’est en pleine connaissance de cause qu’on s’est livrés aux géants de l’ère numérique. On a partagé à qui mieux mieux des photos de sorties entre amis. On a confronté passionnément nos opinions éclairées. Etalé des compétences réelles ou supposées. On a même laissé des montres connectées nous tâter le pouls. Et maintenant, on demande que l’on fasse comme si on ne se connaissait pas. De feindre n’avoir rien vu, rien entendu.

    Du travail pour les avocats

    Les Américains ont inventé les GAFA: Google, Apple, Facebook, Amazon. Nous, le RGPD. Un texte législatif indigeste que tout le monde prétend désormais appliquer. Qui nous compliquera la vie là où la technologie est utile. Et qui n’empêchera certainement pas aux enfants de Cambridge Analytica de vendre au plus offrant les données qu’on lui aura gracieusement offertes.

    Aux Etats-Unis, on crée des postes d’informaticiens. Chez nous, du travail pour les avocats. On fera de grands procès tonitruants contre les start-up à succès que d’autres auront créées. Les Chinois continueront à copier. Et les Européens à réglementer.

  • Grattez ! Gagnez ! Votez !

    Grattez ! Gagnez ! Votez !

    La campagne pour la loi sur les jeux d’argent est l’occasion d’un festival de cadeaux et de distribution d’argent de la part des casinos et de la Loterie Romande. Les invitations, concours et subsides pleuvent pour inciter le peuple à adopter sans sourciller une loi inadaptée et controversée.

    La semaine dernière, on découvrait sur les ondes de RTS La Première que la Loterie Romande, la LoRo pour les intimes, avait convié 12 parlementaires à suivre la Patrouille des glaciers en… hélicoptère. Un petit cadeau bienvenu qui permet de mettre en œuvre le slogan qui proclame que le jeu protège l’environnement.

    Même après avoir reçu des billets à gratter en guise d’argumentaire, les élus héliportés ne voient toujours pas le problème. Selon mon estimé collègue Claude Béglé, interviewé à l’occasion, la promenade lui a permis de mieux comprendre le fantastique travail de la LoRo. Il aurait dû visiter un bistrot équipé de Tactilo pour comprendre toute la chaîne de production de valeur, de la poche des plus faibles au loisir des parlementaires.

    «Le bleu que j’étais…»

    Les représentants du peuple sont aussi invités régulièrement à des soirées au Montreux Jazz. Un peu naïf, le bleu que j’étais a accepté l’invitation lors de ma première année de parlementaire. Une soirée très agréable. On insistait sur les bienfaits de la redistribution par la magie du loto. On s’assurait une bienveillance à l’égard de l’industrie des casinos et du jeu. Le tout financé par ceux qui se ruinent. Là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.

    On change aujourd’hui de dimension. Pour la loi sur les jeux d’argent, on sort l’artillerie lourde. Il n’est plus question d’acheter les voix, pardon, de convaincre 246 parlementaires, mais le peuple dans son ensemble. Et puisqu’il est très difficile de mettre des millions de personnes dans un hélicoptère, on invente d’autres formules. On met au concours des places pour le Cirque du Soleil ou un meeting d’athlétisme. Les associations qui ont touché l’argent du jeu reçoivent par la poste des injonctions des conseillers d’Etat à soutenir activement la loi. «Une offre que vous ne pouvez pas refuser», pour paraphraser Marlon Brando. Pour le bien public, la fin justifie les pires moyens.

    Notre pays fait face à une immense addiction au jeu. On estime qu’elle coûte presque autant que ce qu’elle rapporte. Socialement dévastatrice et moralement indéfendable, cette campagne montre que le vice est encore plus profond qu’il n’y paraissait: de tous les accros aux loteries, les plus atteints sont encore ceux qui en perçoivent le fruit.

  • JO : le Valais qui ose, le Valais qui tremble

    JO : le Valais qui ose, le Valais qui tremble

    La campagne sur les Jeux olympiques manque d’enthousiasme. Les sceptiques jugent le projet «trop». Trop coûteux. Trop grand. Trop polluant. L’esprit de la fête sportive viendra peut-être après la votation.

    Avec les Jeux olympiques, le Valais tourne ascète. D’ordinaire prompts à céder à tous les excès de la vie, beaucoup de mes compatriotes doutent. De la fête, du sport, de l’olympisme grandiose et dépensier. Nous voilà devenus chantres de la retenue, tétanisés par les apéros non budgétisés et les cérémonies d’ouverture trop arrosées.

    Que nous est-il arrivé? Je me souviens de ce samedi de juin 1999, quand tout le canton partageait une grande gueule de bois sur la place de la Planta. A pleurer le grand raout sportif que nous avaient volé les Italiens. On n’avait aucune idée du prix de la bagatelle. On était prêts à construire des patinoires grandioses dans un village sur deux. On allait gaiement à la ruine financière, avec un certain panache. Et l’on promettait de revenir.

    Ce n’est pas tellement qu’on est devenus économes. Les milliards sont toujours dépensés, mais pour consolider le Rhône et offrir des soins palliatifs aux caisses de pension. Le goût du risque, on préfère le laisser aux autres. Deux semaines de fête, trente ans de dette. C’est avec ce slogan que les sceptiques abordent le sujet. On se dit incapables d’organiser correctement les Jeux, de tenir un budget et de ne pas sombrer dans le gigantisme.

    D’ailleurs, des Jeux eux-mêmes, on ne parle pas tant. «Chez ces gens-là, on n’cause pas, on compte», chantait Brel. C’est vrai. On compte. Tout. Les litres d’essence, les casquettes, les milliards, les policiers en uniforme, les «tours de cou», les kilomètres de bouchons et les pages du livre de Constantin. La flamme a fait place à la calculette.

    Il y a une certaine folie, une certaine irrationalité à chercher à organiser des Jeux olympiques à Sion, dans la foulée de Sotchi ou de Pékin. Faut-il laisser le milliard fédéral pour un autre projet, probablement alémanique? Se plaindre du réchauffement climatique et espérer que les touristes reviendront, par magie et sans la fête?

    Tentons le coup. Risquer de gagner ou d’échouer. De s’endetter comme une caisse de pension publique ou une compagnie aérienne. Ou de faire quelque chose de bien. Comme on sait le faire en Suisse. Comme on a réussi Expo.02, l’Euro 2008 et les festivités du bicentenaire. Se redécouvrir un peu épicuriens, excessifs, festifs et sympathiques. Décrocher nos Jeux olympiques et les réussir. Et au diable l’avarice.

  • La loi sur les jeux d’argent et l’éthique du bandit manchot

    La loi sur les jeux d’argent et l’éthique du bandit manchot

    Le 10 juin, les Suisses voteront sur une nouvelle loi sur les jeux d’argent qui prévoit, première nationale, le blocage des sites web étrangers concurrents des prestataires nationaux. Le débat s’annonce pimenté par les prétextes éthiques de chacun. Pour «protéger la nature suisse», vous êtes prié d’accepter la loi sur les jeux d’argent. Sans rire, c’est avec ce slogan benêt et cette photo kitsch d’un lac de montagne que les casinos espèrent convaincre le 10 juin.

    Gratter, jouer, perdre…

    Pour l’écologie, on peut aussi militer pour le WWF, participer à des collectes de déchets ou renoncer aux vols low cost. C’est contraignant. Le plus facile reste d’accepter cette loi. Magnanime et omnipotente, elle soutient aussi le sport, l’AVS, la culture. On apprendra peut-être encore qu’elle garantit le retour de l’être aimé, transforme le plomb en or et élimine efficacement les taches de rouille. Gratter, jouer, perdre. C’est la solution à tous les maux. Voilà le leitmotiv d’une campagne qui ne dit pas son nom: la défense de la corporation des casinos et des loteries.

    Ne le nions pas. Chaque franc bêtement perdu au Tribolo ou dans un des 21 casinos de Suisse remplit un peu les caisses publiques et fait le beurre de milliers d’associations. Tout comme l’argent des cigarettes, cela dit. Est-ce suffisant?

    Un précédent? On s’en fiche!

    Derrière cette déferlante de gentils prétextes, un objectif: casser la concurrence. La loi introduit le blocage des sites internet étrangers, déclarés «illégaux». Que beaucoup de ces sites – comme la célèbre Française des jeux – soient parfaitement licites n’y change rien. On le dit, ça impressionne. Que ces mesures de censure constituent un précédent aussi regrettable qu’inefficace, on s’en fiche. On n’est pas à une approximation près.

    Pas de mesure contre l’addiction

    C’est pourtant le joueur qui devrait être protégé. Or, pas une seule nouvelle mesure contre l’addiction n’est prévue. Difficile de se draper de vertu quand on se finance avec l’argent de pauvres diables qui claquent leurs économies en sifflant des bières sur le comptoir des Tactilo. Avec ça, les leçons de morale passent mal, forcément.

    Tous les gagnants ont tenté leur chance, disent-ils. Mais aussi et surtout les perdants, ceux qui se sont ruinés, victimes d’un vice socialement dévastateur. «Qui joue, perd» devrait être écrit en majuscules sur les billets de loterie. Au jeu du blocage d’internet, pas sûr que les casinos gagnent. J’en prends volontiers le pari.

  • Avant la Constituante, la politique sans les partis en Valais

    Avant la Constituante, la politique sans les partis en Valais

    L’Appel citoyen veut proposer des listes sans étiquette, mais aussi sans programme commun, snobant les autres partis, qui pourtant garantissent le débat démocratique. Pas étonnant d’ailleurs qu’ils comptent en général parmi les premières victimes des totalitarismes.

    Avec le retard convenu d’un canton à majorité conservatrice, nous, les Valaisans, allons réviser aussi notre Constitution. Comme avant-dernier canton, nous nous inspirerons du travail des autres. C’est une Assemblée constituante qui rédigera le nouveau texte. Elue à la fin de l’année.

    Un mouvement autoproclamé «citoyen» prétend dépasser les clivages partisans en proposant des listes communes. Sur ces listes figureront des personnalités que rien ne rassemble. En tout cas pas un projet politique. Faire de la politique sans parti est une mode qui rejaillit de temps à autre. Le débat politique est stérile, pense-t-on. Alors on l’anesthésie. On affirme une fois pour toutes que tout le monde est en réalité du même avis. Que ce sont les étiquettes qui créent la confrontation, pas les opinions.

    Même Poutine n’a pas osé

    Un temps, les partisans de la «société civile» ont même soutenu l’idée de ne présenter qu’une liste réunissant tous les partis. Sans ces ennuyeux combats politiques. Un petit groupe décide seul de ceux qui méritent de représenter le peuple. Et finalement, une élection tacite, c’est plus économique. Même Poutine n’a pas osé. On tend à prendre l’affirmation de valeurs pour une forme de sectarisme. C’est pourtant méconnaître le fonctionnement de la démocratie.

    Toutes les idées ne se valent pas. J’espère toujours une défaite cuisante de mes adversaires politiques. Non qu’ils me soient antipathiques. Mais je ne crois pas à leur projet de société, à défaut de quoi j’y adhérerais. Cela est encore plus flagrant pour la rédaction d’une Constitution. Droit de vote des étrangers, frein aux dépenses, rôle de l’Etat: on n’appuie pas sur le même bouton que l’on soit libéral, socialiste ou conservateur.

    Comme aimer le foot sans équipes

    Pourtant, la pluralité partisane a mauvaise presse. Et pas seulement dans les grandes démocraties russe ou vénézuélienne. Chez nous aussi, on tend à prendre l’affirmation de valeurs pour une forme de sectarisme. C’est pourtant méconnaître le fonctionnement de la démocratie. Elle impose le pluralisme et la confrontation des idées. Avec, à la fin, un gagnant et un perdant. Vouloir faire de la politique sans partis, c’est comme aimer le football sans équipes. Des joueurs qui courent dans tous les sens, sans direction et sans but. Un spectacle qui perd tant de sa substance que de son intérêt.

  • La Poste, cette grande incomprise de la Suisse du XXIe siècle

    La Poste, cette grande incomprise de la Suisse du XXIe siècle

    Ses stratégies sont critiquées de toutes parts. On aimerait qu’elle maintienne un office dans chaque hameau, alors que le service a été profondément bouleversé par Internet. Elle ne fait que répondre aux défis de 2018 plutôt qu’à ceux de 1980.

    Lorsque j’étais député, le Grand Conseil valaisan s’excitait pendant des heures à médire du loup. A Berne, c’est presque la même chose, mais c’est La Poste qui remplace le canidé. Elle est la grande mal-aimée. Elle ferme des offices. Elle vend du chocolat et des bouquins. Elle tient des horaires impossibles. Elle est l’image d’une société qui va à vau-l’eau et l’affaire CarPostal a encore donné du grain à moudre aux nostalgiques des PTT.

    Moi, je l’admire, La Poste. Sans ironie. En l’espace de deux décennies, son activité a été laminée par Internet. Rien qu’en 2017, le nombre de lettres a reculé de plus de 4%. Les journaux papier suivent la même tendance. Et malgré cela, elle a réussi un tour de force que peu d’ex-régies fédérales seraient capables d’affronter: développer ses affaires, continuer à desservir tout le pays jusque dans les fonds des vallées et accroître son bénéfice. Tout cela sans augmenter le prix des timbres. Chapeau, l’artiste.

    Des agences ferment et d’autres se développent. Le géant jaune se met à l’ère de la société d’e-banking, du courriel, de Zalando et du Shop. La Poste n’a pas lancé le mouvement, elle s’adapte à ses clients, nous. Comme les guichets des gares disparaissent pour le ticket électronique et les cabines téléphoniques sont recyclées en œuvres d’art. Comme le pompiste a disparu des stations-services.

    A nos regrets…

    La Poste endosse malgré elle le rôle d’exutoire de nos regrets d’une époque fantasmée. On aimerait qu’elle maintienne de petites agences bucoliques et un facteur qui s’arrête pour prendre le thé. Mais les offices ne sont pas des bistrots ni les facteurs des assistants sociaux. Dans mon village, l’agence a été remplacée par le comptoir d’un petit magasin accessible sept jours sur sept. Paradoxalement, ma poste n’a jamais été aussi ouverte que depuis qu’on l’a fermée. Il n’y a pas de démantèlement du service. Seulement son adaptation au public.

    L’ex-régie fédérale, bon an, mal an, assure le job dans le contexte difficile imposé par les habitants de notre pays, personne d’autre. Et même s’il est populaire de lui tirer dessus, rappelons-nous que ce n’est pas La Poste qui change. C’est nous.

  • Qui veut payer des millions en impôts ?

    Qui veut payer des millions en impôts ?

    Les discussions sur la moralité fiscale des élus laissent apparaître une nouvelle échelle de valeurs. Le contribuable ne doit plus seulement payer ses impôts. Il doit les aimer, les chérir et s’en réjouir. Au risque d’être perçu comme un fraudeur en puissance.

    Cette chronique sera l’occasion d’une confession. Je déteste payer des impôts. Ils ne me rendent pas heureux. Ne me donnent pas l’impression d’être un bon type. Si je m’acquitte de mon devoir de contribuable toujours à temps et jusqu’au dernier centime, c’est la mort dans l’âme, dans le plus strict respect de la loi. Jamais de gaîté de cœur.

    J’aurai peut-être aussi droit à une enquête fouillée du Tagi,preux chevaliers de l’impôt maximum. Une nouvelle morale est née. Ces dernières semaines, on a reproché à une collègue de ne pas avoir payé des impôts qui ne lui avaient pas été réclamés. Rien d’illégal. Il n’est écrit nulle part que les citoyens doivent courir après le fisc pour être taxés au plus vite, au plus fort, au plus cher.

    Des dons en faveur du fisc?

    Il est devenu honteux de s’en tenir aux lois de la Confédération sans y mettre un peu de zèle, sans chercher à suppléer le fonctionnaire un peu trop lent. Le percepteur frappe toujours, fort, parfois en retard. Personne n’y échappe. Désormais, l’élu modèle, citoyen responsable, anticipera lui-même sa décision d’impôts. Il renoncera volontairement à la déduction de son 3e pilier. Il oubliera des frais professionnels. Et pourquoi ne pas s’acquitter carrément de dons en faveur du fisc? Au paroxysme de cette éthique de premier de classe, toute déduction fiscale deviendra suspecte.

    La froideur des administrations

    Ce masochisme fiscal me laisse pantois. Quand je paie des acomptes, c’est pour échapper à l’intérêt moratoire confiscatoire, pas pour remplir les comptes publics, bien assez riches de toute manière. On m’accusera de vouloir affamer les collectivités, de n’être qu’un égoïste sans cœur. Rien ne m’inspire moins de solidarité que la froideur des administrations publiques. Mon empathie va seulement pour les citoyens, petits ou grands, pris dans l’engrenage administratif et fiscal.

    Contrairement aux slogans des manifs de la gauche radicale, il n’y a pas d’austérité. Jamais l’Etat n’a dépensé autant d’argent. Jamais les caisses publiques n’ont été aussi garnies. Cinq milliards de bénéfices en 2017. Et pourtant, ce ne sera jamais assez.

    Benjamin Franklin avait dit qu’«en ce monde rien n’est certain, à part la mort et les impôts». Soyez certain que j’aborde l’une et les autres avec le même empressement.

  • Le médecin, son salaire, sa bataille

    Le médecin, son salaire, sa bataille

    La polémique sur le salaire des médecins met en lumière la déconnexion complète des praticiens de la population qu’ils soignent. Le problème concerne cependant moins les chiffres eux-mêmes que la double nature de la profession médicale, libérale mais financée par une assurance sociale obligatoire.

    Les médecins font de mauvais avocats. Au moins quand il s’agit de défendre leur propre cause. Une petite pique du ministre de la Santé et toute la profession est en émoi. La panoplie complète du personnel des salles d’opération s’est succédé à la télévision. Et plus ils se défendent de gagner des sommes folles, plus ils sont suspects.

    La déconnexion est complète entre le Suisse médian qui paie ses primes, et l’homme au stéthoscope qui ne voit pas le début du problème.

    Brandissant maladroitement l’argument des charges d’exploitation, certains mélangent allègrement revenu brut et imposable. Les impôts feraient partie des frais généraux. Comme le SUV et le chalet à Verbier peut-on ajouter avec sarcasme.

    Il y a aussi ce chirurgien genevois qui joue la transparence dans Le Temps. Il perçoit un revenu «compris entre 250 000 et 750 000 francs par année». Dans la même veine, je pèse entre 30 et 100 kilos. Avec un tel degré de précision, l’homme vous greffe un rein à la place du cœur. Pas sûr que ce genre de mise à nu approximative paie.

    D’autres relativisent. 600 000 francs par an, c’est un revenu optimal pour un médecin-chef. Optimal, comprenez, raisonnable. On verserait presque une larme. Docteur, vous vous trompez. 600 000 francs pour un salarié du secteur public ou des assurances sociales, ce n’est pas normal. C’est énorme. Même en Suisse. C’est le salaire d’un conseiller fédéral et demi. C’est huit fois le salaire médian, deux à trois fois celui des cadres des banques ou des assurances.

    La polémique est cruelle. Elle ne concerne qu’une partie seulement des médecins et ne rend pas justice à tous ceux, nombreux, qui travaillent sans compter leurs heures pour un revenu convenable, décent. Elle mélange un peu tout.

    Les spécialistes gagnent bien leur vie? Tant mieux. C’est tout le mal qu’on leur souhaite. D’autres jouent au tennis, dirigent des multinationales ou font le commerce des matières premières. Ils gagnent bien plus sans sauver de vies.

    Docteurs, gagnez le maximum. Je vous en prie. Mais dans un marché libre. Avec une vraie concurrence. Sans obligation de contracter. Sans ce tarif aussi incompréhensible que hors de prix. Parce que le problème, ce n’est pas tant votre salaire que la poche dans laquelle il est prélevé: celle des assurés contraints et solidaires.