Shift Project, l’écologie de la culpabilité

Le Shift Project a estimé les coûts en carbone de la consommation de vidéo sur Internet. Avec des chiffres astronomiques et inquiétants. Ils sont toutefois tout théorique et ne servent qu’à alimenter une idéologie décroissante.

Regarder un film sur Netflix, c’est comme rouler 400 mètres en voiture. Le slogan claque. Depuis que notre hebdomadaire dominical a repris cette formule, on entend dans la campagne sur la loi CO2 des avis horrifiés de citoyens écrasés sous le poids d’une écologie culpabilisante. On savait que les voitures détruisaient notre climat. Comme les sacs plastiques. Les chaudières à mazout. Le béton. La viande. Les voyages en avion. Et les voyages tout court finalement. Et maintenant, si vous restez chez vous, penard devant la télé, sauf à lire de vieux romans de deuxième main à la lumière d’une bougie, le chauffage coupé, vous êtes aussi un assassin de la planète.

A ce stade, le suicide collectif devient forcément la seule option raisonnable pour répondre aux injonctions de XR et autres prophètes des lendemains qui s’effondrent. Au risque de me faire encore plus détester des manifestants du vendredi, j’aimerais relativiser les prétendues études relayées dans la presse dominicale.

Escroquerie intellectuelle

Nos téléphones, ordinateurs et télévisions ne carburent pas au charbon. Ni les bornes 4G des opérateurs ou les data centers des Gafam. Mieux, Netflix a installé chez les fournisseurs internet, en Suisse, des serveurs miroirs. Ainsi, lorsqu’on «stream» une série américaine, elle ne vient pas de plus loin que Zurich. Et une société comme Google, par exemple, garantit l’utilisation de courant 100% renouvelable.

Mais pourquoi alors cette infernale équation planèticide? Selon le «Shift Project» à l’origine du calcul, on a tenu compte du mix électrique mondial pour compter vos émissions de CO2. Ainsi, lorsque vous allumez votre télévision, les culpabilisateurs calculent vos émissions de gaz à effet de serre comme si vous utilisiez le courant électrique de Shanghai, pas des plus propres. On est à la limite de l’escroquerie intellectuelle.

Le vrai problème est celui de la production d’électricité. Dans une société où l’on veut remplacer les voitures thermiques par des électriques, installer de la géothermie partout, il faudra des électrons. Et pas qu’un peu. Or, pour que cette transition soit positive pour le climat, encore faudra-t-il que le mix électrique soit propre. Jusqu’ici, la Suisse est un modèle en la matière. Hydroélectricité et nucléaire sont quasiment neutres d’un point de vue climatique. Et c’est là le vrai débat que les écologistes esquivent sciemment: comment garder cet acquis en renonçant à l’atome ?

 

Une taxe pour le climat plutôt que pour la conscience

D’après un sondage, la majorité veut une taxe sur les billets d’avion. C’est la solution réclamée par des dizaines de milliers de collégiens. Mais alors assurons-nous qu’elle serve vraiment son but plutôt qu’aux caisses publiques.

«Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le.» Elle est de Ronald Reaganet elle n’a pas perdu de son actualité.

La solution du monde, c’est la taxe. A chaque problème, on en invente une. Sur le tabac, les smartphones, le sucre. Tout est prétexte à taxer. De retour des vacances de Noël, passées à constater les désastres du réchauffement climatique sur les coraux du Pacifique, on se dit qu’il faudrait vraiment faire quelque chose. Une taxe. Vingt ans après avoir arrosé de milliards notre compagnie aérienne, il faut qu’elle repasse par le «start». L’heure est à la taxe sur les billets d’avion.

En Allemagne, on le fait depuis 2011. Soucieux de la juste répartition des vacances, nos voisins craignaient que les moins fortunés ne puissent plus prendre l’avion. Ils sont rassurés. Depuis l’introduction de la taxe, le nombre des passagers allemands n’a cessé d’augmenter. Et même plus rapidement qu’en Suisse, sans taxe. Les gens paient. Et les gens s’envolent.

Tout a été fait pour, il faut le dire. On s’est bien gardé de matraquer le court-courrier. Celui qu’un TGV peut facilement remplacer. Plus le trajet est long, plus l’impôt est cher. C’est connu: moins on est disposé à renoncer au voyage, plus on l’est à payer son obole.

«Il faut agir, concrètement»

A défaut du climat, l’Allemagne aura au moins amélioré ses finances publiques. Pour le CO2, la taxe sur les billets d’avion, c’est un peu comme la grève pendant les heures de classe: ça ne coûte pas grand-chose et ça apaise la conscience.

Ne croyez pas que je refuse toute critique. Le rejet de la loi sur le CO2 est regrettable, insuffisant. Il faut agir, concrètement. Trouver le bon compromis pour avancer. Et si chacun doit mettre de l’eau dans son vin, je veux bien être le premier. D’accord pour la taxe sur les billets d’avion. A une condition.

Une taxe de plus, une taxe de moins. On veut encourager les citoyens à préférer les destinations plus locales? A voyager en train, à vélo, à cheval, plutôt qu’en avion? Alors pour chaque franc prélevé sur les billets d’avion, on réduit d’autant la TVA sur l’hôtellerie et la restauration, en Suisse. Histoire que l’effort, plutôt que de calmer les consciences et combler les caisses publiques, encourage à préférer les Alpes aux Caraïbes.

 

A Berne, le grand cirque climatique

Une curieuse entente entre l’UDC et la gauche a fait capoter la révision de la loi sur le CO2. Sans être jusqu’au-boutiste, les compromis trouvés permettaient des progrès significatifs pour que la Suisse continue à respecter ses engagements. Pas assez pour la majorité, qui a préféré tout jeter à la poubelle.

Des centaines de courriels, de SMS, de coups de fil. Des lettres de lecteurs, des manifestations, des injures. Ils ont mis le paquet pour nous faire prendre conscience de l’urgence climatique. Pour respecter l’Accord de Paris. Taxer tout ce qui bouge. Et ce qui bouge encore après ça, on peut toujours l’interdire.

Pour nous convaincre, des militants sont allés frapper à la porte de mes collègues. Les citadins cela va de soi. Ils ne sont pas venus à Morgins, chez moi. Avec les transports publics, du siège du WWF, à Gland (VD), à ma porte, c’est deux heures et demie bien tapées. Pas terrible pour montrer comment se passer de moteur.

La Suisse à petits pas

Conscient de sa responsabilité envers la Création, comme le dit la Constitution, le parlement a fait ce qu’il sait faire de mieux. Légiférer. Un travail de compromis constructif. Une hausse du prix de l’essence et du CO2, la prolongation du programme d’isolation des bâtiments et une augmentation massive des compensations à la charge des importateurs de carburant. Des objectifs climatiques réalistes. C’est ainsi que va la Suisse, depuis des siècles. Par petits pas. Et ça fonctionne. En 2016, la Suisse faisait deux fois mieux que la moyenne de l’OCDE en termes d’émissions et dépassait les Objectifs de Kyoto, en réduisant déjà de 5% son niveau de production de CO2 de 1990.

Il faut que ça saigne

C’est vrai, le parlement ne s’est pas plié à toutes les exigences des écologistes. On a refusé la taxe sur les billets d’avion, ce gadget unilatéral dont l’inutilité est vécue ailleurs. On n’a pas non plus interdit de prendre des mesures à l’étranger: cela n’avait aucun sens pour le climat. Mais le réchauffement, ça ne suffit pas de le subir. Il faut aussi souffrir de ses remèdes. Il faut que ça saigne. Sinon, l’exercice de rédemption est inachevé.

Ainsi, quand il a fallu voter sur l’ensemble, les enragés de l’écologie ont pratiqué la politique de la terre brûlée. Du pire. Un «rien» vaut mieux qu’un «tiens». Ils ont rejeté le texte, purement et simplement. Alliés du coup avec l’UDC qui, elle, ne voulait rien et avait au moins le mérite de l’assumer. Le cirque climatique peut continuer. Et ceux qui engrangent des voix sur son dos s’assurent ainsi de pérenniser la recette.