Taxer le kérozène pour créer un réseau ferroviaire européen à grande vitesse

Publié dans « Le Temps » du 7 septembre 2007, p. 29
Pour le Groupe de Riencourt (www.groupe-riencourt.ch)

À l’heure où le réchauffement climatique occupe bon nombre d’esprits, il est important de remettre sur la table la question du trafic aérien. Le développement impressionnant des compagnies low-cost a provoqué une augmentation fascinante des vols continentaux, aux dépens de l’environnement naturel mais aussi culturel. Le Temps revenait au mois d’août sur la question de hordes d’anglais dévastant les cités de l’Est et du Sud, profitant de voyages à prix dérisoires.

Depuis longtemps déjà, l’Etat prélève un nombre considérable de taxes sur les carburants. Cet argent finance les dépenses routières, mais aussi ferroviaires. Le mazout, lui aussi, est ponctionné. Le but de ces divers impôts est aujourd’hui évident : diminuer notre consommation d’énergies fossiles à l’heure où les réserves de pétrole sont de plus en plus remises en question pour les années à venir. Toutes les énergies fossiles ? Non. Seul le trafic aérien échappe encore au principe du « pollueur payeur ». En effet, si la benzine est taxée, ce n’est pas le cas du kérosène qui abreuve nos avions. Cette situation s’explique par le caractère en général international des vols et d’une vieille volonté protectionniste de soutenir des compagnies nationales aujourd’hui soumises à la loi du marché. S’il paraissait normal pour les Etats de protéger leurs compagnies nationales, ce principe est aujourd’hui désuet : Genève vit grâce à Easyjet, Swiss est devenue allemande, les grands acteurs fusionnent et se privatisent.

Cette situation est assez paradoxale. Pourquoi offrir un rabais fiscal au transport le plus polluant ? Il est temps que l’Union européenne et ses partenaires (parmi lesquels la Suisse) prennent la décision de soumettre les vols continentaux à une taxe européenne. Un vol de Genève à Paris coûte aujourd’hui moins cher que le même trajet en train. Cette situation serait sans doute quelque peu modifiée si les voyageurs aériens contribuaient de manière égale aux conducteurs à la protection de l’environnement. Loin de moi l’envie de condamner le trafic aérien. Seulement de le payer à son vrai prix. Est-il normal que l’on trouve des vols aller-retour pour New-York pour moins de 600 francs ? Par la route, avec une petite voiture neuve, selon les tarifs du Touring Club Suisse , le même trajet ne coûterait pas moins de 3’000 francs aller simple ! Et pourtant, la voiture pollue bien moins au kilomètre. Je ne parle même pas du train.

Et dans le fonds, à quoi servira cette nouvelle taxe, hormis la diminution du trafic aérien ? Le XIXe siècle fut le siècle des chemins de fer. Les grandes lignes qui traversent l’Europe sont le fruit du courage de nos aïeux qui avaient compris que ces investissements faramineux serviraient longtemps. Nous devons la ligne Genève – Zurich à des visionnaires, pas à de simples comptables. L’Union européenne a aujourd’hui l’occasion de mettre à jour ce grand projet. L’argent issu de la taxation du kérosène doit servir à la réalisation d’un véritable réseau continental à grande vitesse. Si l’avion devient plus cher, une alternative doit être proposée. Certains pays ont déjà construit leur propre réseau, la France et l’Allemagne par exemple. L’Espagne s’y est mise récemment. Il est grand temps de passer à la vitesse supérieure et de développer les grands axes internationaux. Une liaison vraiment rapide doit être développée entre la France et l’Espagne et, prioritairement, en direction des pays de l’Est. Zürich – Vienne, c’est aujourd’hui environ 9 heures de train pour un peu plus de 700 Km. Soit une moyenne d’environ 80 Km/h. Si aujourd’hui relier à haute vitesse Paris et Budapest en passant par Zurich, Munich et Vienne semble accessoire, je suis persuadé que ce genre de liaison prendra toute son importance dans 10 ou 20 ans. De même, une LGV (Ligne à grande vitesse) entre Madrid et Paris, une autre entre Paris et Tallin via Berlin et Varsovie sont autant de projets qui réduiront un tant soit peu les grandes distances qui séparent les capitales européennes. Il est intéressant à constater que le remplacement de trois lignes « Paris – Toulouse » par trois ligne TGV permet d’économiser annuellement environ 8 millions de litres de pétrole. Ce chiffre me donne le tournis et je crois dur comme fer que la lutte contre le réchauffement climatique passera nécessairement par une diminution des vols continentaux.

La Suisse a un rôle important à jouer dans ce domaine. Au centre de l’Europe, nous pouvons tirer notre épingle du jeu en travaillant à ce que notre pays soit un centre névralgique du trafic ferroviaire européen. L’absence de vision des dirigeants du secteur est aujourd’hui affligeante. S’il est tout à fait acceptable de voyager de Genève à Zurich en 2 heures et demie, il est dommageable qu’à distance égale, aller de Zurich à Paris prenne trois fois plus de temps sur le sol Suisse que sur le sol Français. Certes, ces investissements représenteront un coût considérable, tout comme les Chemins de fer fédéraux ont nécessité de grandes dépenses. Ce sont pourtant des investissements qui serviront dans les décennies à venir, d’autant plus si le coût du pétrole continue son envolée. Nous devons développer un réseau à grande vitesse en Suisse orienté vers l’international en collaboration avec nos voisins allemands, français, autrichiens et italiens. Notre réseau CFF très dense ne justifie plus l’absence de LGV en Suisse. Non pas pour relier les Suisses entre eux, mais pour relier les Suisse à l’Europe.

Mon idée est simple. Taxer enfin le trafic aérien d’une manière équitable pour mieux développer le réseau ferroviaire. Ces dépenses seront de vrais investissements qui serviront à plusieurs générations et offriront une alternative crédible à l’avion. Quand on sait que les 17 principales destinations desservies par l’aéroport de Roissy et Orly sont 12 villes d’Etats frontaliers à la France et 5 villes françaises, on peut se demander s’il n’y a pas là un vrai travail pour l’environnement à mener…