Le FN ne voudrait certainement pas du modèle suisse…

A nos amis Français,
Vous l’ignorez peut-être mais vos débats politiques ont presque autant d’échos auprès de vos cousins helvètes que chez vous. Chaque bévue de votre président ou petite pique de votre opposition provoque des discussions passionnées dans nos bistrots. Les Suisses connaissent vos ministres, votre mariage pour tous et votre redressement productif.
Ces derniers mois, nous sommes nombreux à avoir été agréablement surpris de voir que notre pays suscitait l’intérêt d’une partie de votre classe politique, et pas seulement pour imiter un accent inventé par Coluche ou pour pointer du doigt le secret bancaire.
Non, depuis quelques mois, le Front national se gargarise du “modèle suisse”. Nous serions un exemple pour Mme le Pen et ses amis. Or, ces gens n’ont malheureusement rien compris à ce qu’était la Suisse, à ce qui faisait notre modèle que nous ne cherchons à imposer à personne.
Il semble que les dirigeants français ont une fâcheuse tendance à caricaturer tout ce qui leur passe dans les mains. Ainsi, la Suisse serait un petit pays isolationniste, anti-minarets et anti-immigration. Quelle veine pour le Front national, évidemment. Je dois malheureusement les décevoir un peu: la Suisse est en réalité tout ce que le FN abhorre.
Notre démocratie, ce n’est pas une suite de “référendums d’initiative populaire” pour destituer un gouvernement qui aurait l’audace de “vendre l’industrie nationale” à des pays étrangers. Le franc suisse, ce n’est pas une monnaie destinée à être manipulée au gré des besoins d’une partie de l’économie. L’Etat fédéral, ce n’est pas l’égalitarisme à outrance, imposé contre le grand capital mondialiste. La Confédération, ce n’est pas une machine pour protéger les Suisses contre la concurrence étrangère. En Suisse, on ne pense pas que le taux de chômage est défini par le ministre de l’économie. On ne pense même pas que le taux de chômage est le problème de la politique, mais celui de l’économie.
La Suisse, c’est un pays qui signe des accords de libre-échange avec la Chine, les USA ou l’Europe, qui n’impose pas de salaire minimum, qui demande aux citoyens d’être responsables de leur avenir, qui ne cherche pas à protéger les entreprises contre leurs clients. La Suisse, c’est un pays qui encourage la concurrence, qui permet aux entreprises qui le souhaitent de délocaliser, qui ne parle pas stupidement de “patriotisme économique” ou de “préférence nationale”. C’est un pays qui ne voit pas l’Europe de l’Est comme un compétiteur malfaisant, mais comme un client potentiel.
La Suisse n’est pas européenne car son économie est libérale, car sa population est ouverte à la concurrence internationale et parce que les citoyens suisses ne voient pas l’Etat comme la solution à leurs problèmes individuels.
Pour une initiative sur les minarets acceptée, il y a eu des chariots de projets anti-immigration massivement rejetés. C’est le peuple qui a choisi de signer les accords bilatéraux avec l’UE, d’adhérer à l’ONU et même de verser un milliard de francs d’aide à l’Europe de l’Est. Une votation ne fait pas les autres. En Suisse, on respecte son adversaire et on reconnait sa défaite lorsqu’elle arrive, sans en faire la fin du cycle politique.
En bref, la Suisse, c’est tout l’inverse de ce que prône le Front national et son étatisme à outrance, son Etat paternaliste et protectionniste. Ce parti devrait se renseigner un peu plutôt que saliver bêtement à la seule évocation du drapeau de mon pays.
Chers amis français, j’aime que vous vous intéressiez à mon pays. Ne vous arrêtez simplement pas aux manchettes des magazines, mais penchez-vous davantage sur la richesse de ce petit pays de huit millions d’habitants, aux quatre langues et aux vingt-six cantons, qui pourra vous apporter en réflexion presque autant que vous nous en apportez au quotidien.
Bien à vous.
Philippe Nantermod, député.