Auteur/autrice : Philippe Nantermod

  • Non à l'initiative sur les juges étrangers

    Non à l'initiative sur les juges étrangers

    Prise de parole au Conseil national du 11 juin 2016 à propos de l’initiative sur les juges étrangers. (Vidéo de l’intervention)

    D’abord, il y a le titre. « le droit suisse au lieu des juges étrangers ». Il est incompréhensible.
    Dans cette initiative, il n’est question ni de juge. Ni d’étranger.
    Les juges, lisez le texte. Le mot n’apparaît nulle part. Ce n’est pas tant les juges étrangers qui sont visés, mais le droit.
    Le deuxième mot, « étranger ». Parle-t-on de droit étranger dans cette initiative ? Non. La Suisse signe régulièrement des conventions internationales, adhère à des traités. Ces textes-là, comme la CEDH, les accords bilatéraux ou les accords OMC, ne sont pas du droit étranger. Ces textes sont du droit international, et la nuance est de taille.
    Le droit étranger, c’est le droit français, allemand ou italien. C’est un droit fait par d’autres, pour d’autres. Il ne s’applique par principe pas en Suisse, c’est le fait de la souveraineté des Etats. De la même manière que le droit suisse ne s’applique pas à l’étranger.
    Ce que nous appelons le droit international, n’est rien d’autre que du droit suisse. Il est toujours accepté par les autorités démocratiques, selon le processus démocratique. Et sa différence avec le droit national – ou interne – vient de son caractère négocié, pas de sa légitimité ou de son appartenance à un Etat.
    Et c’est là le grand problème de fond de cette initiative. Et c’est pour cela que cette initiative aurait dû être déclarée simplement non valide au regard de l’art. 139 al. 3 Cst.
    Lorsqu’une initiative ne respecte pas les règles impératives du droit international, celle-ci doit être déclarée invalide. Or, selon le préambule du traité de vienne sur le droit des traités, celui-là même qui a introduit la notion de jus cogens, il est dit que « le principe de bonne foi et la règle pacta sunt servanda sont universellement reconnus », ce qui correspond mot pour mot à la définition des règles impératives du droit international.
    La crédibilité d’un pays tient à sa capacité à tenir ses engagements. Lorsque la Suisse signe et ratifie un traité qu’elle a elle-même négocié, elle s’engage. Elle promet. L’adage « pacta sunt servanda » est clair : les traités doivent être respectés. De la même manière que les contrats doivent être respectés.
    Est-il acceptable qu’un Etat proclame urbi et orbi que sa signature ne l’engage que si cela lui plaît ? Que, sans dénonciation d’un accord, il puisse renoncer à l’appliquer, pour peu qu’il change d’avis ? Accepterions-nous cela de nos partenaires ? Jamais.
    Cette initiative veut faire passer notre pays pour une république bananière. Pour un pays qui signe des traités tout en sachant qu’il ne les tiendra pas. Un pays qui n’a pas de parole.
    Non, la constitution n’est pas « au dessus » du droit international, comme le dit l’initiative. Et elle ne doit pas l’être, par essence, par sa définition. La volonté interne ne peut pas à elle seule contredire nos engagements externes, elle peut les dénoncer tout au plus.
    Le droit n’est pas une armoire Ikea que l’on peut démonter, dont les étages peuvent être intervertis au gré des majorités populaires. Et la Suisse n’est pas un partenaire dont la fiabilité de ses engagements varie au gré des vents, de majorités populaire. La Suisse est un Etat sérieux, qui tient sa parole.
    Nous aurions dû invalider cette initiative, j’en suis convaincu. A défaut, rejetons-là, et assurons-nous que les citoyens en fassent autant.

  • Participation aux coûts. Permettre un compte-épargne santé.

    Participation aux coûts. Permettre un compte-épargne santé.

    Initiative parlementaire déposée le 12 juin 2018 au Conseil national.

    Conformément aux articles 160 alinéa 1 de la Constitution et 107 de la loi sur le Parlement, je dépose l’initiative parlementaire suivante :
    La loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) et les autres bases légales pertinentes sont modifiées afin de permettre aux assurés qui le souhaitent de provisionner sur un compte de cautionnement un montant destiné à financer leur participation aux coûts de santé.
    La commission étudiera aussi l’opportunité de prévoir une exonération fiscale plafonnée du montant épargné.

    Développement

    Le système actuel de santé suisse permet aux assurés de consentir à une participation aux coûts plus élevée que celle de base, afin de bénéficier en contrepartie d’une réduction de prime. Ainsi les assurés ont le choix entre une franchise de base (Fr. 300.-) et des franchises à option (Fr. 500.-, Fr. 1’000.-, Fr. 1’500.-, Fr. 2’000.- et Fr. 2’500.-).
    Un certain nombre d’assurés choisissent ainsi des franchises élevées, mais ne disposent pas forcément du montant nécessaire à payer leur participation en cas d’ennui de santé. Actuellement, il n’existe aucun mécanisme qui encourage les assurés à constituer une réserve dans ce sens, précarisant tant les assurés que les prestataires de soins.
    En introduisant la possibilité de constituer un compte de cautionnement sur le modèle de ce qui existe en matière de garantie de bail à loyer, potentiellement avec une exonération fiscale plafonnée pour les montants épargnés, la législation encouragera les personnes qui choisissent une franchie élevée à épargner le montant de prime économisé pour faire face aux éventuels coups durs.
    Selon l’étude B,S,S. 2017  » Leistungsverzicht und Wechselverhalten der OKP-Versicherten im Zusammenhang mit der Wahlfranchise « , les assurés avec un revenu plus élevé choisissent plus fréquemment les hautes franchises. Cette mesure permettrait justement aux assurés aux revenus modestes de prépayer de manière échelonnée sur une plus longue période leur participation aux coûts afin de pouvoir également bénéficier de franchises élevées et donc de primes plus avantageuses.
    Cette solution ne contredit par ailleurs pas l’interdiction d’assurer la participation aux coûts (art. 62 LAMal), mais permet une vraie prévoyance individuelle pour sa propre santé.
    Enfin, un tel mécanisme pourrait accompagner l’introduction de nouvelles franchises, notamment suite à la motion 16.3111 acceptée par le Conseil national.

  • LAT. Une vraie indemnisation des propriétaires lésés.

    LAT. Une vraie indemnisation des propriétaires lésés.

    Motion déposée le 12 juin 2018 au Conseil national.

    Le Conseil fédéral est prié de modifier l’ordonnance sur l’aménagement du territoire (OAT) pour préciser les conditions et l’étendue de l’indemnisation des propriétaires lésés par des mesures de réduction des zones à bâtir. Cette modification devra prévoir que l’indemnisation est due dès lors que les personnes concernées ont pu estimer de bonne foi que la constructibilité de la zone était acquise.

    Développement

    Suite à l’adoption par le peuple de la modification du 15 juin 2012 de la LAT, les cantons et communes mettent en œuvre l’obligation de réduire la zone à bâtir dite « surdimensionnée ». Aucune égalité de traitement ne peut être atteinte en matière de réduction de la zone à bâtir. C’est de manière arbitraire que certains propriétaires verront leur patrimoine fortement diminué et que d’autres, au contraire, verront leur patrimoine maintenu.
    Les règles en matière d’indemnisation prévues à l’art. 5 LAT manquent de clarté. Il n’est pas exclu que les indemnisations soient parfois exclues pour des motifs juridiques, comme la distinction entre classement et non-classement appliquée à des plans qui ont pourtant joui de la foi publique durant des décennies, en application de la LAT.
    Dès lors que le surdimensionnement des zones est le fait de la collectivité et non des propriétaires concernés, il est requis par la présente motion que le droit fédéral soit précisé. Le principe d’une pleine indemnisation des propriétaires concernés doit être adopté dès lors que ceux-ci comptaient, avant la modification de 2012 et de toute bonne foi, sur le caractère constructible de leurs parcelles.

  • Directives sur la sécurité au travail. Introduire un droit d'opposition.

    Directives sur la sécurité au travail. Introduire un droit d'opposition.

    Motion déposée le 11 juin 2018 au Conseil national.

    Le Conseil fédéral est prié de proposer une modification des dispositions légales pertinentes pour introduire un droit d’opposition en faveur des organisations professionnelles contre les directives de la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST).
    En cas d’opposition, le Conseil fédéral devra confirmer, annuler ou modifier la directive contestée, en opportunité et en légalité, en se fondant sur les arguments développés par toutes les parties.

    Développement

    Régulièrement, la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST) adopte des directives relatives à la sécurité au travail. Ces textes juridiques n’ont théoriquement pas de force obligatoire.
    En pratique, les employeurs sont réputés respecter les directives et peuvent être fortement ennuyés s’ils ne s’y soumettent pas, notamment lorsqu’ils sont assujettis obligatoire à l’assurance-accident de la SUVA.
    Si beaucoup de directives sont justifiées, il existe aussi un certain nombre de textes adoptés qui dénotent une certaine bureaucratie contre laquelle il convient de lutter. On citera à titre d’exemple la récente directive qui interdit aux ouvriers de travailler torse nu sur les chantiers. La sécurité au travail ne doit pas devenir une forme de mise sous tutelle paternaliste des travailleurs.
    Afin de lutter contre l’excès normatif, il est proposé que les associations professionnelles reconnues disposent d’un droit d’opposition contre les directives de la CFST. Les oppositions seront tranchées par le Conseil fédéral qui disposera d’un large pouvoir d’appréciation et jugera tant en légalité qu’en opportunité. Il tiendra aussi compte des solutions développés par les branches économiques et qui réduisent la nécessité d’adopter d’autres règles.

  • L’Amérique innove, la Chine copie, l’Europe réglemente

    L’Amérique innove, la Chine copie, l’Europe réglemente

    Lorsqu’il y a une innovation, les Américains en font un commerce. Les Chinois, une copie. Les Européens, quant à nous (en la matière, je nous mets volontiers dans le même panier), nous en faisons un règlement. Cette boutade vient d’Emma Marcegaglia, ancienne présidente de la Confindustria, le «Medef italien». On peut difficilement lui donner tort.

    Vivez l’expérience de notre virtuosité réglementaire. Tous les matins. Par e-mail. Du Verbier Festival à Viagogo en passant par Spotify, des dizaines de sociétés dont je n’avais jamais entendu parler me font poliment part de leur «politique de protection des données». Ces centaines de courriels non sollicités sont l’œuvre des eurodéputés qui ont pondu une «bruxellerie» dont ils ont le secret: le Règlement général sur la protection des données. RGPD pour les gens pressés.

    Ils n’y sont pas allés de main morte. Le texte s’étire sur plus de 130 pages. Je ne l’ai évidemment pas lu, la vie est trop courte. Mais il paraît que le RGPD introduit une ribambelle de droits pour protéger l’utilisateur contre l’usage abusif de ses données. On est sauvés. De mon côté, j’ai fait comme toujours. J’ai menti. J’ai promis que j’avais lu les conditions d’utilisation. J’ai prétendu avoir compris quelque chose au RGPD. Et je continuerai tout comme avant.

    C’est en pleine connaissance de cause qu’on s’est livrés aux géants de l’ère numérique. On a partagé à qui mieux mieux des photos de sorties entre amis. On a confronté passionnément nos opinions éclairées. Etalé des compétences réelles ou supposées. On a même laissé des montres connectées nous tâter le pouls. Et maintenant, on demande que l’on fasse comme si on ne se connaissait pas. De feindre n’avoir rien vu, rien entendu.

    Du travail pour les avocats

    Les Américains ont inventé les GAFA: Google, Apple, Facebook, Amazon. Nous, le RGPD. Un texte législatif indigeste que tout le monde prétend désormais appliquer. Qui nous compliquera la vie là où la technologie est utile. Et qui n’empêchera certainement pas aux enfants de Cambridge Analytica de vendre au plus offrant les données qu’on lui aura gracieusement offertes.

    Aux Etats-Unis, on crée des postes d’informaticiens. Chez nous, du travail pour les avocats. On fera de grands procès tonitruants contre les start-up à succès que d’autres auront créées. Les Chinois continueront à copier. Et les Européens à réglementer.

  • Grattez ! Gagnez ! Votez !

    Grattez ! Gagnez ! Votez !

    La campagne pour la loi sur les jeux d’argent est l’occasion d’un festival de cadeaux et de distribution d’argent de la part des casinos et de la Loterie Romande. Les invitations, concours et subsides pleuvent pour inciter le peuple à adopter sans sourciller une loi inadaptée et controversée.

    La semaine dernière, on découvrait sur les ondes de RTS La Première que la Loterie Romande, la LoRo pour les intimes, avait convié 12 parlementaires à suivre la Patrouille des glaciers en… hélicoptère. Un petit cadeau bienvenu qui permet de mettre en œuvre le slogan qui proclame que le jeu protège l’environnement.

    Même après avoir reçu des billets à gratter en guise d’argumentaire, les élus héliportés ne voient toujours pas le problème. Selon mon estimé collègue Claude Béglé, interviewé à l’occasion, la promenade lui a permis de mieux comprendre le fantastique travail de la LoRo. Il aurait dû visiter un bistrot équipé de Tactilo pour comprendre toute la chaîne de production de valeur, de la poche des plus faibles au loisir des parlementaires.

    «Le bleu que j’étais…»

    Les représentants du peuple sont aussi invités régulièrement à des soirées au Montreux Jazz. Un peu naïf, le bleu que j’étais a accepté l’invitation lors de ma première année de parlementaire. Une soirée très agréable. On insistait sur les bienfaits de la redistribution par la magie du loto. On s’assurait une bienveillance à l’égard de l’industrie des casinos et du jeu. Le tout financé par ceux qui se ruinent. Là où il y a de la gêne, il n’y a pas de plaisir.

    On change aujourd’hui de dimension. Pour la loi sur les jeux d’argent, on sort l’artillerie lourde. Il n’est plus question d’acheter les voix, pardon, de convaincre 246 parlementaires, mais le peuple dans son ensemble. Et puisqu’il est très difficile de mettre des millions de personnes dans un hélicoptère, on invente d’autres formules. On met au concours des places pour le Cirque du Soleil ou un meeting d’athlétisme. Les associations qui ont touché l’argent du jeu reçoivent par la poste des injonctions des conseillers d’Etat à soutenir activement la loi. «Une offre que vous ne pouvez pas refuser», pour paraphraser Marlon Brando. Pour le bien public, la fin justifie les pires moyens.

    Notre pays fait face à une immense addiction au jeu. On estime qu’elle coûte presque autant que ce qu’elle rapporte. Socialement dévastatrice et moralement indéfendable, cette campagne montre que le vice est encore plus profond qu’il n’y paraissait: de tous les accros aux loteries, les plus atteints sont encore ceux qui en perçoivent le fruit.

  • JO : le Valais qui ose, le Valais qui tremble

    JO : le Valais qui ose, le Valais qui tremble

    La campagne sur les Jeux olympiques manque d’enthousiasme. Les sceptiques jugent le projet «trop». Trop coûteux. Trop grand. Trop polluant. L’esprit de la fête sportive viendra peut-être après la votation.

    Avec les Jeux olympiques, le Valais tourne ascète. D’ordinaire prompts à céder à tous les excès de la vie, beaucoup de mes compatriotes doutent. De la fête, du sport, de l’olympisme grandiose et dépensier. Nous voilà devenus chantres de la retenue, tétanisés par les apéros non budgétisés et les cérémonies d’ouverture trop arrosées.

    Que nous est-il arrivé? Je me souviens de ce samedi de juin 1999, quand tout le canton partageait une grande gueule de bois sur la place de la Planta. A pleurer le grand raout sportif que nous avaient volé les Italiens. On n’avait aucune idée du prix de la bagatelle. On était prêts à construire des patinoires grandioses dans un village sur deux. On allait gaiement à la ruine financière, avec un certain panache. Et l’on promettait de revenir.

    Ce n’est pas tellement qu’on est devenus économes. Les milliards sont toujours dépensés, mais pour consolider le Rhône et offrir des soins palliatifs aux caisses de pension. Le goût du risque, on préfère le laisser aux autres. Deux semaines de fête, trente ans de dette. C’est avec ce slogan que les sceptiques abordent le sujet. On se dit incapables d’organiser correctement les Jeux, de tenir un budget et de ne pas sombrer dans le gigantisme.

    D’ailleurs, des Jeux eux-mêmes, on ne parle pas tant. «Chez ces gens-là, on n’cause pas, on compte», chantait Brel. C’est vrai. On compte. Tout. Les litres d’essence, les casquettes, les milliards, les policiers en uniforme, les «tours de cou», les kilomètres de bouchons et les pages du livre de Constantin. La flamme a fait place à la calculette.

    Il y a une certaine folie, une certaine irrationalité à chercher à organiser des Jeux olympiques à Sion, dans la foulée de Sotchi ou de Pékin. Faut-il laisser le milliard fédéral pour un autre projet, probablement alémanique? Se plaindre du réchauffement climatique et espérer que les touristes reviendront, par magie et sans la fête?

    Tentons le coup. Risquer de gagner ou d’échouer. De s’endetter comme une caisse de pension publique ou une compagnie aérienne. Ou de faire quelque chose de bien. Comme on sait le faire en Suisse. Comme on a réussi Expo.02, l’Euro 2008 et les festivités du bicentenaire. Se redécouvrir un peu épicuriens, excessifs, festifs et sympathiques. Décrocher nos Jeux olympiques et les réussir. Et au diable l’avarice.

  • La loi sur les jeux d’argent et l’éthique du bandit manchot

    La loi sur les jeux d’argent et l’éthique du bandit manchot

    Le 10 juin, les Suisses voteront sur une nouvelle loi sur les jeux d’argent qui prévoit, première nationale, le blocage des sites web étrangers concurrents des prestataires nationaux. Le débat s’annonce pimenté par les prétextes éthiques de chacun. Pour «protéger la nature suisse», vous êtes prié d’accepter la loi sur les jeux d’argent. Sans rire, c’est avec ce slogan benêt et cette photo kitsch d’un lac de montagne que les casinos espèrent convaincre le 10 juin.

    Gratter, jouer, perdre…

    Pour l’écologie, on peut aussi militer pour le WWF, participer à des collectes de déchets ou renoncer aux vols low cost. C’est contraignant. Le plus facile reste d’accepter cette loi. Magnanime et omnipotente, elle soutient aussi le sport, l’AVS, la culture. On apprendra peut-être encore qu’elle garantit le retour de l’être aimé, transforme le plomb en or et élimine efficacement les taches de rouille. Gratter, jouer, perdre. C’est la solution à tous les maux. Voilà le leitmotiv d’une campagne qui ne dit pas son nom: la défense de la corporation des casinos et des loteries.

    Ne le nions pas. Chaque franc bêtement perdu au Tribolo ou dans un des 21 casinos de Suisse remplit un peu les caisses publiques et fait le beurre de milliers d’associations. Tout comme l’argent des cigarettes, cela dit. Est-ce suffisant?

    Un précédent? On s’en fiche!

    Derrière cette déferlante de gentils prétextes, un objectif: casser la concurrence. La loi introduit le blocage des sites internet étrangers, déclarés «illégaux». Que beaucoup de ces sites – comme la célèbre Française des jeux – soient parfaitement licites n’y change rien. On le dit, ça impressionne. Que ces mesures de censure constituent un précédent aussi regrettable qu’inefficace, on s’en fiche. On n’est pas à une approximation près.

    Pas de mesure contre l’addiction

    C’est pourtant le joueur qui devrait être protégé. Or, pas une seule nouvelle mesure contre l’addiction n’est prévue. Difficile de se draper de vertu quand on se finance avec l’argent de pauvres diables qui claquent leurs économies en sifflant des bières sur le comptoir des Tactilo. Avec ça, les leçons de morale passent mal, forcément.

    Tous les gagnants ont tenté leur chance, disent-ils. Mais aussi et surtout les perdants, ceux qui se sont ruinés, victimes d’un vice socialement dévastateur. «Qui joue, perd» devrait être écrit en majuscules sur les billets de loterie. Au jeu du blocage d’internet, pas sûr que les casinos gagnent. J’en prends volontiers le pari.

  • Avant la Constituante, la politique sans les partis en Valais

    Avant la Constituante, la politique sans les partis en Valais

    L’Appel citoyen veut proposer des listes sans étiquette, mais aussi sans programme commun, snobant les autres partis, qui pourtant garantissent le débat démocratique. Pas étonnant d’ailleurs qu’ils comptent en général parmi les premières victimes des totalitarismes.

    Avec le retard convenu d’un canton à majorité conservatrice, nous, les Valaisans, allons réviser aussi notre Constitution. Comme avant-dernier canton, nous nous inspirerons du travail des autres. C’est une Assemblée constituante qui rédigera le nouveau texte. Elue à la fin de l’année.

    Un mouvement autoproclamé «citoyen» prétend dépasser les clivages partisans en proposant des listes communes. Sur ces listes figureront des personnalités que rien ne rassemble. En tout cas pas un projet politique. Faire de la politique sans parti est une mode qui rejaillit de temps à autre. Le débat politique est stérile, pense-t-on. Alors on l’anesthésie. On affirme une fois pour toutes que tout le monde est en réalité du même avis. Que ce sont les étiquettes qui créent la confrontation, pas les opinions.

    Même Poutine n’a pas osé

    Un temps, les partisans de la «société civile» ont même soutenu l’idée de ne présenter qu’une liste réunissant tous les partis. Sans ces ennuyeux combats politiques. Un petit groupe décide seul de ceux qui méritent de représenter le peuple. Et finalement, une élection tacite, c’est plus économique. Même Poutine n’a pas osé. On tend à prendre l’affirmation de valeurs pour une forme de sectarisme. C’est pourtant méconnaître le fonctionnement de la démocratie.

    Toutes les idées ne se valent pas. J’espère toujours une défaite cuisante de mes adversaires politiques. Non qu’ils me soient antipathiques. Mais je ne crois pas à leur projet de société, à défaut de quoi j’y adhérerais. Cela est encore plus flagrant pour la rédaction d’une Constitution. Droit de vote des étrangers, frein aux dépenses, rôle de l’Etat: on n’appuie pas sur le même bouton que l’on soit libéral, socialiste ou conservateur.

    Comme aimer le foot sans équipes

    Pourtant, la pluralité partisane a mauvaise presse. Et pas seulement dans les grandes démocraties russe ou vénézuélienne. Chez nous aussi, on tend à prendre l’affirmation de valeurs pour une forme de sectarisme. C’est pourtant méconnaître le fonctionnement de la démocratie. Elle impose le pluralisme et la confrontation des idées. Avec, à la fin, un gagnant et un perdant. Vouloir faire de la politique sans partis, c’est comme aimer le football sans équipes. Des joueurs qui courent dans tous les sens, sans direction et sans but. Un spectacle qui perd tant de sa substance que de son intérêt.

  • La Poste, cette grande incomprise de la Suisse du XXIe siècle

    La Poste, cette grande incomprise de la Suisse du XXIe siècle

    Ses stratégies sont critiquées de toutes parts. On aimerait qu’elle maintienne un office dans chaque hameau, alors que le service a été profondément bouleversé par Internet. Elle ne fait que répondre aux défis de 2018 plutôt qu’à ceux de 1980.

    Lorsque j’étais député, le Grand Conseil valaisan s’excitait pendant des heures à médire du loup. A Berne, c’est presque la même chose, mais c’est La Poste qui remplace le canidé. Elle est la grande mal-aimée. Elle ferme des offices. Elle vend du chocolat et des bouquins. Elle tient des horaires impossibles. Elle est l’image d’une société qui va à vau-l’eau et l’affaire CarPostal a encore donné du grain à moudre aux nostalgiques des PTT.

    Moi, je l’admire, La Poste. Sans ironie. En l’espace de deux décennies, son activité a été laminée par Internet. Rien qu’en 2017, le nombre de lettres a reculé de plus de 4%. Les journaux papier suivent la même tendance. Et malgré cela, elle a réussi un tour de force que peu d’ex-régies fédérales seraient capables d’affronter: développer ses affaires, continuer à desservir tout le pays jusque dans les fonds des vallées et accroître son bénéfice. Tout cela sans augmenter le prix des timbres. Chapeau, l’artiste.

    Des agences ferment et d’autres se développent. Le géant jaune se met à l’ère de la société d’e-banking, du courriel, de Zalando et du Shop. La Poste n’a pas lancé le mouvement, elle s’adapte à ses clients, nous. Comme les guichets des gares disparaissent pour le ticket électronique et les cabines téléphoniques sont recyclées en œuvres d’art. Comme le pompiste a disparu des stations-services.

    A nos regrets…

    La Poste endosse malgré elle le rôle d’exutoire de nos regrets d’une époque fantasmée. On aimerait qu’elle maintienne de petites agences bucoliques et un facteur qui s’arrête pour prendre le thé. Mais les offices ne sont pas des bistrots ni les facteurs des assistants sociaux. Dans mon village, l’agence a été remplacée par le comptoir d’un petit magasin accessible sept jours sur sept. Paradoxalement, ma poste n’a jamais été aussi ouverte que depuis qu’on l’a fermée. Il n’y a pas de démantèlement du service. Seulement son adaptation au public.

    L’ex-régie fédérale, bon an, mal an, assure le job dans le contexte difficile imposé par les habitants de notre pays, personne d’autre. Et même s’il est populaire de lui tirer dessus, rappelons-nous que ce n’est pas La Poste qui change. C’est nous.