Catégorie : Chroniques

  • La cigale, la fourmi et l’OCDE

    La cigale, la fourmi et l’OCDE

    L’OCDE appuie sans hésiter la demande de Joe Biden pour un impôt minimum contre les entreprises. Comme petite nation, nous devrions nous en offusquer.

    Il n’aura pas fallu trois mois à la nouvelle administration Biden pour reprendre le travail du dernier démocrate et ses rêves de fiscalité mondiale.

    Et il aura suffi d’une petite semaine pour que l’OCDE et son expert-chef en fiscalité, Pascal Saint-Aman, celui-là même que la communauté internationale a exempté du paiement de tout impôt, adopte le discours du super-percepteur américain et prône à son tour la guerre des fiscalités.

    Toutes les raisons sont bonnes pour payer plus. L’Etat a toujours besoin de nouvelles ressources pour réaliser ses infinis projets. Les crises justifient à tour de rôle l’endettement et la fiscalisation. Or, puisque les collectivités ne créent pas de richesses mais les consomment, il faudra toujours trouver une tête de Turc qui passera à la caisse pour les autres.

    En 2011, avec FATCA, les personnes physiques étaient dans le viseur. Ce fut ensuite le tour des héritiers. Aujourd’hui, ce sont les entreprises. Elles suscitent nécessairement la méfiance, ces organisations qui ont réussi à survivre aux confinements et aux interdictions de travailler. Autant les taxer davantage. Un minimum. Le minimum prévu dans le pays de Joe Biden, par un hasard toujours bien fait.

    Ces chantres de « plus d’impôts pour les autres » exposent que les fiscalités moins spoliatrices que les leurs relèvent de la concurrence déloyale. Les pays qui ont décidé de dépenser moins que les Etats-Unis seraient juste des mauvais coucheurs. Ils ne joueraient pas le jeu en n’appliquant pas le programme mondialement reconnu et apprécié du nouveau démocrate de la Maison Blanche. Il faudra bien les punir, ces spéculateurs.

    L’impôt finance l’Etat. Et si l’on décide demain d’uniformiser toutes les recettes publiques, il faudra logiquement en faire autant des dépenses. Abandonner l’idée pourtant séduisante que chaque nation, chaque communauté de destin puisse décider souverainement des buts collectifs qu’elle se fixe et des moyens qu’elle se donne pour y parvenir. Non, demain, chacun devra prélever la même chose, et donc dépenser autant.

    Ces fantasmes d’uniformisation ne sont rien de plus que la négation du droit des nations de s’organiser librement. Ils sont l’expression du mépris de la cigale qui, non contente d’avoir chanté tout l’été, demande l’aide de l’araignée pour dévaliser la fourmilière, l’hiver approchant. Les démocrates, au sens premier du terme, feraient bien de se lever contre ces tentatives funestes de nouveau colonialisme fiscal. Et rappeler à l’OCDE que le droit international et ses organisations sont là pour protéger la souveraineté des petites nations contre la loi du plus fort.

  • La santé de l’accord-cadre devrait vraiment nous préoccuper

    La santé de l’accord-cadre devrait vraiment nous préoccuper

    C’est à croire que l’accord-cadre est atteint du covid. Les observateurs, les élus et les hauts fonctionnaires rapportent régulièrement de l’état de santé du texte négocié entre la Suisse et l’Union européenne. Il est mourant, dit-on. Glauques, les expressions utilisées n’apportent aucune légèreté à une situation qui ne soulève pourtant pas l’inquiétude qu’elle mérite.

    Peut-on s’offrir le luxe de se passer d’un renouveau de nos relations avec l’Union européenne? La droite souverainiste et isolationniste en est convaincue, cela n’étonne personne. Plus curieusement, la gauche syndicale aussi désormais. Et s’ajoute à eux une espèce de méli-mélo de penseurs de toutes sortes qui tournent le dos à nos relations avec nos voisins.
    Du charabia?

    L’accord-cadre souffre de son contenu. Personne ne se réjouit d’un texte juridique dont la portée est purement procédurale. Sa conclusion ne signifierait aucun progrès notable matériel pour notre pays. Il est aussi sexy que les nouvelles conditions générales de WhatsApp. Il ne ferait que régler le cadre de futures négociations et organiser le règlement des différends en cas de mésentente. Il est certain que les slogans – à coups de souveraineté ou de dumping salarial – font mouche face à ces arguties juridiques, un charabia dirait-on.

    La technocratie du projet ne le rend pas pour autant moins indispensable. Sans accord-cadre, ou un autre accord similaire, l’Union européenne ne négociera ni nouvel accord, ni renouvellement des accords existants.

    Pourtant, la Suisse a un besoin impérieux de renouveler sa flotte bilatérale. Notre accord sur la reconnaissance des homologations sera caduc en mai. Deux tiers des appareils médicaux importés de l’UE ne seront plus reconnus chez nous: soit nous admettrons unilatéralement les autorisations de Bruxelles, bonjour la souveraineté. Soit nous irons nous faire soigner au-delà de nos frontières.
    Mises en danger

    La Stratégie énergétique 2050 impose à court terme un accord sur l’électricité pour éviter des black-out. Il faudra enfin mettre à jour la coordination de nos assurances sociales. Depuis l’an 2000, nous avons hélas renoncé au secret bancaire, mais pas obtenu d’accès au marché continental pour nos services financiers. Les exemples sont encore longs des domaines dans lesquels chaque jour, notre économie, notre prospérité et notre qualité de vie sont mis en danger par l’érosion des accords bilatéraux.

    Le Conseil fédéral doit avoir le courage de trouver une piste, une vraie solution. Nous proposer une voie pour avancer avec l’UE. Pour renouveler nos bilatérales. Que ce soit avec cet accord-cadre ou avec un autre. Parce que les bilatérales fonctionnent comme votre vieux PC sous Windows 95. Sans accès aux mises à jour, il arrive un moment où il ne vous sert plus qu’à jouer au solitaire. Et c’est plus qu’une image.

  • La meilleure stratégie de vaccination du monde (en théorie)

    La meilleure stratégie de vaccination du monde (en théorie)

    La Confédération a choisi les meilleurs vaccins. A commandé les doses nécessaires. Sur le papier, notre plan est le meilleur. En pratique malheureusement, il manque d’audace, de rythme et surtout de succès.

    C’est l’histoire d’un mec. Au casino, sans le sous, appuyé contre la roulette et qui se met à rêver. Il se dit que s’il avait cent francs, il les placerait sur le 10. Et voilà que le 10 sort. Amusé, il met son gain imaginaire sur le 27. Rebelotte, la chance lui sourit et la boule tombe sur le 27. Il s’emballe, s’excite et de met à transpirer. Au diable la varice, à un numéro gagnant du millions, il place son magot virtuel sur le zéro. Et bingo ! L’audace paie. Il calcule vite. 4 millions et demi de francs. Enflâmé, il crie à la cantonade, « tournée générale ! ».

    Cette blague me fait un peu penser à notre politique vaccinale. On a beau la critiquer, les réponses sont toujours les mêmes. La Suisse a eu le fin nez en choisissant les bons vaccins, en misant sur les bons chevaux alors que rien ne permettait de savoir il y a douze mois que la technologie ARN serait la bonne. Bravo.

    Mais comme le type qui devine les numéros du loto sans y jouer, si notre strategie de vaccination est la meilleure virtuellement, il lui manque encore une étape de mise en œuvre. En trois mois, nous n’avons pas obtenu de doses pour vacciner complètement un citoyen sur dix. La timidité de la Confédération à s’engager pour la vaccination explique dans doute ce mauvais résultat.

    Prenez le vaccin Johnson&Johnson. On l’avait déjà repéré l’été passé. Mais faute d’avoir conclu un contrat à temps, voici que la Suisse laisse tomber. Malgré les déboires que connaît l’AstraZeneca, la commande reste en suspend, en attendant un feu vert de Swissmedic que l’on désespère de voir arriver. Le Novavax est commandé, son homologation n’est toujours pas demandée.

    Mais le plus malheureux reste l’affaire Lonza à Viège. On ne saura sans doute jamais les détails de la proposition du groupe pharmaceutique à la Confédération. Toujours est-il que Moderna nous a proposé de participer plus activement au processus de production des vaccins. Et d’une manière ou d’une autre, d’améliorer notre approvisionnement. D’autres pays l’on fait et sont aujourd’hui largement en avance sur nous dans le processus de vaccination.

    Attendre. C’est de qu’il nous reste. Jusqu’à l’été dit-on à l’OFSP. A l’automne disent les cantons. Deux, trois, six mois de pandémie de plus. Réalise-t-on ce que cela signifie ? Rien qu’une seule semaine de retard est un drame. Certains pays ont choisi de prendre leur destin en main. Se sont donné les moyens de réussir dans l’entreprise de vaccination, en sortant parfois un peu des sentiers battus. Nous regretterons longtemps que la Suisse ne fasse pas partie de ceux-là.

  • Goliath contre Goliath

    Goliath contre Goliath

    Facebook a cédé face à l’Australie qui voulait redistribuer ses revenus, mais pas sur l’essentiel : il n’y aura pas de taxe au lien. Heureusement. Rien ne légitimait l’Etat à intervenir dans un match qui oppose deux groupes multinationaux et multimilliardaires.

    L’Australie aura finalement obtenu quelque chose de Facebook. Les rédactions et la gauche européenne sont soulagées. Facebook n’imposera pas sa loi et versera son obole aux groupes de médias. Goliath a lâché du lest, David peut danser.

    Pour ceux qui ont manqué le début, Canberra s’est mise en tête de redistribuer une partie des revenus des réseaux sociaux en faveur de la presse traditionnelle vers laquelle les utilisateurs étaient renvoyés. Facebook, devenue trop forte, aspirerait la pub des médias traditionnels. Il serait alors indispensable de redistribuer le gâteau.

    Derrière cette mesure, on trouve Rupert Murdoch, le milliardaire propriétaire de News Corp qui possède notamment Fox News. Pas vraiment la tasse de thé du socialisme. Pas vraiment la petite PME local. Goliath qui cherche se fait passer pour David dans une affaire de gros sous.

    Facebook s’est légitimement opposé à cette mesure. Dans le fond, on lui reproche d’utiliser ce qui est constitutif du Web : les URL, les liens hypertextes. Personne n’avait jusqu’ici revendiqué sérieusement d’être rémunéré pour cela. La société californienne a relevé que son réseau ne faisait que renvoyer les gens vers les sites des médias ordinaires. Que c’étaient ces médias qui publiaient eux-mêmes leurs contenus sur Facebook, plaçant même des boutons « partager sur Facebook » au bas de leurs articles. A chaque média de monétiser ensuite l’afflux de clientèle. Comme un kiosque affiche des manchettes, comme la radio fait sa revue de presse.

    Honnie de tous, Facebook a pris les éditeurs au mot. Et a bloqué tous les liens vers les journaux. Pas de lien, pas de chocolat. Ce fut un tollé. L’emoi le plus total. Une société privée, un réseau social indépendant, décide, quand on veut taxer un contenu, de renoncer à ce contenu.

    Incapable de proposer une alternative pour toucher son public, on a pu voir jusque sous nos latitudes les médias s’indigner de cette résistance légitime d’une société privée. A tel point que de nombreux grands démocrates ont demandé un contrôle public des contenus sur Internet. Voire même la nationalisation des réseaux sociaux. Sans rire.

    Que Facebook, un Gafam honni, devienne un combattant de la liberté et d’un Internet ouvert, c’est assez cocasse. Ce qui l’est un peu moins, c’est de voir le niveau de délabrement atteint par les groupes de presse, même les plus gros. Cette industrie qui a connu son âge d’or il y a quelques décennies, qui refusait des annonceurs, qui n’a jamais eu l’idée de partager son propre chiffre d’affaire, quémande aujourd’hui l’intervention de l’État-maman pour racketter les revenus bien acquis de ses concurrents. Après le cinéma et la musique, on ne compte plus ces anciens mastodontes du capitalisme qui ne voient leur salut que dans l’interventionnisme plutôt que dans l’innovation et l’écoute de son public. Et ce qui est vraiment inquiétant, c’est cette faculté des Goliath à toujours trouver une oreille politique attentive.

  • E-ID: le monde ne nous a pas attendus

    E-ID: le monde ne nous a pas attendus

    « Avec l’identité numérique, il sera possible de réserver vos voyages. De vous faire livrer toutes sortes de produits. D’effectuer vos opérations bancaires et boursières. D’organiser une consultation médicale. De commander un extrait de casier judiciaire. De remplir une déclaration d’impôt. Tout ça sur Internet. ». Si nous avions débattu de l’e-ID en 1995 plutôt qu’en 2021, on nous l’aurait vendue ainsi.

    C’est toute l’ironie de ce projet avec ses vingt ans de retard. Personne n’a attendu Berne pour nous identifier en-ligne. Mon passeport sur internet, c’est ma carte bancaire ou mon numéro de portable. On s’est débrouillé sans l’Etat et ça fonctionne très bien.

    Comme la grêle après la vendange, la Confederation veut maintenant une carte d’identité numérique. Pourquoi pas. Un système moins bricolé. Au final, un modèle assez intelligent.

    Une fois n’est pas coutume, le Parlement a eu la sagesse de laisser la technique aux techniciens. L’administration encadre le système, c’est tout. Il faut dire que lorsque l’Etat se prend pour Microsoft, ça donne des trucs comme le Minitel, SwissCovidApp ou les multiples projets informatiques de la Confédération qui finissent chacun par jouir d’une commission d’enquête parlementaire pour expliquer pouquoi 1) ça n’a pas marché et 2) ça a coûté dix fois plus cher que prévu.

    Les référendaires ne sont pas de cet avis. Ils répètent avec la foi du charbonnier cette formule qui donne l’illusion d’intelligence : l’Etat se défausse d’une tâche « régalienne » ! Mais d’où tirent-ils cette idée absurde que la mise à disposition des moyens d’identification serait une mission par essence et exclusivement publique ? Ma carte de visite n’est pas publique. On m’identifie avec mille et un objets. Même mon abonnement de ski permet de savoir qui je suis. Depuis vingt ans on s’identifie en-ligne sans « e-ID » d’Etat. Et personne ne s’en émeut. Il n’y a aucune prérogative publique en la matière.

    Contrairement à la carte d’identité qui reste un document désespérément peu high-tech, le passeport numérique sera en permanence connecté à son émetteur. Chaque fois que je dégainerai mon e-ID, son fournisseur en sera informé. Il saura quand et auprès de qui je me serai identifié. Informations sensibles à notre étrange époque où l’Etat assigne à résidence des citoyens innocents, où l’on traque vos allées et venues à l’étranger pour vous planter un q-tips au fond du nez et où un ministère du Plan définit les biens somptuaires dont vous devez patriotiquement vous passer. En matière de données personnelles, je ferai toujours plus confiance à un privé, fut-il une Gafam, qu’aux procureurs de la Confédération.

    Bref, si l’on veut un e-ID, acceptons ce projet. Mais aucun autre.

  • Ignazio Cassis, le meilleur d’entre eux

    Ignazio Cassis, le meilleur d’entre eux

    Être élu, c’est accepter la critique. Elle est parfois légitime et chacun en mérite un peu sa part. Cela concerne aussi Cassis, mon conseiller fédéral préféré. Mais si on peut lui reprocher quelques maladresses ou manque de communication, les attaques dont il fait l’objet depuis quelques jours sont indignes et déplacées.

    En ce début d’année 2021, en beau milieu de pandémie, la presse et en premier ligne le Temps, le dit tout net: un de nos sept conseillers fédéraux est à côté de ses pompes. N’a pas le niveau. Se plante dans son job.

    La critique est dure. Une année à manquer de masques, de respirateurs, de vaccins. A être incapables de suivre correctement les cas, à tenir à jour des statistiques, à prendre des mesures cohérentes et compréhensibles. On pouvait attendre une salve contre le ministre de la santé, suite à ces errements qui nous coûtent des milliers de vies et de milliards de francs. Mais non. Le problème de la Suisse de 2021, il paraît que c’est Cassis.

    Qu’à donc bien pu faire Ignazio Cassis pour que le Temps se paie presque quatre pages de témoignages aussi pleutres qu’anonymes contre lui ? En résumé, il est vilipendé par une brochette de diplomates mécontents de leur affectation. A la bonne heure ! Voilà qu’on juge un chef à sa capacité à obéir à ses subordonnés. Il paraît aussi qu’il ne convient pas aux ONG auxquelles il a eu le culot de demander de ne pas employer d’argent publique pour des campagnes électorales en Suisse. Ou a quelques organisations internationales que l’on finance, et face auxquelles le Tessinois se serait écarté d’une attitude de beni-oui-oui.

    Ignazio Cassis doit rendre des comptes à l’assemblée fédérale. A personne d’autre. Il n’est pas l’élu des diplomates, des organisations internationales ou des ONG. Pas plus que Viola Amherd n’est l’élue de l’armées, Cassis n’a pas été choisi pour plaire au monde des ambassadeurs et ses férus de droit international. Il est là pour défendre les intérêts bien compris de la Suisse. Et ceux-ci, comme dans toute démocratie qui se respecte, correspondent aux aspirations de la majorité démocratique, pas aux rêves internationalistes de quelques uns.

    Aussenpolitik ist Innenpolitik. La ligne du chef du DFAE exaspère à gauche, ce qui est plutôt attendu d’un élu de droite. Cassis prend le temps pour signer le pacte ONU sur les migrations ? Il ne fait que respecter la demande du parlement et analyser les conséquences d’un accord important pour une Suisse qui veut garder légitimement la main sur sa propre politique migratoire. Il se montre critique vis-à-vis de l’UNRWA ? Quoi de plus normal pour l’un des dix plus gros contributeurs d’une organisation d’aide aux réfugiés qui a été incapable de leur trouver un statut pérenne en 70 ans ?

    Cassis n’est pas un diplomate. Il n’est pas l’ambassadeur qui nous gâte avec ses chocolats italiens trop sucrés. Cassis est un politicien, comme ses six autres collègues. Et c’est comme un politicien qu’il gère son département. En analysant les problèmes sous le prisme des enjeux qui concernent la Suisse, des intérêts internationaux de notre pays. Et même si cela peut parfois contrarier des plans de carrière ou contredire l’opinion de secrétaire généraux d’organisations internationales, Cassis fait ce pour quoi on l’a élu. Il gouverne.

  • Faute d’être parti à temps avec la vaccination, il ne reste plus qu’à courir

    Faute d’être parti à temps avec la vaccination, il ne reste plus qu’à courir

    Plus d’un demi-million de doses de vaccin sont disponibles en Suisse. Ce n’est pas encore Jérusalem, mais c’est suffisant pour offrir un premier «shot» à 8% de la population. Ou à un tiers des plus de 65 ans. Et dans dix jours, ce chiffre devrait doubler.

    Pourtant, moins d’une personne sur 100 a reçu sa première piqûre. En un mois, depuis l’autorisation par Swissmedic, la Suisse a accouché douloureusement d’un plan de vaccination. Avec un succès mitigé: en Israël, dans le même temps, plus d’une personne sur quatre s’est frottée à une seringue.

    Même si le dire heurte la susceptibilité des responsables cantonaux de la vaccination, notre action n’est pas à la hauteur d’un pays qui dépense tellement pour sa santé, qui se vante de son administration si efficace.
    L’exception suisse

    Sans parler des chiffres: certains cantons refusent encore de transmettre correctement leurs données sur la vaccination à l’OFSP. Nous voulons savoir si et combien de personnes se vaccinent. Notre pays est le seul d’Europe occidentale à ne pas livrer de statistiques régulières et complètes sur la vaccination. Il est loin, le temps où l’on se rassurait en se disant mieux armés que l’Italie face au virus.

    La statistique, c’est surtout l’argument le plus convaincant à opposer aux «antivax». Mieux que n’importe quelle annonce payante, les chiffres prouveront que les vaccinés ne tombent pas comme des mouches ou ne se changent pas en zombies. Mais échappent à un virus qui a déjà tué 8000 concitoyens.

    Tant que roupilleront des doses dans les super-congélateurs, des personnes mourront, des entreprises lèveront les fers, des libertés s’effriteront, inutilement. On ne sortira de cette pandémie qu’à condition de se vacciner largement. Et il n’y a plus une minute à perdre. Comme dans la fable, plutôt que courir en mars, il aurait fallu partir à temps en décembre. Le 19, le jour de l’autorisation par Swissmedic. Vacciner immédiatement, partout, dans chaque canton. Et pour cela, anticiper. Mais c’est trop tard.

    Après ce faux départ, notre pays doit engager maintenant un sprint pour rattraper autant que faire se peut le retard accumulé. Et la Confédération reprendre la main, avec tous ses moyens, y compris militaires, pour appliquer désormais la seule règle de précipitation qui vaille pour les vaccins: aussitôt reçu, aussitôt administré.

  • Vaccin COVID-19: le fiasco suisse se précise

    Vaccin COVID-19: le fiasco suisse se précise

    Le programme de vaccination en Suisse est un fiasco. Du début à la fin. Il ne sert à rien de se voiler la face: les promesses de l’OFSP, des cantons et des task force sur notre formidable plan étaient simplement à côté de la plaque.

    A commencer par l’approvisionnement en vaccins. Il est maintenant connu qu’alors que d’autres pays négociaient des doses en quantité dans des délais rapides, nous organisions ici des conférences de presse pour vanter un plan compliqué de vaccination en six étapes. En Suisse, on se réjouissait des prochains pictogrammes. Ailleurs, on sortait le chéquier pour mettre le prix et assurer des vaccins pour tout le monde avant la Saint-Glinglin. Israël a dépensé une dizaine de dollars de plus par dose et par citoyen pour assurer d’être les premiers. Pour une somme très raisonnable au regard du coût des confinements, nous aurions pu en faire autant…

    Ensuite, le programme de vaccination lui-même. Le 22 décembre, Swissmedic annonce à grands fracas l’autorisation du premier vaccin.

    C’est d’abord la stupeur chez les gouvernements cantonaux qui ne s’attendaient absolument pas à une telle nouvelle. Nous pouvons évidemment regretter le peu de coordination entre l’autorité d’homologation et les organes cantonaux. Un coup de fil quelques jours avant, histoire de se préparer, aurait été la moindre des choses. Mais passons.

    Parlons plutôt de la vaccination « pour de vrai ». Celle qu’on nous vantait dans les conférences de presse. Le 22 décembre, nous avions 107´000 doses disponibles. Ce n’est pas énorme, mais les a-t-on au moins utilisées ? Impossible à dire avec certitude: l’OFSP ne juge pas nécessaire de communiquer ce genre d’informations, si bien que la Suisse fait partie des pays désespérément gris sur les cartes internationales, indiquant un frustrant « no data available ».

    Toutefois, à lire les annonces fracassantes promettant une dizaine de vaccinations par-ci, par-là, tout laisse à penser que la Suisse ne fait pas beaucoup mieux que la France et ses bientôt cinq cents vaccinés. Bref, en dehors des effets d’annonce, il y a fort à parier qu’en deux semaines, la Suisse n’a pas sorti beaucoup de vaccins des super congélateurs de l’armée.

    Franchement, c’est honteux. Les arguments pour justifier cette (dés)organisation sont désolants. Il paraît qu’il est très compliqué d’obtenir le consentement éclairé des pensionnaires d’EMS, ou de leur famille. Ah, la belle excuse. Si seulement nous avions su avant décembre qu’une pandémie frappait le monde et qu’un vaccin se préparait, il aurait été possible d’anticiper cette étape ! Caramba, encore raté.

    Et puis il y a cette logistique insurmontable. Une conseillère d’Etat m’a surnommé « Yaka Nantermod » pour m’être plaint des lenteurs de l’administration. Cette même administration qui impose à tous les restaurants d’ouvrir, fermer, confiner, protéger, sous 24 heures, a été tout simplement incapable de préparer la logistique de vaccination pour un produit dont les caractéristiques sont connues depuis octobre, période a laquelle 40’000 personnes ont été vaccinées en phase de test.

    Mais là où nous avons échoué, là où nous avons des excuses, d’autres ont agi. Preuve s’il en faut que c’est possible. Israël a déjà vacciné plus de 10% de sa population. Dans dix jours, tous ses citoyens âgés de plus de 60 ans auront reçu une dose. En Grand-Bretagne, plus d’un million de personnes sont vaccinées.

    Ici, nous organiserons encore des débats ethico-politique pour camoufler le naufrage de notre plan de vaccination, en préparant un troisième confinement qui coûtera encore une fois une blind à notre économie.

    Ce retard et cette impréparation s’inscrit dans une lignée d’échecs. Après les stocks de masques fantômes, après SwisscovidApp qui ne fonctionne pas, après le traçage dépassé dès qu’il fut mis en œuvre, après la coordination inexistante des fermetures de la deuxième vague. Mais sachant que le vaccin est notre porte de sortie de crise, cet échec est le plus cinglant et le moins excusable.

  • Vaccin : « y’a pas le feu au lac »

    Vaccin : « y’a pas le feu au lac »

    Voilà, la lumière n’est plus au bout d’un tunnel sans fin. Elle est là. Chez votre pharmacien. Dans un frigo. Swissmedic a autorisé un vaccin le 19 décembre. 2020 se termine en beauté, avec le remède contre le maudit virus qui nous a pourri toute l’année. On dirait un conte de fée.

    Et… non. Bien sûr, le vaccin est là, disponible, en Suisse. Il est autorisé, depuis maintenant quelques jours. Mais pourtant, à l’heure où j’écris ces lignes, pas une seule personne n’est encore vaccinée. On attend. Je ne sais pas quoi, mais on attend. Et il paraît qu’il faudra attendre encore plusieurs jours, même des semaines.

    Le vaccin, ce n’est pourtant pas vraiment la chose la plus inattendue de l’année. On en rêvait déjà avant le premier malade en février au Tessin. Depuis des mois, on suit les aventures palpitantes de Pfizer, Moderna, Astrazeneca ou du sulfureux Sputnik V. Leurs tests, leurs réussites, leurs échecs. On parle compare leurs pourcents d’efficacité. Le nombre de cobayes. On s’en réjouit comme d’un cadeau de Noël avant l’heure.

    Mais au moment où le vaccin arrive, les autorités feignent la surprise. On va se presser à la Bernoise. Les centres de vaccination vont être mis en place. C’est-à-dire qu’ils ne le sont pas déjà. Comme si, ces derniers mois, il y avait beaucoup de choses plus importantes à préparer que notre vaccination.

    Bref, selon notre catégorie de risque, nous pourrions être vacciné dans les six prochains mois. La gestion de la vaccination par le Conseil fédéral, c’est un peu la même stratégie que ces gens qui achètent des pneus d’hiver à Noël et qui les installent à Pâques.

    Cela dit, ce programme colle assez bien avec l’ambiance générale. Il paraît que seulement 35% de la population veut se faire immuniser contre le COVID-19. On peut s’inquiéter que, face à la statistique macabre des 6’000 morts, la majorité prête encore une oreille attentive aux délires complotistes des antivax. On préfère probablement porter un masque, fermer les restaurants et dépenser des milliards de francs qui seront remboursés par nos enfants, pour le plaisir de regarder mourir à petit feu nos PME

    « Ecoutez la science ». C’était le message des militants du climat l’année dernière. Elle est là, la science. Cette technique extraordinaire qui produit en moins d’une année, une dizaine de vaccins différents contre une nouvelle maladie. Et que fait-on de cette science ? Lors d’un échange avec les autorités fédérales, j’ai compris que nous comptions davantage sur le retour du printemps que sur le vaccin pour sortir de la crise sanitaire.

    Notre Suisse, pays aux deux écoles polytechniques classées dans les meilleures du monde, siège de Novartis, de Roche et de Lonza, terre aux 28 prix Nobel, attend le beau temps. Peut-être espère-t-on un vaccin homéopathique ? Une cure au Reiki et aux huiles essentielles ?

    Mon cœur bat pour les commerçants. Pour les restaurateurs. Les bistrotiers. Tous ces indépendants qui restent pendus aux décisions de presse du Conseil fédéral qui, avec une régularité de métronome, ouvre, ferme, rouvre, plexiglase, distancie. Les ordres suivent les contre-ordres. Ce qui était une évidence hier devient une infraction aujourd’hui. Ce monde de fou qui rappelle Full Metal Jacket, avec un officier-instructeur qui vous hurle des ordres incohérents à tout bout de champ.

    Avec l’arrivée des vaccins et le peu d’empressement du Conseil fédéral de vacciner la population, on pourrait croire que le véritable plan contre le coronavirus, c’était de laisser disparaître les gens et l’économie, plutôt que de promouvoir avec énergie et sérieux la seule solution technique et médicale qui vaille : celle de la science.

  • 2020, la pire année de l’histoire?

    2020, la pire année de l’histoire?

    C’est la une du «Time» de début décembre: 2020, biffée d’une grande croix rouge. On ne peut cependant sérieusement considérer que l’humanité n’a pas traversé d’épreuve plus difficile que la présente pandémie.

    Le Time ne mâche pas ses mots. 2020, ce n’est ni plus, ni moins que la pire année de l’histoire. C’est ainsi que sont présentés les bientôt 365 jours qui viennent de nous épuiser à coups de deuils, de souffrances, de masques, d’ordres, de contre-ordres, de confinement, de réouverture et de mille gels hydroalcooliques.

    De là à nommer 2020 l’année diluvienne, il y a un pas que je ne franchirai pas. Et même si le prestigieux magazine américain corrige un peu le titre en expliquant dans le texte que l’année est la pire «pour la majorité des gens encore en vie», on est encore loin du compte.

    Sans minimiser les drames de cette année de malheur, l’humanité a malheureusement connu des périodes plus difficiles. Si l’on s’engage dans le concours des horreurs, le virus du pangolin ne pèsera pas lourd face aux grandes pestes, aux deux guerres mondiales, à Gengis Khan ou à la guerre de Vendée.

    Et si l’on s’en tient à nos contemporains, la vie ne vaut-elle pas mieux d’être vécue à New York en 2020 qu’à Sarajevo en 1995, à Bucarest en 1988 ou à Alep en 2013? Naturellement, si vous faites partie de la population mondiale installée dans le bloc occidental et, dans cette zone, dans un pays qui n’a connu ni dictature, ni communisme, ni crise économique (ou les trois ensemble, qui se marient trop souvent) au cours du dernier siècle, la probabilité existe que 2020 soit clairement l’année la plus pourrie de votre existence. En moyenne, bien entendu: les destins individuels s’accordent assez peu avec ces généralités de magazine.

    Mais ne prenons pas nos projections occidentales pour des réalités universelles. Quinze pour cent des habitants de notre planète vivent dans nos contrées hyper-développées. Il y a de bonnes raisons de penser que plus de trois quarts des habitants du monde considèrent 2020 comme une année compliquée, mais probablement pas encore comme l’apocalypse.

    La titraille du Time joue du réflexe égocentrique occidental. Celui qui nous pousse à croire à divers degrés que nos préoccupations sont partagées universellement. Nos valeurs absolues. Comme si tout ce qui existait avant n’existait pas. Comme si tout ce qui se passait ailleurs comptait pour beurre.

    J’imagine que c’est un réflexe humain, qui n’en reste pas moins faux. On ne rend pas hommage aux victimes de la pandémie en minimisant les autres drames humains.