L’art d’inventer des problèmes pour mieux les résoudre

La Suisse connaît une période de crises. Economique tout d’abord, avec les coups de boutoir de nos concurrents qu’accuse notre place financière, un taux de chômage en hausse ou encore l’augmentation dramatique du coût des assurances sociales. Crise institutionnelle ensuite, franchement éclatante dans le conflit libyen ou plus larvée à l’image des dysfonctionnements perpétuels du gouvernement fédéral.  Il  y a ceux qui planchent sur ces crises, qui cherchent à leur trouver une issue favorable. Il y a les autres, ceux pour qui les problèmes sont ailleurs.
C’est par exemple le cas des partisans de l’initiative « contre la construction de minarets », selon lesquels 400’000 combattants musulmans vivent en Suisse, dont une bonne partie bénéficient de la nationalité suisse et sont « chez eux » comme moi, bon chrétien. Quiconque suit quelque peu l’actualité doit constater que ce presque demi million de personnes est très bien intégré, qu’il ne crée pas de problèmes particuliers.
Nous avons la chance en Suisse de ne pas subir les conflits que connaît notre voisin français avec une communauté islamique revendicatrice, peu républicaine pour ne pas dire parfois carrément violente, dans le verbe et dans les actes. Nous avons la chance que « notre » communauté musulmane ne voit pas d’un mauvais œil l’idée de se soumettre à l’ordre juridique qui nous lie, et s’accommode en général sans broncher d’une tradition chrétienne parfois bien présente, pour ne pas dire envahissante pour celui qui ne se reconnaît pas dans la religion du Christ.  A titre d’exemple, je n’ai pas encore vu de fatwa contre les tribunaux valaisans qui affichent ostensiblement un crucifix dans ses salles d’audience. Globalement, on peut se féliciter d’une intégration réussie. J’imagine qu’il ne viendrait  même pas  l’esprit de l’écrasante majorité des musulmans de procéder à une distinction entre la « loi de Dieu » et la « loi des infidèles » pour préférer la première. Ces débats sont surtout théologiques et ne touchent pas au quotidien nos concitoyens fidèles d’Allah.
Il existe en Suisse quatre minarets. Cinq si l’on ajoute celui construit par Louis Suchard pour des raisons esthétiques sur le toit de son usine neuchâteloise. C’est peu. Il y a eu quelques demandes de construction supplémentaires qui se heurtent au droit public des constructions.
Les partisans de l’initiative « contre la construction de minarets » partent d’un constat assez surprenant : nous serions actuellement en guerre contre la civilisation musulmane qui chercherait à nous coloniser. Les minarets seraient des espèces d’avant-postes préparant l’invasion, par la bande évidemment. Cette vision paranoïaque contredit une sorte de présomption d’innocence publique. Elle contredit surtout ce que n’importe quel observateur de bonne foi constaterait. Evoquer les voitures brûlées dans le 93 n’est pas un argument, pas plus que la saison des pluies indienne justifierait la troisième correction du Rhône.
La plupart des musulmans ne revendiquent pas de minaret, preuve en est la quantité négligeable de  demandes. L’initiative « contre la construction de minarets » cherche à résoudre un problème qui n’existe pas. Le minaret en tant que tel n’est pas une question puisque presque inexistant chez nous, pas davantage que l’Islam vu la bonne entente entre les religions de notre pays.
A contrario, le texte proposé s’applique à en créer, des problèmes. Il n’est qu’un moyen d’humilier en Suisse tous ceux qui se revendiquent de la plus grande religion du monde. Elle ne sert qu’à montrer du doigt des gens qui n’avaient jusqu’ici rien à se reprocher. Elle interdit un symbole d’une religion donnée, au motif que certains de ses fidèles se seraient comportés de manière inacceptable, ailleurs. Quand on est musulman comme je suis chrétien, il n’est pas besoin d’être pratiquant ou intégriste pour se sentir visé par une initiative de cet acabit.
La violence existe en Suisse. Elle est – par exemple – le fait de dizaines de hooligans qui démolissent rituellement tous les dimanches les abords des stades de football. Pour eux, nulle initiative, pour eux pas de dénonciation, pas de grande déclaration. Le « courage » qu’ont certain à « dénoncer » des problèmes qui relèvent du fantasme de guerre des civilisations serait bien plus utile s’il était employé pour solutionner de vrais problèmes. Mais je l’admets : quand on est d’extrême droite, il est tout de même plus facile de vomir sur les musulmans que de s’attaquer aux petits fachos qui cassent à coup de chaine de vélo au nom  d’un match nul. On ne crache pas sur son électorat, c’est de bonne guerre.
Si l’initiative sur les minarets devait être acceptée le 29 novembre prochain, nous prenons le risque de casser la bonne entente qui prévaut entre les citoyens de croyances différentes. Nous prenons le risque précisément d’apporter en Suisse un peu de rancœur, de jeter l’opprobre sur une collectivité, de créer une identité musulmane opposée à une identité nationale.
Et si elle devait se voir refusée, nous compterons peut être 3 ou 4 minarets de plus en Suisse dans 30 ans. Non, l’enjeu n’en vaut pas la chandelle.

Commentaires

2 réponses à “L’art d’inventer des problèmes pour mieux les résoudre”

  1. […] “L’art d’inventer les problèmes pour mieux les résoudre“, blog de Philippe Nantermod, 22 octobre 2009 […]

  2. Avatar de Amiguet
    Amiguet

    Cher Monsieur,
    Durant très longtemps, par mes origines terriennes et vaudoises, j’avais une opinion plutôt positive de ce parti radical; cela se traduisait par des votes, des élections! Une participation plus active devenait difficile en raison de mes fréquents travaux en Afrique du Nord…
    Mais par la suite et par ces approches, que je qualifierais de douteuses vers ce parti UDC, m’ont totalement éloigné de vos idées de base.
    Si j’ai pu apprécier certaines et certains de vos collègues, ce parti aujourd’hui me sera toujours contraire tant que certain d’entre-vous se complaisent à faire des ronds de jambes, courtisent cette extrême droite arrogante et sans fondement aucun.
    A la suite de vos propos ci-dessus, je suis très heureux de constater votre présence active au sein de ce mouvement de la jeunesse, cette jeunesse qui parfois m’inquiète par l’abstentionnisme qu’elle manifeste lors des grands rendez-vous aux urnes.
    Meilleurs messages pour vous et votre entourage. Et tous au 29… Inch Allah !!!
    Alexis François Amiguet, 1942

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