Déductions fiscales: la famille traditionnelle en question

Les déductions fiscales permettent de transcrire une réalité économique sur la déclaration d’impôt ou, au contraire, de comptabiliser un élément virtuel à des fins incitatives. La dépense d’acquisition du revenu, soit le franc investi pour générer le suivant, est la première de ces réalités économiques. En toute logique, le parlement fédéral a reconnu récemment que les frais de gardes des enfants constituaient une dépense d’acquisition du revenu déductible : quand deux parents travaillent, il faut bien trouver à garder ses enfants quelques heures par jour.
Certains demandent aujourd’hui que cette déduction soit aussi accordée aux parents qui font le choix de garder eux-mêmes leurs enfants. Idée sympathique qui sent l’égalitarisme à plein nez, mais difficilement justifiable.
La déduction forfaitaire proposée de 10’000 frs. par an ne correspondant par définition à aucune dépense concrète, elle doit certainement être conçue comme une mesure incitative. Mais incitative de quoi ? Est-ce un moyen de favoriser le modèle familial « traditionnel » : maman aux fourneaux et papa au boulot ?
Je tire mon chapeau à ces femmes qui se sacrifient pour leurs enfants. Il n’est cependant pas forcément de bon augure que trop de citoyens abandonnent toute velléité de carrière professionnelle au nom de la famille. Non que je conspue la famille, mais plutôt que je me méfie des visions nostalgiques qui aboutissent à vivre dans un monde chimérique.
Cette soif de famille traditionnelle repose sur une vision moralisatrice et dogmatique de notre société. Quand 50% des mariages ont pour finalité le divorce, il est irresponsable d’encourager les mères de famille à se déconnecter du marché du travail. Celui qui abandonne sa carrière pendant les dix à quinze ans que prend l’éducation d’une petite famille contribuera certes à élever la nouvelle génération, mais se marginalisera complètement des exigences de l’économie. Sachant combien il est périlleux de se reconvertir après une longue activité au sein d’une même entreprise, on imagine les difficultés d’une réinsertion après 15 ans à élever des enfants.
Pousser les femmes à rester à la maison revient à les condamner à se retrouver un jour démunies face à un marché du travail en perpétuelle évolution. C’est condamner une partie des citoyennes divorcées à la précarité. Parallèlement, c’est la situation des pères qui prend aussi un coup : le droit civil veut que les époux séparés s’entraident, même après le mariage. Et quand on sait que deux ménages coûtent fatalement plus cher qu’un…
Cette déduction fiscale proposée ne valorise en rien le travail des mères de famille. Dix mille francs l’an, c’est encore moins bien payé qu’avocat stagiaire ! Belle valorisation du travail de nos mères qui ne comptent jamais leurs heures. Cette défiscalisation forfaitaire n’apporte aucune valeur ajoutée à l’expérience d’une mère pour retrouver un emploi en cas de coup dur. Elle ne fait qu’encourager les familles à adopter un modèle qui a fait ses preuves dans une autre société, celle qui prévalait avant la guerre, quand on comptait une poignée de divorces par année en Valais. Non que le modèle traditionnel soit désuet, mais qu’il n’est plus adapté à la moitié de nos familles. Encore faudrait-il savoir quelle moitié.