Lara Croft n’a jamais tué personne.

Le Conseil fédéral s’est donc vu confier la mission de proposer une réglementation visant à interdire la production, la publicité, l’importation, la vente et la diffusion de programmes de jeux dans lesquels de terribles actes de violence commis contre des êtres humains ou ressemblant à des humains contribuent au succès du jeu. C’est textuellement ce qu’a voté le Parlement la semaine passée.
S’il est probable que les forcenés des lycées américains s’essayaient sur Playstation avant de passer à l’acte, n’oublions pas que, de Jack l’éventreur à Una bomber, plus d’un fou furieux a pu agir sans l’inspiration des massacres numériques. A ce jour, aucune étude sérieuse n’a jamais pu démontrer un lien de cause à effet entre le nombre de litres de sang virtuels déversés sur l’écran et la délinquance réellement constatée.
Le Parlement est pris en plein délit de sale gueule. Affirmant que les jeunes seraient de plus en plus violents, nos sénateurs ont trouvé le coupable tout désigné : le jeu vidéo.
Il est regrettable de constater que les élus soient aussi déconnectés du mode de vie des jeunes Helvètes. Pour ma génération et celles qui lui succèdent, le jeu vidéo n’est pas une simple mode. C’est un élément culturel central de notre époque. L’imprimerie, le cinéma, la télévision, les médias ont tour à tour modifié en profondeur les loisirs au gré de l’Histoire, le jeu vidéo n’en est que la continuité.
Un peu comme pour les OGM ou la recherche sur les cellules souches, quand on ne connaît pas, on interdit. Cette méfiance, cette crainte du nouveau n’est pas nouvelle. On rigole aujourd’hui devant les micros-trottoirs sortis des archives de l’INA présentant les râleurs qui se plaignaient des cheveux longs, du rock et des minijupes. La différence, c’est que ceux qui râlaient à l’époque sont ceux qui écrivent aujourd’hui les lois.
Il est évident qu’un jeune de 12 ans ne devrait pas accéder à un jeu hyper violent et immoral. Au même titre que quantité de films, de chansons ou même de livres ne conviennent pas à toute une génération. N’a-t-on pas emballé le dernier Chessex de cellophane pour qu’il n’arrive pas de manière trop impromptue dans les mains d’un jeune encore trop pur ? Et que dire de Francis Ford Coppola lorsqu’il idéalise au cinéma la mafia et ses crimes pourtant bien plus abominablement réels que les caricatures développées dans certains jeux vidéos ?
Le vrai défi qui se pose est celui de l’éducation. Aux parents, aux enseignants, à la société en général d’apprendre aux jeunes la distinction entre le réel et le virtuel et entre le bien et le mal. L’interdiction généralisée des jeux trop sanguinolents n’est qu’une solution gadget pour pouvoir se vanter d’avoir « fait quelque chose » pour lutter contre la violence. Et même si ce quelque chose se trouve n’avoir aucun résultat concret, hormis celui de vexer une part importante de notre population qui vit avec son époque.