Vaccin : « y’a pas le feu au lac »

Voilà, la lumière n’est plus au bout d’un tunnel sans fin. Elle est là. Chez votre pharmacien. Dans un frigo. Swissmedic a autorisé un vaccin le 19 décembre. 2020 se termine en beauté, avec le remède contre le maudit virus qui nous a pourri toute l’année. On dirait un conte de fée.

Et… non. Bien sûr, le vaccin est là, disponible, en Suisse. Il est autorisé, depuis maintenant quelques jours. Mais pourtant, à l’heure où j’écris ces lignes, pas une seule personne n’est encore vaccinée. On attend. Je ne sais pas quoi, mais on attend. Et il paraît qu’il faudra attendre encore plusieurs jours, même des semaines.

Le vaccin, ce n’est pourtant pas vraiment la chose la plus inattendue de l’année. On en rêvait déjà avant le premier malade en février au Tessin. Depuis des mois, on suit les aventures palpitantes de Pfizer, Moderna, Astrazeneca ou du sulfureux Sputnik V. Leurs tests, leurs réussites, leurs échecs. On parle compare leurs pourcents d’efficacité. Le nombre de cobayes. On s’en réjouit comme d’un cadeau de Noël avant l’heure.

Mais au moment où le vaccin arrive, les autorités feignent la surprise. On va se presser à la Bernoise. Les centres de vaccination vont être mis en place. C’est-à-dire qu’ils ne le sont pas déjà. Comme si, ces derniers mois, il y avait beaucoup de choses plus importantes à préparer que notre vaccination.

Bref, selon notre catégorie de risque, nous pourrions être vacciné dans les six prochains mois. La gestion de la vaccination par le Conseil fédéral, c’est un peu la même stratégie que ces gens qui achètent des pneus d’hiver à Noël et qui les installent à Pâques.

Cela dit, ce programme colle assez bien avec l’ambiance générale. Il paraît que seulement 35% de la population veut se faire immuniser contre le COVID-19. On peut s’inquiéter que, face à la statistique macabre des 6’000 morts, la majorité prête encore une oreille attentive aux délires complotistes des antivax. On préfère probablement porter un masque, fermer les restaurants et dépenser des milliards de francs qui seront remboursés par nos enfants, pour le plaisir de regarder mourir à petit feu nos PME

« Ecoutez la science ». C’était le message des militants du climat l’année dernière. Elle est là, la science. Cette technique extraordinaire qui produit en moins d’une année, une dizaine de vaccins différents contre une nouvelle maladie. Et que fait-on de cette science ? Lors d’un échange avec les autorités fédérales, j’ai compris que nous comptions davantage sur le retour du printemps que sur le vaccin pour sortir de la crise sanitaire.

Notre Suisse, pays aux deux écoles polytechniques classées dans les meilleures du monde, siège de Novartis, de Roche et de Lonza, terre aux 28 prix Nobel, attend le beau temps. Peut-être espère-t-on un vaccin homéopathique ? Une cure au Reiki et aux huiles essentielles ?

Mon cœur bat pour les commerçants. Pour les restaurateurs. Les bistrotiers. Tous ces indépendants qui restent pendus aux décisions de presse du Conseil fédéral qui, avec une régularité de métronome, ouvre, ferme, rouvre, plexiglase, distancie. Les ordres suivent les contre-ordres. Ce qui était une évidence hier devient une infraction aujourd’hui. Ce monde de fou qui rappelle Full Metal Jacket, avec un officier-instructeur qui vous hurle des ordres incohérents à tout bout de champ.

Avec l’arrivée des vaccins et le peu d’empressement du Conseil fédéral de vacciner la population, on pourrait croire que le véritable plan contre le coronavirus, c’était de laisser disparaître les gens et l’économie, plutôt que de promouvoir avec énergie et sérieux la seule solution technique et médicale qui vaille : celle de la science.

2020, la pire année de l’histoire?

C’est la une du «Time» de début décembre: 2020, biffée d’une grande croix rouge. On ne peut cependant sérieusement considérer que l’humanité n’a pas traversé d’épreuve plus difficile que la présente pandémie.

Le Time ne mâche pas ses mots. 2020, ce n’est ni plus, ni moins que la pire année de l’histoire. C’est ainsi que sont présentés les bientôt 365 jours qui viennent de nous épuiser à coups de deuils, de souffrances, de masques, d’ordres, de contre-ordres, de confinement, de réouverture et de mille gels hydroalcooliques.

De là à nommer 2020 l’année diluvienne, il y a un pas que je ne franchirai pas. Et même si le prestigieux magazine américain corrige un peu le titre en expliquant dans le texte que l’année est la pire «pour la majorité des gens encore en vie», on est encore loin du compte.

Sans minimiser les drames de cette année de malheur, l’humanité a malheureusement connu des périodes plus difficiles. Si l’on s’engage dans le concours des horreurs, le virus du pangolin ne pèsera pas lourd face aux grandes pestes, aux deux guerres mondiales, à Gengis Khan ou à la guerre de Vendée.

Et si l’on s’en tient à nos contemporains, la vie ne vaut-elle pas mieux d’être vécue à New York en 2020 qu’à Sarajevo en 1995, à Bucarest en 1988 ou à Alep en 2013? Naturellement, si vous faites partie de la population mondiale installée dans le bloc occidental et, dans cette zone, dans un pays qui n’a connu ni dictature, ni communisme, ni crise économique (ou les trois ensemble, qui se marient trop souvent) au cours du dernier siècle, la probabilité existe que 2020 soit clairement l’année la plus pourrie de votre existence. En moyenne, bien entendu: les destins individuels s’accordent assez peu avec ces généralités de magazine.

Mais ne prenons pas nos projections occidentales pour des réalités universelles. Quinze pour cent des habitants de notre planète vivent dans nos contrées hyper-développées. Il y a de bonnes raisons de penser que plus de trois quarts des habitants du monde considèrent 2020 comme une année compliquée, mais probablement pas encore comme l’apocalypse.

La titraille du Time joue du réflexe égocentrique occidental. Celui qui nous pousse à croire à divers degrés que nos préoccupations sont partagées universellement. Nos valeurs absolues. Comme si tout ce qui existait avant n’existait pas. Comme si tout ce qui se passait ailleurs comptait pour beurre.

J’imagine que c’est un réflexe humain, qui n’en reste pas moins faux. On ne rend pas hommage aux victimes de la pandémie en minimisant les autres drames humains.