Auteur/autrice : Mathieu Couturier

  • Données, c’est données, reprendre, c’est voler

    Données, c’est données, reprendre, c’est voler

    Fathi Derder quittera le parlement cet automne. Il va me manquer. Et j’espère qu’il ne partira pas fâché. J’ai combattu et coulé une initiative qu’il avait déposée. Pour inscrire dans la Constitution la propriété de nos propres données. C’était en 2017. Il me parle encore. Il m’en parle encore.

    C’est un aveu. Si je suis parfois sceptique quant aux règles de protection des données, je ne crois pas que leur propriété nous revienne après les avoir livrées. J’y suis même opposé. A l’ère des cookies, je ne me sens pas détenteur des informations que vous avez reçues à mon sujet. Ce que je vous ai transmis, mes goûts, mes opinions, ne m’appartiennent pas. Ou plus. Avant l’époque barbare de la numérisation, cette question n’intéressait pas grand monde. Et la réponse était évidente. On n’est pas le propriétaire de ses données. Comme on perd la propriété de tout ce que l’on abandonne à des tiers.

    Le big data n’y change rien

    Je n’ai pas de droit de regard sur ce que ma voisine sait et pense de moi. Sur ce qu’elle enregistre à mon sujet. Les commerçants que je fréquente me connaissent: ils savent ce qui me plaît, mes habitudes. Il ne me viendrait pas à l’esprit de leur réclamer des comptes. De me rendre ce que je leur ai dit. Ou ce qu’ils ont pu constater par eux-mêmes. Et le big data n’y change rien.

    En réalité, la protection des données a toujours été l’exception. Pas la règle. Le secret professionnel se réduit à quelques métiers sensibles. Les avocats, les médecins, les curés. Les banquiers. Des personnes à qui l’on se confie nécessairement au-delà du raisonnable. Et dont on attend une vraie discrétion. Après, si vous déballez votre vie à Noël, au bar d’à côté ou sur internet, au vu et au su de tous, ne réclamez pas encore des chartes de confidentialité. Et encore moins un article constitutionnel.

    De l’e-nombrilisme?

    La propriété de ses données, c’est un peu l’e-nombrilisme ultime. Se croire détenteur de droits sur la connaissance, le savoir, en main des autres. Dans leurs têtes. Dans leurs disques durs. Ma position est sans doute iconoclaste. Et le délicieux Fathi Derder me pardonnera peut-être. Mais on le répétait assez à l’école: données, c’est données, reprendre, c’est voler.

  • A Berne, à l’heure de la moustache de Plekszy-Gladz

    A Berne, à l’heure de la moustache de Plekszy-Gladz

    Les visites officielles étrangères sont l’occasion de cirques parlementaires amusants, inutiles mais récréatifs. La délégation hongroise en a fait les frais lorsqu’une petite partie du parlement a déserté ses rangs et qu’une autre applaudissait à tout rompre.

    A Berne, l’exotisme vient à nous. Entre deux Berner Teller et les discours d’Ueli Maurer, nous recevons régulièrement des délégations du monde entier. Seize l’année passée, dont le Burkina Faso, l’Arménie ou la Biélorussie. Selon un protocole bien huilé, les officiels s’installent quelques minutes à la tribune d’honneur, la présidente leur adresse un petit mot sur l’amitié historique qui unit nos pays, on se lève, on applaudit.

    Fondateur du Fidesz

    La semaine passée, nous avons ainsi vécu à l’heure hongroise. D’un côté, nous accordions un milliard pour les pays de l’Europe de l’Est , parmi lesquels la Hongrie. De l’autre, nous recevions le premier citoyen magyar, László Kövér, en visite officielle et remarquée. L’homme a fondé le Fidesz, ce parti ultraconservateur, anti-immigration et populiste. Celui qui vient de se faire expulser manu militari du Parti populaire européen. Mais ce qui en imposait le plus, c’était encore la moustache du président, tout droit sortie du Sceptre d’Ottokar.

    Quand on marche sur des œufs

    La visite ne s’est pas déroulée sans tumulte. Lors d’un dîner officiel, j’ai pu admirer toute la subtilité de notre diplomatie. Quand vous avez à votre table le représentant de l’une des démocraties les plus critiquées du continent, vous marchez sur des œufs. Alors on met les formes pour exposer nos visions du respect des réfugiés de guerre ou de l’intégration. Surtout à un membre du parti qui prône l’installation de barbelés pour accueillir les migrants syriens. Surtout au représentant d’un pays dont 200 000 ressortissants avaient trouvé l’asile, notamment en Suisse, en 1956. Quand les communistes faisaient ce qu’ils savent le mieux faire, écraser les individus.

    Tout s’est achevé par un cérémonial haut en couleur. Au National, au moment de saluer notre hôte. A gauche, les «Maduro Boys», échaudés par le visiteur, ont pratiqué la politique de la chaise vide pour marquer leur colère contre celui à qui ils avaient versé, la veille, beaucoup d’argent. A droite, les aficionados d’Orban applaudissaient le «messie», lui offrant même un groupe d’amitié parlementaire. Et faisaient mine d’oublier qu’ils avaient refusé de sortir le crapaud pour leur grand copain le jour d’avant. La voie de la sagesse se situe certainement entre les deux.

  • On vous aura prévenu: l’alcool alcoolise, le sucre sucre

    On vous aura prévenu: l’alcool alcoolise, le sucre sucre

    De plus en plus de combats politiques se limitent à la prévention. Ces mesures, infantilisantes, n’ont toutefois pas toujours les effets positifs que l’on pourrait espérer. Sauf, évidemment, sur la conscience.

    On rigolait des Américains et de leur «caution hot» inscrit sur les gobelets de café. Il y avait aussi ce camping-car vendu avec un manuel qui vous conseillait de ne pas quitter le volant pendant le trajet. Ces cas absurdes offraient des petites anecdotes amusantes pour les professeurs de droit. Et à force de moqueries, comme trop souvent, on a pris les mêmes mauvais plis. Chez nous aussi, on se sent obligé de prévenir le citoyen de tout et n’importe quoi. La prévention, mot magique et galvaudé, recyclé à toutes les sauces des programmes électoraux un peu creux.

    «Le petit crédit endette»

    C’est peut-être le signe que tout va bien. Ou que les élus manquent d’idées. Les nouveaux grands combats politiques consistent ainsi à accrocher des petits avertissements un peu partout. Pour vous rappeler que manger 5 kilos de chocolat par jour n’est pas judicieux. Qu’il faut bouger pour sa santé. Que le petit crédit endette. Les avertissements les plus pénibles sont en ligne. Avec la psychose collective de la protection des données, on a rendu le web illisible. Oui, j’accepte vos cookies. Collectez mes données sans gêne. Servez-vous. Et tenez-le-vous pour dit une fois pour toutes. S’il vous plaît.

    Et le tour est joué…

    Les preux chevaliers du petit panneau d’avertissement ne sont pas près de s’arrêter. Aujourd’hui, ce sont les écologistes qui aimeraient indiquer sur les publicités des compagnies low cost que l’avion pollue. Arrêtez tout. Ils ont trouvé la solution. «Prendre l’avion est mauvais pour le climat.» Ecrivez-le en gros caractères, comme «Fumer tue». Et le tour est joué. Pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt? Une banalité sur les affiches et le climat sera sauvé. Et si ce n’est pas suffisant, on pourra toujours augmenter la taille du caractère.

    On enfonce des portes ouvertes

    A l’être insensible, ou «insensibilisable», que je suis, ces portes ouvertes enfoncées donnent la désagréable impression d’être pris pour une dinde. Personne n’a besoin d’une administration pour savoir que l’alcool alcoolise, que l’exercice exerce et que le sucre sucre. Cette conception infantilisante du citoyen dénote un certain mépris de l’intelligence humaine. Et permet aussi de soulager la conscience de ceux qui portent ces mesures: quand on brasse beaucoup d’air, reste au moins le sentiment d’avoir agi.

  • La politique, cette grande école de l’échec

    La politique, cette grande école de l’échec

    Ce n’est ni sombre ni pessimiste, mais c’est une fois sur dix seulement qu’une initiative rencontre le succès. Et les projets parlementaires ne sont pas en reste. Il vaut mieux accepter la situation. Cela ne rend les victoires que plus savoureuses.

    La politique suisse, c’est la grande école de l’échec. Etre élu au parlement, c’est prendre l’habitude de voir vos idées fantastiques ne susciter qu’un haussement d’épaules malpoli de vos collègues. C’est se désespérer du nombre de points rouges sur le tableau électronique du Conseil national au moment du vote. Ce sont ces grands moments de solitude, en commission. Quand vous constatez avec dépit que même «les vôtres» se sont laissé enfumer par l’administration. L’administration, toujours là quand il faut casser l’enthousiasme d’un député prolifique.

    Un proverbe des Shadoks disait que «ce n’est qu’en essayant continuellement que l’on finit par réussir… Autrement dit… Plus ça rate et plus on a de chances que ça marche.» J’éprouve une profonde sympathie pour mes collègues des extrêmes politiques qui perdent à répétition. Eux qui, inlassablement, reviennent semaine après semaine avec de nouvelles propositions sans jamais réunir de majorité.

     

     

    Comble de l’injustice, non seulement perdre fait mal, mais on vous le reproche. Il n’y a rien de pire que les mauvais perdants. Un ancien conseiller fédéral de Martigny m’avait donné ce bon tuyau: toujours rédiger à l’avance le discours de la défaite. Le garder dans la poche, au cas où. Perdre est un art. Et comme l’art est difficile, mieux vaut s’y préparer.

    Pour se consoler, on se dit que c’est encore devant le peuple que l’on perd le plus. Nous, députés, échouons en cachette. Les initiatives, elles, se paient des enterrements de première classe. C’est devenu un principe: les initiatives sont refusées. Les succès ne sont que des accidents de parcours.

    Des citoyens réfractaires

    On trouve des citoyens réfractaires. Toujours plus nombreux. Qui recourent contre les votations. Qui espèrent que, non, tout ne s’est pas terminé dimanche. Que la belle utopie continuera devant les tribunaux. Contre les fusions de communes, Moutier dans le Jura, pour les cornes des vaches ou les salles de concert. Ils tendent la joue gauche. Et avec la régularité d’un métronome, les juges leur font connaître l’échec à leur tour.

    Mais ne désespérez pas, acceptez même la défaite. C’est la multiplication des échecs qui donne toute sa saveur aux victoires. Et celles-ci sont le meilleur carburant de notre engagement.

  • Climat: paniquer moins, réfléchir davantage

    Climat: paniquer moins, réfléchir davantage

    Une semaine après les manifestations pour le climat, la population a rejeté sèchement le texte qui demandait de bloquer les zones à bâtir. En matière de climat, le peuple suisse est prêt à prendre des mesures. Mais pas n’importe lesquelles.

    Par dizaines de milliers, à quelques dizaines de milliers près, ce fut, selon les sources, la Klimatwelle. Je n’y étais pas, peu friand de ces démonstrations de force, mais il est difficile d’y rester indifférent. La lutte contre le réchauffement préoccupe, on peut le comprendre.

    La radio le répète tous les matins: il faut s’attendre à un tsunami vert en octobre, lors des élections fédérales. A voir. En refusant de geler toute la zone à bâtir, l’électeur de dimanche a un peu tempéré les ardeurs des plus enragés.

    Agir, oui. Pas n’importe comment. Pas à n’importe quel prix. Et pour commencer, il faut détricoter les vieilles ficelles du populisme écologiste. L’esprit culpabilisateur et catastrophiste. Celui d’une jeune ferrovipathe suédoise qui nous ordonne de paniquer plutôt que de réfléchir.

    La Suisse, pas un cancre

    La Suisse n’est pas un cancre du climat. Depuis 1990, la production industrielle a crû de plus de 60%, la population d’un bon quart, les véhicules de moitié. En même temps, la production de gaz à effet de serre a été réduite de plus de 10%. C’est un succès indéniable.

    Les plus extrémistes exigent maintenant l’impossible. Fermer les usines et les aéroports. Envoyer les voitures à la casse. Bannir autant la viande que les chauffages à mazout. Du jour au lendemain, la Suisse sera propre et retrouvera la qualité de vie du XIXe siècle. Est-ce que le climat s’améliorera? Un peu. A peine. Un Helvète émet en moyenne deux fois moins de CO2 qu’un Allemand. Quatre fois moins qu’un Américain. La fin du carbone en Suisse ralentira le réchauffement climatique de 8 heures 45. Au prix de sacrifices humains énormes, on ne limitera même pas les émissions de carbone d’une demi-journée par année.

    Hors de notre seule portée

    En face, d’autres se contentent de projets symboliques. A coups de trains de nuit, de résolutions non contraignantes et de petits règlements sur les déchets. Bon pour la conscience, quasiment inutile pour l’environnement. Passez-moi l’expression, mais autant pisser dans un violon. Les mesures les plus efficaces sont hors de notre seule portée tant elles dépendent du bon vouloir des plus grands. Ou d’une violence telle qu’elles en deviennent absurdes.

    Nous avons besoin d’une action raisonnable et réaliste. Qui aboutisse à des solutions. Demander au parlement fédéral de régler le problème climatique, c’est un peu comme attendre de lui la paix dans le monde. Il doit y contribuer, mais il ne peut porter seul ce fardeau.

  • Une taxe pour le climat plutôt que pour la conscience

    Une taxe pour le climat plutôt que pour la conscience

    D’après un sondage, la majorité veut une taxe sur les billets d’avion. C’est la solution réclamée par des dizaines de milliers de collégiens. Mais alors assurons-nous qu’elle serve vraiment son but plutôt qu’aux caisses publiques.

    «Si ça bouge, taxez-le. Si ça continue à bouger, régulez-le. Si ça s’arrête de bouger, subventionnez-le.» Elle est de Ronald Reaganet elle n’a pas perdu de son actualité.

    La solution du monde, c’est la taxe. A chaque problème, on en invente une. Sur le tabac, les smartphones, le sucre. Tout est prétexte à taxer. De retour des vacances de Noël, passées à constater les désastres du réchauffement climatique sur les coraux du Pacifique, on se dit qu’il faudrait vraiment faire quelque chose. Une taxe. Vingt ans après avoir arrosé de milliards notre compagnie aérienne, il faut qu’elle repasse par le «start». L’heure est à la taxe sur les billets d’avion.

    En Allemagne, on le fait depuis 2011. Soucieux de la juste répartition des vacances, nos voisins craignaient que les moins fortunés ne puissent plus prendre l’avion. Ils sont rassurés. Depuis l’introduction de la taxe, le nombre des passagers allemands n’a cessé d’augmenter. Et même plus rapidement qu’en Suisse, sans taxe. Les gens paient. Et les gens s’envolent.

    Tout a été fait pour, il faut le dire. On s’est bien gardé de matraquer le court-courrier. Celui qu’un TGV peut facilement remplacer. Plus le trajet est long, plus l’impôt est cher. C’est connu: moins on est disposé à renoncer au voyage, plus on l’est à payer son obole.

    «Il faut agir, concrètement»

    A défaut du climat, l’Allemagne aura au moins amélioré ses finances publiques. Pour le CO2, la taxe sur les billets d’avion, c’est un peu comme la grève pendant les heures de classe: ça ne coûte pas grand-chose et ça apaise la conscience.

    Ne croyez pas que je refuse toute critique. Le rejet de la loi sur le CO2 est regrettable, insuffisant. Il faut agir, concrètement. Trouver le bon compromis pour avancer. Et si chacun doit mettre de l’eau dans son vin, je veux bien être le premier. D’accord pour la taxe sur les billets d’avion. A une condition.

    Une taxe de plus, une taxe de moins. On veut encourager les citoyens à préférer les destinations plus locales? A voyager en train, à vélo, à cheval, plutôt qu’en avion? Alors pour chaque franc prélevé sur les billets d’avion, on réduit d’autant la TVA sur l’hôtellerie et la restauration, en Suisse. Histoire que l’effort, plutôt que de calmer les consciences et combler les caisses publiques, encourage à préférer les Alpes aux Caraïbes.

     

  • «Gilets jaunes»: sans consensus, pas de démocratie directe

    «Gilets jaunes»: sans consensus, pas de démocratie directe

    En France, les protestataires réclament la démocratie directe «à la suisse», pour imposer un programme politique encore inexistant. L’outil ne fait cependant pas tout: sans compromis et acceptation de la défaite, il ne peut y avoir de démocratie directe durable.

    Passé la trêve des confiseurs, les «gilets jaunes» se sont remis en marche. Hétéroclite, le mouvement propose la confusion pour politique. Casser des vitrines et bouter le feu aux poubelles ne font pas encore un programme.

    Comme plus petit dénominateur commun, ils ont choisi un bout du modèle suisse. C’est si rare qu’il faut le relever. Ils ont pris conscience que leur petit voisin avait pour une fois quelque chose d’intéressant à piquer, nos «amis français». De quoi leur retourner ces sempiternels «amis suisses», qu’ils prononcent sur un ton un chouïa paternaliste. Ça fait sourire.

    Bref, ce sont nos droits populaires qui les intéressent. Incapables de convenir de revendications, ils réclament l’outil pour les réaliser.

    Et le mode d’emploi?

    Pour garantir le sérieux de la chose, il fallait évidemment un nom à rallonge. Un peu comme le «tri» des déchets est devenu le «tri sélectif». Allez savoir ce que le sélectif ajoute au recyclage. Dans la même veine, l’initiative s’y appelle le «référendum d’initiative citoyenne», le RIC. Un joyeux mélange de tous nos droits populaires.

    L’inspiration s’arrête malheureusement là. Quelqu’un doit leur envoyer le mode d’emploi. Dire à la majorité présidentielle opposée que nous ne votons pas que sur les minarets et les cornes des vaches. Que nos débats ne sont pas moins sérieux que les leurs.

    Notre cocorico à nous

    Et contrairement aux croyances des «gilets jaunes», les droits populaires ne conduisent pas non plus à la révolution permanente. C’est même plutôt l’inverse: le gouvernement sort vainqueur de la quasi-totalité des scrutins populaires. Expliquer aussi que les initiatives ne peuvent contredire les lois de la physique. Même à coups de référendums, on n’arrive pas à décupler les prestations sociales en réduisant les impôts. On ne parvient même pas à construire un pont sur la rade de Genève, c’est dire…

    Notre fierté, notre cocorico, c’est que les droits populaires ne vont pas sans un petit sens civique. Avec beaucoup de pouvoir viennent de grandes responsabilités. Celles qui nous font refuser, en français de France, les RTT, le SMIC, la Sécu et les 35 heures. On l’appelle aussi l’esprit de consensus, probablement encore peu intégré par ceux qui mettent la France à sac. Cela malgré la détresse compréhensible d’une partie de la population, victime du désastre des politiques publiques défaillantes.

  • A Berne, le grand cirque climatique

    A Berne, le grand cirque climatique

    Une curieuse entente entre l’UDC et la gauche a fait capoter la révision de la loi sur le CO2. Sans être jusqu’au-boutiste, les compromis trouvés permettaient des progrès significatifs pour que la Suisse continue à respecter ses engagements. Pas assez pour la majorité, qui a préféré tout jeter à la poubelle.

    Des centaines de courriels, de SMS, de coups de fil. Des lettres de lecteurs, des manifestations, des injures. Ils ont mis le paquet pour nous faire prendre conscience de l’urgence climatique. Pour respecter l’Accord de Paris. Taxer tout ce qui bouge. Et ce qui bouge encore après ça, on peut toujours l’interdire.

    Pour nous convaincre, des militants sont allés frapper à la porte de mes collègues. Les citadins cela va de soi. Ils ne sont pas venus à Morgins, chez moi. Avec les transports publics, du siège du WWF, à Gland (VD), à ma porte, c’est deux heures et demie bien tapées. Pas terrible pour montrer comment se passer de moteur.

    La Suisse à petits pas

    Conscient de sa responsabilité envers la Création, comme le dit la Constitution, le parlement a fait ce qu’il sait faire de mieux. Légiférer. Un travail de compromis constructif. Une hausse du prix de l’essence et du CO2, la prolongation du programme d’isolation des bâtiments et une augmentation massive des compensations à la charge des importateurs de carburant. Des objectifs climatiques réalistes. C’est ainsi que va la Suisse, depuis des siècles. Par petits pas. Et ça fonctionne. En 2016, la Suisse faisait deux fois mieux que la moyenne de l’OCDE en termes d’émissions et dépassait les Objectifs de Kyoto, en réduisant déjà de 5% son niveau de production de CO2 de 1990.

    Il faut que ça saigne

    C’est vrai, le parlement ne s’est pas plié à toutes les exigences des écologistes. On a refusé la taxe sur les billets d’avion, ce gadget unilatéral dont l’inutilité est vécue ailleurs. On n’a pas non plus interdit de prendre des mesures à l’étranger: cela n’avait aucun sens pour le climat. Mais le réchauffement, ça ne suffit pas de le subir. Il faut aussi souffrir de ses remèdes. Il faut que ça saigne. Sinon, l’exercice de rédemption est inachevé.

    Ainsi, quand il a fallu voter sur l’ensemble, les enragés de l’écologie ont pratiqué la politique de la terre brûlée. Du pire. Un «rien» vaut mieux qu’un «tiens». Ils ont rejeté le texte, purement et simplement. Alliés du coup avec l’UDC qui, elle, ne voulait rien et avait au moins le mérite de l’assumer. Le cirque climatique peut continuer. Et ceux qui engrangent des voix sur son dos s’assurent ainsi de pérenniser la recette.

  • Impôt fédéral direct et TVA: le grand «reset» du 4 mars

    Impôt fédéral direct et TVA: le grand «reset» du 4 mars

    Dans sept semaines, le peuple aura l’occasion de supprimer l’impôt fédéral direct et la TVA, liquidant d’un coup l’essentiel de la Confédération elle-même. Une cure d’austérité massive contre laquelle aucun plan B n’est prévu, pour changer.

    Accrochez-vous, 2018 sera sport. Les 349 prochains jours seront placés sous le signe du reset: UE, «No Billag», prévoyance vieillesse. Et surtout, le «régime financier 2021». Cette votation du 4 mars sera l’occasion d’appliquer le pire régime minceur à la Confédération. Il suffirait de refuser l’objet dont presque personne ne parle pour que, d’un coup, l’impôt fédéral direct et la TVA disparaissent. Si l’on joue les Neinsager le 4 mars, on tire vraiment la prise. Rien à voir avec cette bagatelle de «No Billag». D’un coup, on liquide les deux tiers des revenus de la Confédération.

    Tout cela vient d’un esprit superstitieux qui nous habite. Plutôt que de décider une fois pour toutes que les citoyens paient des taxes, les Helvètes préfèrent reconduire régulièrement l’impôt. La dernière fois que les contribuables se sont infligé pareille saignée fiscale, c’était en novembre 2004. Remarquez que 26% de la population avait quand même dit non, dont la majorité du canton de Zoug. Quels romantiques, ces Zougois…

    On tire la prise…

    Bref. Si l’on joue les Neinsager le 4 mars, on tire vraiment la prise. Rien à voir avec cette bagatelle de «No Billag». D’un coup, on liquide les deux tiers des revenus de la Confédération. On rend aux citoyens 50 milliards chaque année. On résout le problème de la RIE III. Sur le ring de la concurrence fiscale, Trump est KO.

    Il y a évidemment quelques inconvénients, une certaine idée de la cure d’austérité pour la Confédération. Exit les dépenses pour l’agriculture et la formation. L’Office de l’environnement, les transports publics et l’aide au développement, c’est fini. On pourrait juste se payer une «minarchie»: un Etat qui assure le minimum syndical. Trois pouvoirs, une petite armée et quelques services de base. Les routes, les douanes et la régie fédérale des alcools resteraient autofinancées, on est sauvés.

    Les «CF» et les «EP»

    Comme toujours, il n’y a pas de plan B. Il faut dire qu’un refus serait un chouïa extrême, à tel point que le parlement a adopté l’objet à l’unanimité. Pourtant, débarrassés de la capacité de nuisance de l’administration fédérale, les 26 cantons prendraient le pouvoir, leur destin bien en main. On supprimerait le «F» des CFF et des EPF, et on recommencerait de zéro. Le vrai reset.

    C’est ainsi que la Suisse connaît son petit frisson, tous les quinze ans, ses rêves d’un Grand Soir confédéral, le retour à 1847. Et si l’on ne se jette pas dans le vide en mars, rien n’est perdu: on remet le couvert en 2035. D’ici là, bonne année.

  • A l’Office fédéral des transports, l’obsession de tout contrôler

    A l’Office fédéral des transports, l’obsession de tout contrôler

    La Suisse est le pays qui peine le plus à accoucher d’un début de libéralisation de ses transports. En matière d’autocars, après des mois à attendre un rapport, voici qu’arrive une petite ouverture bureaucratique du marché.

    Après avoir menacé pendant des mois de publier un rapport, le Conseil fédéral a enfin tranché à propos des autocars à longue distance. Dans sa grande mansuétude, le gouvernement nous permettra de voyager en car, mais sous conditions. Plutôt que permettre purement et simplement l’autobus, il a été décidé de le soumettre à l’usine à gaz de la concession de transport.

    Concrètement, les compagnies ne pourront travailler que moyennant autorisation et surveillance de l’Office fédéral des transports (OFT). Il faudra aussi ne pas trop concurrencer le train. Il serait en effet assez cocasse (pour ne pas dire humiliant) qu’un entrepreneur privé parvienne à ébranler les CFF et les milliards de francs déversés pour asseoir leur monopole. Les autocars devront encore accepter les abonnements des CFF, même si l’on ne comprend pas trop l’intérêt d’acheter l’AG pour prendre les bus low cost. A lire ces exigences, on peut s’estimer heureux que ne soient pas imposés un service de minibar et l’uniforme des conducteurs.

    L’incohérence du système est déroutante. Les véhicules privés, eux, ne sont pas organisés par l’Etat. Chacun est libre de prendre sa voiture à l’heure qui l’arrange, avec ou sans passagers, pour aller où bon lui semble. Je pourrais bien m’offrir un immense autocar panoramique de deux étages pour me balader: tant que je ne partage pas mes trajets, c’est bon.

    Dans ce dossier, l’obsession de l’administration à vouloir tout contrôler se révèle pathologique. Alors que la Confédération ne prend aucun risque à laisser certains citoyens s’organiser librement, le gouvernement s’est mis en tête qu’il ne pouvait y avoir de transport efficace sans planification fédérale.

    Surveiller, autoriser, décider…

    Craint-on que des entrepreneurs se mettent à offrir un service de transport rentable à une clientèle qui ne demande rien d’autre? Du point de vue de l’OFT, l’horreur absolue serait sans doute atteinte si des passagers peu scrupuleux choisissaient de voyager assis dans des cars plutôt que debout entre deux wagons saturés. Ce jour-là, ce sont les cars qui seront remis en question, pas les trains bondés.

    Surveiller, autoriser, décider: l’autorité fédérale trouve dans ces termes sa raison d’exister. Mais elle se trompe. Le but d’une collectivité est de servir ses citoyens. Ici, elle n’apporte rien d’autre qu’un dirigisme dépassé.