Catégorie : Le Temps

  • La laborieuse créativité du selfie gouvernemental

    La laborieuse créativité du selfie gouvernemental

    C’est le dernier moment pour les vœux. Et pour revenir sur ceux du Conseil fédéral, qui passent nécessairement par cette laborieuse recherche d’originalité: la sempiternelle photo officielle, arrachée probablement à contrecœur pour beaucoup des modèles.

    C’est une jeune tradition que celle de la photo officielle du Conseil fédéral. Le premier selfie gouvernemental remonte à 1993 (ci-dessous). Et depuis, on nous gratifie d’un portrait annuel qui m’offre l’occasion d’une chronique plus légère que la glose juridico-climatique des derniers jours.

    Au début, les Sages sont restés sages. Sobres. A voir les images jaunies disponibles sur Admin.ch, on imagine bien le scénario de la photo. A l’issue de l’apéro de Noël, on alignait les sept ministres, le chancelier pour ne pas le laisser seul dans un coin, le président au milieu et on les photographiait. A chaque tremblement de terre, on remplaçait un ancien par un nouveau. Et c’était tout. Et ça allait très bien. C’était la photo officielle.

    Le bug est apparu en 2000 (ci-dessous). Pour ajouter un peu de rigole, on a mis un thème. Un peu de créativité dans le monde gris de la Berne fédérale. On a planté des décors. Des montagnes pour commencer. Et puis ça a dérapé, avec une espèce de délire artistique parfois incompréhensible. Un Palais fédéral pixélisé. Du noir-blanc à l’excès. Un pastiche de pub nulle pour les meubles USM. Des farandoles de croix suisses. Des conseillers fédéraux en marche, debout, assis, assis-debout. A l’usine, au petit-déjeuner, déguisés en Queen dans Bohemian Rhapsody, sur un fond de dessin animé ou dans un entrepôt. Les portraits soumis aux critiques d’art et à l’avis des politologues. Bientôt aux psychologues.

    J’ai de la compassion pour le stagiaire ou le collaborateur personnel du futur président de la Confédération qui se tape la corvée d’inventer le thème de la photo suivante. J’imagine le bizutage ou la punition. Le pauvre Hansruedi, peu habitué à ces bagatelles, forcé de trouver le truc laborieusement original pour donner une image cool au gouvernement.

     

    On a même désormais droit aux options auxquelles on a échappé. Cette année, ils ont hésité à nous faire un remake d’Abbey Road. Déguisés en Beatles, huit Ueli Lennon et Simonetta McCartney traversant les passages piétons de Berne. On s’en tire bien, finalement.

    Le résultat est parfois bon, c’est rare, mais il y en a eu. Comme celle des élus perdus dans la foule en 2008 (ci-dessus): plus une œuvre d’art statistique qu’une photo officielle. Mais en général, malheureusement, c’est raté. Et la photo vieillira mal. On s’amuse aujourd’hui de l’allure des élus de 1848 (ci-dessous), on pouffera des fantaisies de ceux de 2020.

  • Procès Credit Suisse: à vaincre sans péril…

    Procès Credit Suisse: à vaincre sans péril…

    Treize avocats ont défendu gratuitement les 12 grévistes du climat qui se sont déguisés en tennismen, qui n’ont pas manqué de paroles fortes pour qualifier leur engagement. Et obtenu un acquittement surprenant.

    Vous n’avez pas manqué le procès des héros du climat, pour une banale affaire de violation de domicile. Les grévistes ont tenu un interclubs entre des bancomats et des guichets du Credit Suisse. La gravité des faits est toute relative, comme l’a relevé le tribunal. Et pourtant, ils font durer le spectacle depuis plus d’une année.

    Dans le fond, le pire des dénouements pour la cause est peut-être cet acquittement. Qu’on admette que leur promenade dans le hall de la banque était une rigolote réunion de jeunes déguisés, pas bien méchante, pas bien grave.

    Le souvenir de Rosa Parks

    Ce n’est pas innocent si, pour cette broutille, 13 ténors du barreau se sont passé le mot pour faire des militants grimés en Björn Borg des Martin Luther King de la cause environnementale. Curieuse stratégie pour minimiser la gravité des actes. Ils en ont fait beaucoup, même trop. Pour que l’acte paraisse historique. On y a même évoqué Rosa Parks, la «mère» du mouvement des droits civiques américains dans les années 1950.

    Quand Rosa Parks a refusé de se lever du siège du bus réservé aux Blancs, elle n’était pas déguisée. Elle a défendu son droit fondamental à être traitée comme un être humain. On peut difficilement mettre sur un même pied l’attitude des 12 tennismen et celui, autrement plus courageux, d’une femme qui, seule, sans l’appui d’une foule de manifestants massée derrière les vitres de l’autocar, sans le soutien d’une ribambelle d’avocats et de la complaisance médiatique ambiante, est restée assise à la place d’un homme blanc. Là où l’on battait les Noirs pour moins que cela. Parfois à mort. La comparaison est outrancière.

    Des lanceurs d’alerte?

    On les a aussi présentés comme des lanceurs d’alerte. Ces gens qui risquent leur carrière, leur famille, leur vie, parfois, pour révéler un secret que personne ne devait savoir. Ici, ils ont proclamé publiquement des faits notoires. Sans rien risquer de sérieux.

    A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Ce n’est qu’au prix d’une condamnation que ces héros à la petite semaine seraient sortis gagnants. Qu’ils auraient acquis les titres de noblesse de ceux qui se sont sacrifiés pour leur cause, à moindres frais.

    Comme au tennis, les accusés avaient un partenaire: le Credit Suisse. Si j’avais coaché la banque, je lui aurais conseillé de déclarer forfait. De retirer la plainte. Et de proclamer avec un petit sourire en coin, après l’ordonnance pénale rendue antérieurement, qu’il faut que jeunesse se passe.

  • Laissez-moi passer, je suis docteur

    Laissez-moi passer, je suis docteur

    Cette semaine, deux Confédérés ont été nobélisés. Du coup, on se sent tous un peu plus malins, on a l’impression d’avoir soi-même découvert des exoplanètes. Mais l’inverse est aussi vrai, quand les spécialistes d’un domaine particulier deviennent des experts de tous les autres.

    Il existerait une «maladie du Nobel» qui se manifeste par l’incapacité des lauréats affectés à poursuivre une carrière scientifique aussi brillante qu’auparavant. En résumé, l’aura de la distinction suédoise est si grande que ses bénéficiaires ne se sentent littéralement plus aller et se mettent à pérorer sur n’importe quel sujet, bien au-delà de leur domaine de compétences.

    Une ânerie rapportée par un Prix Nobel sera toujours plus crédible qu’une évidence proférée par un imbécile. D’ailleurs, ne suffit-il pas d’inscrire «Albert Einstein» en dessous de n’importe quelle plate banalité pour qu’elle en devienne une vérité humaniste indiscutable?

    Biais d’autorité type, chaque semaine, on peut lire les «appels des scientifiques» à faire toutes sortes de choses. Il y a eu l’appel des chercheurs à la grève climatique . Ou ces plus de 15 000 scientifiques qui nous ont alarmés sur l’état de la planète. A priori, si la science le dit, c’est que c’est vrai. On est tenté de s’arrêter au titre et au chiffre, sans lire la suite. Et justement, ce sont les titres qui m’intéressent. Qui sont ces scientifiques?

    Vraiment mieux qu’un mécano?

    On y trouve pêle-mêle des juristes, des médecins, des éthiciens, des sociologues, des théologiens ou des politologues. Des statuts respectables, mais dont l’autorité en matière de réchauffement climatique ne dépasse pas celle d’un ramoneur ou d’un mécanicien sur chasse-neige. Reconnaissez toutefois que «l’appel de 15 000 mécanos contre le réchauffement climatique», ça le fait moins, à tort. D’ailleurs, fort de mon doctorat en droit, ma légitimité à revendiquer des opinions scientifiques pourrait aussi m’être reconnue. Laissez-moi passer, je suis docteur.

    La semaine dernière, ce monde universitaire qui hurle légitimement lorsque le politique se mêle de ses recherches signait un prétentieux appel à destituer un ministre qui ne leur plaisait pas. Trop à droite, trop libéral, pas assez altermondialiste. Et la presse en a fait largement l’écho. Mais en démocratie, la seule autorité qui vaille est celle de la majorité. Et c’est par 145 voix contre 82 qu’elle a rappelé ce bon vieux principe: one man, one vote.

  • Black Friday: et dire qu’il suffirait que les gens n’achètent plus

    Black Friday: et dire qu’il suffirait que les gens n’achètent plus

    Le «vendredi noir» est moins un jour de soldes qu’un programme politique un peu moralisateur. Et, dans le fond, le succès de l’opération ne dépend que de l’adhésion des magasins et de leurs clients. Comme toujours.

    Vendredi, c’était Black Friday. A moins que vous ne viviez dans une grotte enchaîné à Espace 2, je ne vous apprends certainement rien. Bref, vendredi, je n’ai rien acheté. Pas plus par conviction que par hasard, pour ne rien vous cacher. Franchement, personne n’avait rien demandé. Il y a eu des manifestations pour le climat, l’égalité salariale ou contre les violences faites aux femmes, mais je n’ai pas de souvenir de grands rassemblements de hordes de consommateurs qui réclamaient un jour de «sale» à prix cassés.

    Ce vendredi noir s’est imposé à nous comme n’importe quel autre artifice commercial. Il n’est ni moral, ni immoral. Ne m’est ni sympathique, ni antipathique. Des commerçants ont décidé souverainement de brader leurs marchandises un jour par année. Ou de faire semblant. Grand bien leur fasse, tant mieux pour les clients qui font des affaires, tant pis pour les autres.

    Depuis que quelques enseignes de chez nous ont repris cette pratique aux origines incompréhensibles pour l’Européen moyen que je suis, ordres et contre-ordres se succèdent. On se croirait à l’armée. En deux semaines, on m’a invité à grands coups de pubs noires à acheter tout et n’importe quoi. Sans convaincre.

    Merci du tuyau…

    Et je me suis fait successivement engueuler par la moitié de mes amis sur Facebook, par quatre chroniques de journalistes engagés, par les manifestants du climat, par les directeurs d’une chaîne de librairies et celui de magasins de chaussures. Tous répétant l’horreur de ce monde d’ultra-consommation et de marchandises, ceux-là mêmes qui d’ordinaire en vendent volontiers. Avec des slogans géniaux sur le fait que l’on ne dépenserait rien si l’on n’achetait rien. Merci du tuyau.

    Comme politicien, j’en viens à me sentir coupable. Le sentiment de ne pas en faire assez. Face à ces vendeurs qui nous prient à genoux de leur interdire de vendre à bon marché. Et à ces acheteurs qui, dans un grand élan de générosité, nous supplient de promulguer une loi pour les empêcher d’acheter à bon compte.

    «Quand on pense qu’il suffirait que les gens n’achètent plus pour que ça ne se vende pas.» C’est Coluche qui avait eu ce bon mot. Et c’est certainement la réponse la plus sérieuse à toute cette frénésie.

  • Le socialisme mikado, lui, moins il bouge, plus il perd

    Le socialisme mikado, lui, moins il bouge, plus il perd

    Après douze années à la tête du PSS, force est de constater que Christian Levrat n’a pas encore assimilé la fusion des libéraux et des radicaux. Mais les Roses, eux non plus, n’ont pas enregistré un certain nombre d’évolutions de notre société.

    Douze années à la tête d’un parti politique, même en Suisse, c’est une éternité. Christian Levrat est un peu notre Jean Paul II. Il aura vu défiler 16 conseillers fédéraux et une cohorte de chefs de partis. Comme président, il a connu les crises UBS, des subprimes, du secret bancaire. Les fiascos à répétition d’initiatives pas assez suisses et de campagnes mal menées. Le succès aussi de référendums lancés au bon moment et avec les bons arguments. Il aura incontestablement été une figure incontournable et influente de la politique suisse.

    Curieusement, la pilule la plus amère reste peut-être la fusion des anciens Partis radical et libéral, intervenue en 2009, à peine une année après son accession au trône. La semaine passée, il parlait toujours du Parti radical, incapable de prononcer PLR. Un peu comme ceux qui disent encore «Tchécoslovaquie».

    Les plus courtes sont les meilleures

    Dix ans que je me demande pourquoi Christian Levrat bute sur le mot composé «libéral-radical». Longtemps, j’ai pensé que c’était une boutade. Mais les plus courtes sont les meilleures. Et même à passer ses journées avec des Alémaniques à l’humour potache, on a déjà dû lui dire que la blague était entendue. Et qu’elle était nulle.

    Ou peut-être qu’il refuse aux libéraux et aux radicaux le droit de s’unir. Un comble venant du président d’un parti qui se pose en champion de la liberté de choisir sa propre identité et du mariage pour tous. Ce qui inclut le choix de son propre nom, droit que l’on ne saurait décemment nier aux autres, même à ses adversaires politiques préférés.

    Le refus du changement

    L’explication la plus probable, la plus méchante, reste ce refus très «socialiste suisse» d’un monde qui change. Ce courant qui n’a pas évolué depuis la chute du Mur. Qui s’arc-boute sur le tout-à-l’Etat en prônant encore le renversement du capitalisme. Cette idéologie qui croit qu’une loi peut endiguer la révolution numérique et qu’il faut sauver les cabines téléphoniques. Ce socialisme-là ne peut certainement pas accepter, même après dix ans, que deux partis aient choisi d’unir leurs destins. Malheureusement pour les tenants de cette ligne, l’histoire a montré qu’en politique, contrairement au mikado, c’est celui qui ne bouge pas qui perd.

  • Fathi, cette fois, c’est fini

    Fathi, cette fois, c’est fini

    Une nouvelle législature s’ouvre, notre chroniqueur se réjouit de rencontrer de nouveaux collègues, mais tient à faire ses adieux à son prédécesseur dans les colonnes du «Temps», Fathi Derder.

    Voilà, c’est fini. La 50e législature commence vraiment à sentir le sapin. Celle des élus de 2015. Théoriquement, nous sommes encore en place. S’il fallait réunir d’urgence l’Assemblée fédérale pour choisir un général en chef, ce serait encore nous. Jusqu’au 2 décembre. Mais en pratique, on s’est déjà dit au revoir le 27 septembre. Le dernier jour de la dernière session. Cette journée avait un air de fin des classes, avant la maturité. On se dit «à bientôt», décontractés, en tremblant secrètement pour le résultat final.

    Depuis dimanche, on connaît le nom de ceux qui ont réussi l’examen. Il y a ceux qui espéraient, mais qui resteront à la maison. Et il y a ceux qui ont renoncé. Parmi eux, mon prédécesseur, dans l’exercice de cette chronique. Une sacrée plume. Mais Fathi, c’est fini. Et je rends hommage à ce parlementaire pas vraiment comme les autres. Celui qui y était sans vraiment y être. Il a d’ailleurs écrit un bouquin pour nous dégonfler tous, nos petites manies et nos petits défauts.

    Une saucisse aux choux en prime

    Le genre d’élu qu’on ne voyait pas souvent là où il fallait, comme aux séances de groupe. Pas trop non plus aux fêtes folkloriques, ni aux autres mondanités cantonales incontournables pour tout candidat aux élections fédérales. Pas étonnant d’ailleurs qu’il ait senti le vent du boulet en 2015 déjà. Je me souviens d’ailleurs de cette soirée du 24 janvier dans une commune de son district où sa chaise, en face de moi, est restée désespérément vide toute la soirée. J’ai mangé deux saucisses aux choux pour la peine. Pas fait le déplacement pour rien.

    Fathi Derder, l’élu qui siégeait juste derrière moi, était un atypique. On l’est tous un peu, mais lui un peu plus que les autres. Et c’est aussi ce qui faisait son charme. Il était du genre à pouvoir changer d’opinion. Pas sur un détail, mais sur le fond d’un dossier. A savoir: se laisser convaincre. La marque d’une intelligence qui manque parfois.

    Et puis il y a ces dossiers qu’il a portés, en faveur de l’innovation et des start-up. Des choses importantes, qui n’excitent pas toujours les foules, mais essentielles pour la Suisse de demain. Une chose est certaine, il en aurait fallu un peu plus, de ces Fathi. J’espère qu’on n’a pas cassé le moule. Pour les autres, je ne sais pas, mais en ce qui me concerne, tu vas me manquer.

  • Greta Thunberg, le message et la messagère

    Greta Thunberg, le message et la messagère

    Voici la chronique que je m’étais promis de ne pas écrire avant les élections. Peut-être même de ne jamais écrire.

    C’était en 1999. J’étais aussi adolescent, aussi à New York. Je l’avoue, j’avais pris un avion de ligne. Ce catamaran du pauvre. J’y étais pour un projet informatique, dans une de ces start-up qui ont disparu dans le tsunami qui a emporté la moitié du Nasdaq en 2001. De retour, j’ai aussi eu droit à certaines faveurs de la presse. Du genre de l’enfant prodige. Ça a dû en agacer plus d’un. J’arborais déjà cette tête à claques à laquelle on griffonne des moustaches au bord des routes. Et c’est aussi pour cela que je m’émeus des attaques qu’elle subit. Que j’ai de la sympathie pour Greta Thunberg. Pour la personne. Pour la jeune femme de 16 ans qui croit à ce qu’elle fait.

    Son message, par contre, c’est une autre histoire. Et en particulier son discours à l’ONU et le nombrilisme de son «How dare you?» qui frise l’indécence.

    Les dirigeants du monde ne se sont pas réunis pour parler de croissance infinie. Ils se rencontrent pour parler réchauffement climatique. Et y trouver des solutions.

    Cent mille personnes manifestent parce que rien ne se passe. Et l’on insulte quand quelque chose arrive. Que veulent les grévistes du climat? Une thérapie collective new age ou des réponses sérieuses?

    Il y a encore eu cette plainte. Contre les pays qui n’en feraient pas assez. Pas contre la Chine. Pas contre l’Amérique. Non. Ces pays se partagent presque la moitié des émissions de gaz à effet de serre. Non, on porte plainte contre l’Allemagne. Ce pays qui débloquait la veille 100 milliards d’euros pour le climat. Le message est clair: ne faites rien, ça vaut mieux.

    Et puis, il y a cette phrase qui choque. «Vous avez volé mes rêves d’enfant.» Lancée à une assemblée qui compte, entre autres, le président indien. Un pays où plus de 170 millions de personnes vivent avec moins de 1,70 dollar par jour. Où des millions d’enfants, bien plus jeunes que Greta Thunberg, travaillent quotidiennement pour nourrir leur famille, dans des conditions qui n’ont rien de suédois.

    On peut agir pour le climat sans injurier les millions de personnes qui s’engagent au quotidien, partout, à tous les échelons, pour essayer de rendre le monde un peu meilleur. Et cela n’est pas s’en prendre à une jeune femme que de le dire.

  • La carte d’identité numérique, ce truc inutile

    La carte d’identité numérique, ce truc inutile

    Elle est arrivée certainement vingt ans trop tard. Notre chroniqueur prend le pari que le succès confidentiel de ce gadget montrera une fois de plus que le temps politique n’a rien à voir avec celui du monde réel, ou plutôt virtuel en l’espèce.

    Toujours en avance de deux guerres, les Chambres fédérales mettent sous toit une loi sur les identifiants numériques. Roulements de tambour, la carte d’identité électronique va débarquer. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la bataille est sensationnelle.

    Côté place Fédérale, les Etats estiment que l’identité est une tâche régalienne et ne saurait être déléguée à des privés. Côté Aar, le National est tenté de confier la réalisation de nos papiers à des entreprises commerciales. Peut-être à cause de la proximité des élections fédérales. On pourrait croire que le destin du monde se joue sous nos yeux. Comme si notre propre identité était en jeu. Et de part et d’autre, on n’hésite pas à brandir la menace nucléaire du référendum.

    D’autres supercheries en vue

    Cette loi ne sert à rien. Nous n’avons pas besoin de carte d’identité numérique. Dans dix ans, la poignée de sociétés qui auront reçu l’autorisation de délivrer des «e-Id» sera en sursis concordataire ou reconvertie dans une autre supercherie électronique. On parie?

    Selon le Conseil fédéral, la carte d’identité électronique doit permettre aux prestataires de «donner confiance dans l’identité et l’authenticité de l’interlocuteur». Elle contribuera à «l’expansion des transactions en ligne, même au-delà des frontières nationales». Non, vous ne rêvez pas. A Berne, nous ouvrons la voie pour des transactions électroniques sans limites. Dans un futur pas si lointain, grâce à nous, vous pourrez réserver un billet d’avion sur internet. Y faire vos courses. Choisir un hôtel, à l’étranger aussi. Peut-être même – qui sait? – gérer votre compte bancaire sans passer au guichet. On n’arrête pas le progrès.

    Même à Troistorrents…

    Au grand désespoir du monde politique, personne n’a attendu les élus fédéraux pour développer ces services. Depuis des années, la carte de crédit nous identifie. Les Britanniques survivent même sans carte d’identité du tout. Et même ma petite commune de Troistorrents (VS), sans avoir la prétention d’être la plus connectée du pays, offre déjà un comptoir virtuel qui répond à tous les besoins des citoyens. Et pour ce qui ne serait pas prévu, ils répondent au téléphone et aux e-mails. Un peu comme tout le monde.

    Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires, disait Montesquieu. Je suis pourtant atterré de voir comment on peut facilement confondre les unes et les autres.

  • L’heure de gloire des lobbyistes

    L’heure de gloire des lobbyistes

    Avec l’arrivée des élections fédérales, les groupes d’intérêt de toutes sortes publient les classements des bons et des mauvais élus. De ceux qu’il faut cumuler, de ceux qu’il faut tracer. Forcément subjectifs, ces «rankings» sont leur revanche.

    Lobbyiste. Peut-être le pire métier du monde. Attendre devant la porte. Quémander une rencontre avec un élu qui n’y comprend rien. Et qui vous perçoit comme le porte-serviettes de la dernière des corporations. Subir les petites humiliations quotidiennes. Poireauter des heures à l’entrée du Palais. Pour se voir rembarré au dernier moment. Et finir dépeint comme la corruption personnifiée.

    Quel masochisme!

    Les plus téméraires tentent systématiquement d’approcher les élus du parti le plus éloigné de l’objet défendu. Un PLR pour saborder un accord de libre-échange. Un UDC pour interdire les armes à sous-munition. Un socialiste pour réduire l’impôt sur la fortune. Quelle abnégation. Quel masochisme. S’il y a un job que je fuirais, c’est bien celui-là. Je le classe dans la même catégorie que télémarketeur. Ces gens qui vous appellent n’importe quand pour vous vendre n’importe quoi. Et dont vous n’avez pas envie, par principe.

    On peut comprendre que tous ces lobbyistes prennent leur revanche avec les élections. Ils tiennent enfin l’occasion de cogner sur ceux qui ont commis l’outrage de ne pas partager leurs préoccupations. Ou celles de leur client. Ou de leur employeur. De lobbyistes, les divers et variés groupes d’intérêt deviennent ainsi dénonciateurs publics. Et pondent des rankings de toutes sortes. Espérant faire pleuvoir les coups de crayon fatals sur la tête des candidats hermétiques à leurs causes.

    Sus aux affreux jojos

    Par exemple, les organisations écologistes publient un écorating. Ou coco-rating. On y épingle les affreux jojos dont le pain quotidien s’est résumé pendant quatre ans à détruire notre environnement. Forcément, c’est un peu biaisé. On s’inquiète surtout que vous partagiez la conscience écologiste des organisations qui téléguident le classement. Pour peu que vous acceptiez toutes les nouvelles interdictions, les nouvelles lois, les nouvelles taxes, vous êtes dans le camp du bien. Avec une invitation à peine voilée à biffer les mal classés.

    L’heure du jugement est ainsi venue. Les consommateurs, les arts et métiers, les tireurs, les paysans, et même ceux qui veulent l’interdiction de la 5G s’y sont mis. La liste des candidats à biffer s’allonge, se recoupe, se contredit. Et c’est dans ces moments que, pour la seule fois de la législature, je voudrais pratiquer le pire métier du monde. Juste une fois. Juste le temps d’une élection.

  • Don Quichotte contre Netflix

    Don Quichotte contre Netflix

    Taxer les géants du Net, c’est tendance. A défaut d’innover dans la technologie, les administrations nationales deviennent un vivier à idées fiscales, qui ont toutefois montré leurs limites et s’avèrent finalement assez peu convaincantes du point de vue de l’intérêt public.

    C’est en grande pompe et en juillet que le ministre de l’Economie a obtenu sa taxe sur les GAFA pour la France. Ce pays merveilleux où, comme chacun le sait, les finances publiques brillent par leur rachitisme. Le fond de l’affaire était entendu. Quand une société américaine gagne de l’argent, Bercy tousse. Quand elle ne lui verse pas d’impôts, Bercy s’étouffe. Mais Bercy sera sauvé, grâce à la taxe GAFA. Un nouvel impôt de 3% frappera le chiffre d’affaires de ces horribles sociétés dont le grand défaut est d’avoir réussi là où le Minitel et le Bi-Bop ont échoué: inventer un monde connecté.

    O rage! ô désespoir! Les grands docteurs ès impôts n’ont pas su anticiper la réplique. A la surprise générale, Amazon reportera les 3% sur ses «partenaires», soit des petits commerçants bien français qui profitent de la plateforme américaine pour y gagner leur vie. Et qui supporteront désormais une nouvelle charge dont ils se seraient bien passés. Le géant américain échappera, quant à lui, à ces velléités toutes populistes qui consistent à faire croire que lorsqu’une entreprise est imposée, la facture n’est pas payée par le client ou le salarié.

    «Quand on taxe le lait, ce n’est pas la vache qui paie l’impôt»

    Ne rions pas trop du malheur de nos voisins. En Suisse, c’est l’Office fédéral de la culture qui s’est lancé dans la taxation aventureuse des méchants du numérique. Ils veulent ainsi prendre à Netflix et à ses concurrents 4% de leurs revenus. Pour le cinéma indigène. Quand la cause est noble, tous les moyens sont bons.

    Pour n’avoir pas su inventer une plateforme à succès, pour n’avoir pas trouvé de réponse intelligente au piratage, l’OFC va punir les esprits inventifs qui l’ont réalisée sans s’encombrer des conseils avisés des fonctionnaires de la culture. Et bien entendu, le Père Noël n’existant pas, la taxe sera payée par les abonnements des vilains clients qui ont l’audace de ne pas se contenter de la production publique.

    Quand on taxe le lait, ce n’est pas la vache qui paie l’impôt. Cette formule amusante illustre assez bien l’absurdité du raisonnement des politiques qui se persuadent au quotidien qu’il ne manque qu’une dernière taxe, qu’une dernière loi pour atteindre le bonheur. Et qui malheureusement l’adoptent.