Catégorie : Chroniques

  • Le maigre bilan de la vague verte

    Le maigre bilan de la vague verte

    Deux ans après les élections, on peut se demander ce qui sort concrètement de la législature verte. A ce stade, c’est une législature de perdue, bilan bien triste si l’on en croît l’urgence du dossier.

    C’était le 11 décembre 2018. Jugeant le résultat trop mou, la gauche s’était alliée avec l’UDC pour saborder la révision de la loi CO2 au vote d’ensemble. La suite, on s’en souvient : grève du climat, des dizaines de milliers de personnes dans les rues, des slogans qui claquent et une gêne assez visible des partis qui avaient cru quelque chose d’acceptable. Et puis, en octobre 2019, avec la vague verte : jamais n’ont siégé autant d’élus écologistes sous la coupole.

    Deux ans après, l’heure du bilan. La semaine passée, le Parlement a mis sous toit une révision de la loi CO2 actuelle. Après le camouflet en votation populaire en juin, les Chambres ont dû se résoudre à se contenter d’une version ad minima de la loi climat, pour ne pas liquider les fondamentaux de la politique fédérale : objectifs de réduction, mécanismes de compensation, prolongation des petites taxes existantes. Rien de plus. Malgré la faiblesse du projet, les Verts ont appuyé sur le bouton de la même couleur. Et accepté dans une belle unanimité une loi bien plus timorée que celle qu’ils refusaient trois ans plus tôt à grand renfort de mégaphones dans les rues.

    Que s’est-il passé entre deux ? Les belles affiches de 2019 ont un peu terni. Sans politique de compromis, les idéologies s’écrasent sur les rochers de la realpolitik, du consensus indispensable. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé. Après les dernières élections, même les partis bourgeois ont accepté de mettre de l’eau dans leur vin et ont soutenu une mouture plus stricte de la législation. Peine perdue : on ne construit rien en Suisse sans le peuple, et celui-ci n’a pas voulu d’un projet jugé trop contraignant.

    A mi-législature, le bilan de la vague verte est bien faible. Hormis un référendum gagné par les poils contre la loi sur la chasse, nous n’avons vu passer que quelques maigres postulats et autres interpellations. Le reste est désespérément vide. Et face à l’urgence climatique, le parlement, même plein de bonnes intentions, n’a pas réussi à apporter une réponse acceptable, c’est-à-dire capable de majorité (mehrheitsfähig comme on dit en face).

    C’est trop peu et c’est décevant. Mais c’est sans doute la preuve que les grands bonds en avant ne donnent pas de résultats dans une Suisse qui préfère les petits pas. Un peu moins de paillette, un peu plus d’actions concrètes. C’est ce qu’il nous reste à faire pour les deux ans qu’il reste de la législature verte.

  • Covid-19: plaidoyer pour des tests payants

    Covid-19: plaidoyer pour des tests payants

    La majorité des partis a tourné casaque et réclame maintenant que les tests antigéniques Covid ne deviennent pas payants. En oubliant toujours le vieil adage: rien n’est jamais gratuit, c’est seulement payé par quelqu’un d’autre. Vous.

    A propos de la gratuité des tests, ils ont presque tous retourné leur veste. Les vérités d’hier sont conspuées aujourd’hui. Il y a dix jours, tous les partis admettaient qu’il fallait enfin encaisser le coût de ces tests. Que le contribuable ne devait pas financer cette fantaisie. Et puis il y a la «real politik», paraît-il. La crainte de perdre le 28 novembre. La pression des manifestants. La trouille plus forte que le courage.

    Pourtant, la constitution l’exige: l’activité de l’Etat doit répondre à un intérêt public. Il y a un intérêt public à une vaccination très large: réduire la pression sur les hôpitaux et leurs soins intensifs, alléger les conséquences douloureuses de la pandémie. Il n’y a pas d’intérêt public au test gratuit pour une soirée en discothèque ou une sortie au restaurant. Il n’y a pas d’intérêt public à préférer le test au vaccin. Pas de bras, pas de chocolat. Pas d’intérêt public, pas de subvention.

    Chaque test coûte deux fois plus qu’un vaccin

    Si chacun est libre de se faire ou non vacciner, au nom d’une liberté personnelle qui impose certaines limites irrévocables, on ne saurait pour autant exiger que l’Etat, devenu notre mère à tous en cette période de folie pandémique, acquitte rubis sur ongle les tests de pur confort.

    Chacun de ces examens coûte 47 francs. Je passe sur le fait que ce prix exorbitant justifie à lui seul qu’on mette enfin en concurrence le marché médical. C’est un autre débat, essentiel. Cela dit, chaque test coûte deux fois plus qu’un vaccin. Et chaque test gratuit est une mauvaise incitation à ne pas se vacciner.

    Durant le week-end passé, 307 659 tests ont été réalisés. C’est 14,5 millions de francs de dépensés pour offrir un sésame aux citoyens qui refusent souverainement le vaccin. Je vous laisse calculer le tarif pour les mois à venir. Un bon demi-milliard, une paille.

    Cher Ignazio, Chère Karin, et tous les autres, tenez bon. Certes, ils sont des milliers à manifester. Bien sûr, nous pourrions perdre le 28 novembre et voir la loi Covid-19 balayée. Il faudra alors respecter le choix démocratique. La politique en Suisse ne s’est toutefois jamais construite par le rapport de force de la rue. Gardez votre ligne et maintenez les tests payant à partir du 1er octobre. Parce qu’il y a toujours pire en politique que prendre une décision impopulaire: prendre une décision irrationnelle.

  • Le jour où les talibans ont gagné, et les chiens aussi

    Le jour où les talibans ont gagné, et les chiens aussi

    En pleine débâcle afghane, le rapatriement par l’armée britannique de centaines d’animaux de compagnie laisse pantois. Et fait douter de la supériorité morale de nos valeurs lorsqu’on sauve les bêtes tandis qu’on abandonne les hommes.

    Il est difficile de parler de la débâcle afghane sans connaître le pays. Loin de moi l’idée de dire ce qui aurait dû être fait, ce qui aurait été mieux et pour qui. Mais de ce que j’en sais, de ce que j’en vois, la morale semble de notre côté. On regrette la victoire d’une conception rétrograde du monde, de valeurs qui n’ont que la force des armes pour s’imposer, à défaut de la raison. Même dans la défaite militaire occidentale, il est toujours rassurant de se dire que notre monde vaut mieux que le leur, que nous défendons une société juste face à une barbarie inhumaine.

    Sains et saufs, les clébards

    C’est ce que je me disais. Enfin, jusqu’à l’histoire invraisemblable de l’évacuation britannique. Le genre d’anecdote qui vous fait douter de vos convictions et de notre propre humanité. Au milieu de la catastrophe, les Anglais ont évacué 200 chiens d’un refuge pour animaux. Oui, vous avez bien lu. Le personnel de l’ONG est resté abandonné au djihad islamique, les clébards sont sains et saufs, rapatriés à Londres.

    Alors que des milliers d’Afghans menacés des pires châtiments par les nouveaux maîtres de Kaboul mendiaient une place dans un avion. Alors que d’autres trouvaient la mort dans un train d’atterrissage ou chutant d’une aile à laquelle ils s’étaient désespérément accrochés. Alors que l’ambassade britannique «oubliait» les CV de postulants afghans, candidats d’abord pour un emploi, désormais pour la torture du nouveau régime. Alors que les femmes retrouvent la burqa et voient les portes des écoles se fermer.

    Mme Johnson dans le coup

    Dans un premier temps, le ministère de la Défense s’est refusé à une telle absurdité: les Afghans et les soldats avant les bêtes. C’était sans compter la pression des amis des animaux sur Twitter. Des milliers de messages. Et même, paraît-il, l’intervention de la conjointe de Boris Johnson herself, militante de la cause animalière.

    On a le beau jeu de se croire plus valeureux que ces sauvages, ces fous de Dieu. Quelle sorte de talibans avons-nous créés dans nos sociétés occidentales? Qui sont les plus écœurants de ces extrémistes? Ceux qui, de la main ou de la patte tendues, coupent la première, ou ceux qui saisissent la seconde?


  • Un dîner à Locarno pour casser Netflix

    Un dîner à Locarno pour casser Netflix

    Le monde du cinéma est sur le point d’imposer son obligation d’investissement pour les plateformes en ligne. Une manière de faire payer ceux qui ont trouvé une solution au défi d’internet et, indirectement, un public qui n’a rien demandé.

    Un dîner. Une soirée. Un festival. Des politiciens invités. Un puissant lobby qui réunit toute la crème des commissions des Chambres fédérales pour les convaincre de voter une loi, des dizaines de millions à la clé.

    Si cette soirée au Festival de Locarno avait été le fait d’un assureur ou d’une pharma, Le Courrier en aurait fait sa une, scandalisé. Mais bon, c’est pour la culture. Une branche économique sympa, intouchable, qui hyperventile depuis des mois pour faire adopter la taxe Netflix la plus chère possible.

    Grand écran versus grand réseau

    Le grand écran et le grand réseau, c’est vingt ans de relations compliquées. D’abord, on a cru qu’internet ne servirait jamais qu’aux adolescents qui pratiquaient le téléchargement compulsif sur Napster et Kazaa. Puis sont arrivées les plateformes de streaming. De simples diffuseurs, elles sont devenues les plus grands producteurs de films, surclassant allègrement les grandes maisons historiques.

    La partition est connue, répétée. Les Américains ont tout inventé, à peu près dans un garage (il y a vingt-cinq ans, Netflix envoyait des DVD par la poste…). Prime, Netflix, Disney +, Apple TV ou Sky: ils traversent tous l’Atlantique pour nous inonder de films et de séries. Pendant ce temps, l’Europe n’a su que légiférer, taxer, réglementer. A propos de l’ordre de sortie des films, sur les exclus des festivals ou les soutiens aux salles obscures. Pour finalement se rendre à l’évidence: notre cinéma est à la traîne. A tel point qu’il faut maintenant des lois pour forcer les plateformes américaines à accepter nos productions.

    Fière comme un pou

    Derrière l’étendard ridicule de sa propre exception, l’industrie culturelle est devenue bien triste, réduite à supplier le législateur à coups de dîners au bord du lac Majeur de bien vouloir jouer les arbitres face aux grands noms de l’entertainement. Fière comme un pou, elle proclame sans rougir que sa planche de salut ne réside pas dans la qualité de ses productions ou sa capacité à trouver son public, mais dans l’intervention de vos élus pour choisir à votre place ce qui est bon pour vous.

    Sans doute que l’opération sera couronnée de succès. Les parlementaires donneront 4% des recettes des plateformes au cinéma suisse qui se gargarisera de ce succès. A l’inverse, il n’est pas certain que l’histoire du 7e art n’en retienne autre chose que la poursuite de la décadence inéluctable d’une culture autocentrée qui perd son public et son futur.

  • Vaccinez-vous. Tout de suite

    Vaccinez-vous. Tout de suite

    La première vague de coronavirus fut celle de la stupéfaction. La deuxième, celle de la résignation. La troisième sera celle de l’égoïsme et de l’ignorance. A moins que le mouvement anti-vaccins ne s’essouffle très rapidement.

    A la fin, nous connaîtrons tous le Covid-19. C’est maintenant une certitude. Le contact se fera soit par la vaccination, soit par l’infection. Et choper le dernier variant en date, c’est un peu se lancer dans une séance de tirs aux penaltys en ne pouvant que perdre: on ne se qualifie jamais pour rien de réjouissant quand on tombe malade.

    La vaccination plafonne un peu partout. Les discours complotistes bêtifiants parviennent malheureusement à convaincre des milliers de citoyens. Des personnes qui n’écoutent plus leur médecin, les autorités ou les hôpitaux, se fient désormais à des vidéos sur YouTube, le nouvel eldorado des charlatans.

    Un spectre…

    Alors qu’on rêvait de voir la pandémie prendre vraiment fin, le spectre d’une nouvelle vague plane. Et cette fois-ci, il y aura des responsables assumés. Les 30 à 40% de réfractaires au vaccin laissent une brèche béante dans la protection immunitaire de notre société. Ils seront à l’origine de la prochaine vague épidémique, espérons au moins par négligence.

    Pour le dire ouvertement, je m’attends à recevoir des dizaines de messages, même les plus insultants. Pourtant, en catimini, on l’affirme jusqu’aux plus hautes autorités. En public, la pudeur qu’impose la liberté de se vacciner interdit de l’exprimer clairement: les réfractaires aux vaccins nous précipiteront dans la prochaine vague. Ils auront sur la conscience des morts et peut-être, en fin de compte, un nouvel arrêt d’urgence de l’économie.

    Au mieux, pour septembre

    Et comme chaque vague se révèle d’une plus grande ampleur que la précédente, attendons-nous à ressortir les crédits covid, les RHT et les sempiternels clubs-sandwichs de la pause de midi pour suppléer les restaurants fermés.

    Bref, il n’y a qu’un message à faire passer avant les grandes vacances d’été. Si vous ne l’avez pas déjà fait, si vous n’avez pas déjà été malade, vaccinez-vous. Pour vous et pour tous les autres. Et tout de suite: entre la première dose et le déploiement de la seconde, il faut compter huit semaines. En vous inscrivant aujourd’hui, vous serez au mieux immunisé pour le début de septembre. Pile pour la prochaine vague? Il sera trop tard pour penser au parapluie au beau milieu de l’averse.

  • Les enfants gâtés de la grève du climat ont tué la vague verte

    Les enfants gâtés de la grève du climat ont tué la vague verte

    Le peuple suisse a refusé une loi sur le climat dont les instigateurs se moquaient éperdument. Par leur attitude, les mouvements radicaux de l’écologie ont tué la nouvelle législation, mais aussi la tendance qu’ils avaient lancée.

    On se souvient de Greta haranguant la foule de la Riponne . Des dizaines de milliers d’étudiants qui faisaient le mur, défilant pour des mesures fortes contre le réchauffement climatique. Pour une taxe sur les billets d’avion. Des mesures prises en Suisse, pas à l’étranger. Changer le système, pas le climat. Des bons slogans sur des pancartes en carton.

    Ils ont bien réussi leur coup. L’automne suivant, ce fut l’inarrêtable vague verte et un résultat jamais atteint pour les groupes écologistes au parlement fédéral. On aurait pu imaginer que la Suisse deviendrait alors plus verte et que les nouveaux élus parviendraient à créer l’union sacrée autour de leurs propositions.

    A côté du débat

    C’est raté. Le peuple a refusé ce que demandaient les grévistes du climat. Certes, cela pouvait arriver, mais pas de cette manière. La campagne fut des plus classiques. Les grévistes du climat, eux, s’en fichent. Complètement. Ils sont passés à côté du débat et se sont concentrés sur la loi sur le terrorisme, imaginant qu’on les confondrait un jour avec… des terroristes. Craignant surtout de ne plus pouvoir mener leur bastringue du vendredi en toute impunité.

    L’objet de leur courroux, la planète, est bien passé au second plan. A lire leurs communications, on n’y trouve rien. Pas un mot pour ou contre la loi CO2. Cet objet n’avait plus aucun intérêt à leurs yeux. Un peu comme un gamin trop gâté qui a réclamé un train électrique toute l’année et qui le snobe le soir de Noël.

    Mouvement gangrené

    On pouvait bien se douter que ce mouvement allait disparaître un jour. Gangrené par une extrême gauche qui a trouvé dans les questions climatiques un prétexte pour vendre sous couverture son idéologie mortifère, XR et les autres mouvements écologistes radicalisés ne pouvaient pas s’imposer durablement dans le paysage politique. Ils ont réussi l’exploit de braquer une majorité de la population, pourtant ouverte en général à des compromis, même quand ceux-ci touchent au porte-monnaie.

    C’est ce même peuple suisse qui a accepté sans trop discuter la Stratégie énergétique 2050, il y a tout juste quatre ans. Un projet fait de taxes, d’interdictions, de contraintes. Un projet que l’on vous promettait coûter 1000 francs par année et par foyer. Seulement, c’était avant la vague verte. Avant que ces groupuscules ne s’érigent en parangons de vertu écologiste. Mais les temps changent. Mme Thunberg est devenue majeure et la vague verte s’est brisée.

  • Qu’ils sont romantiques, ces trains de nuit…

    Qu’ils sont romantiques, ces trains de nuit…

    La soudaine passion qui a saisi les politiciens européens est invraisemblable. Sans s’opposer au retour des couchettes, on peut se demander si l’argent du contribuable est bien utilisé lorsqu’il sert à recréer une offre là où elle ne trouve pas de demande, pour un coup marketing douteux.

    Peut-on s’opposer aux trains de nuit? C’est vraiment une question idiote, me direz-vous. Les trains de nuit sont sympathiques. Ils rappellent à beaucoup de lecteurs des voyages de classe turbulents, peut-être arrosés. Je me rappelle de longues tirées jusqu’à Minsk ou à Saint-Pétersbourg. Certains se reconnaîtront. A une époque où l’on veut prendre moins l’air et plus le fer, ça n’aurait aucun sens d’être «contre» les trains de nuit.

    D’ailleurs, tout le monde y est favorable. Tapez «train de nuit» sur le site du parlement, on vous déversera des centaines d’interventions parlementaires lyriques, dégoulinantes de bonnes intentions, exigeant du Conseil fédéral de déposer séance tenante toutes ses affaires pour conduire à toute allure des trains à travers la nuit européenne.

    Je caricature à peine. En France, on peut voir une vidéo désopilante où Jean Castex troque la casquette du chef du gouvernement contre celle du chef du train pour annoncer aux passagers, fier comme un pou, la réouverture de la ligne de nuit Paris-Nice. Douze heures à partager les ronflements du premier ministre, le charme inégalable de la SNCF:

    Au XIXe siècle, Napoléon III inaugurait le canal de Suez. Au XXe, c’est Mitterrand qui inaugurait le tunnel sous la Manche. Aujourd’hui, le premier ministre fanfaronne de ressortir de leurs entrepôts les wagons-lits. Demain, ce sera peut-être le retour de la diligence, qui sait?

    Non que les trains de nuit soient devenus indignes à nos yeux, mais admettons tout de même que si des lignes ont été interrompues, ce n’est pas en raison d’une trop forte fréquentation. Et si les compagnies ferroviaires ne sont pas toutes pilotées par des imbéciles réfractaires au succès, si les trains de nuit répondent vraiment à la demande tant vantée par les pétitionnaires de tous horizons, l’offre ne tardera pas à revenir. Personne ne l’interdit, personne ne s’y oppose.

    S’il le fallait, je prendrais le pari que ce grand retour du train de nuit restera un coup marketing, un peu ridicule. Paris-Nice, c’est à peine cinq heures en TGV. Si le vintage est tendance sur Instagram, les gouvernements n’ont pas forcément à s’engager pour les grands bonds en arrière romantiques, au nom d’une sobriété écologique qui n’a certainement pas apporté la preuve de son efficacité.

  • Shift Project, l’écologie de la culpabilité

    Shift Project, l’écologie de la culpabilité

    Le Shift Project a estimé les coûts en carbone de la consommation de vidéo sur Internet. Avec des chiffres astronomiques et inquiétants. Ils sont toutefois tout théorique et ne servent qu’à alimenter une idéologie décroissante.

    Regarder un film sur Netflix, c’est comme rouler 400 mètres en voiture. Le slogan claque. Depuis que notre hebdomadaire dominical a repris cette formule, on entend dans la campagne sur la loi CO2 des avis horrifiés de citoyens écrasés sous le poids d’une écologie culpabilisante. On savait que les voitures détruisaient notre climat. Comme les sacs plastiques. Les chaudières à mazout. Le béton. La viande. Les voyages en avion. Et les voyages tout court finalement. Et maintenant, si vous restez chez vous, penard devant la télé, sauf à lire de vieux romans de deuxième main à la lumière d’une bougie, le chauffage coupé, vous êtes aussi un assassin de la planète.

    A ce stade, le suicide collectif devient forcément la seule option raisonnable pour répondre aux injonctions de XR et autres prophètes des lendemains qui s’effondrent. Au risque de me faire encore plus détester des manifestants du vendredi, j’aimerais relativiser les prétendues études relayées dans la presse dominicale.

    Escroquerie intellectuelle

    Nos téléphones, ordinateurs et télévisions ne carburent pas au charbon. Ni les bornes 4G des opérateurs ou les data centers des Gafam. Mieux, Netflix a installé chez les fournisseurs internet, en Suisse, des serveurs miroirs. Ainsi, lorsqu’on «stream» une série américaine, elle ne vient pas de plus loin que Zurich. Et une société comme Google, par exemple, garantit l’utilisation de courant 100% renouvelable.

    Mais pourquoi alors cette infernale équation planèticide? Selon le «Shift Project» à l’origine du calcul, on a tenu compte du mix électrique mondial pour compter vos émissions de CO2. Ainsi, lorsque vous allumez votre télévision, les culpabilisateurs calculent vos émissions de gaz à effet de serre comme si vous utilisiez le courant électrique de Shanghai, pas des plus propres. On est à la limite de l’escroquerie intellectuelle.

    Le vrai problème est celui de la production d’électricité. Dans une société où l’on veut remplacer les voitures thermiques par des électriques, installer de la géothermie partout, il faudra des électrons. Et pas qu’un peu. Or, pour que cette transition soit positive pour le climat, encore faudra-t-il que le mix électrique soit propre. Jusqu’ici, la Suisse est un modèle en la matière. Hydroélectricité et nucléaire sont quasiment neutres d’un point de vue climatique. Et c’est là le vrai débat que les écologistes esquivent sciemment: comment garder cet acquis en renonçant à l’atome ?

     

  • La poule qui pondait des œufs à ARN messager

    La poule qui pondait des œufs à ARN messager

    Le projet de levée des brevets des vaccins contre le Covid-19 met en péril la recherche à long terme. Contre les nouveaux variants, mais aussi contre les futurs virus. Et cela ne répondra à aucun besoin concret sanitaire, uniquement idéologique.

    Les fables de La Fontaine regorgent de bons principes dont on devrait s’inspirer. Malheureusement, on s’arrête trop souvent au milieu des histoires, en négligeant sciemment la morale de l’affaire.

    Prenez la poule aux œufs d’or. Pas le jeu télévisé amoral, mais la fable. Le fermier, impatient de voir sa poule ne pondre qu’un œuf d’or par jour, finit par la trucider en espérant y trouver un trésor. Et Jean de La Fontaine de conclure: «L’avarice perd tout en voulant tout gagner.»

    Dans nos démocraties occidentales, le plus beau de nos biens, notre poule aux œufs d’or, c’est sans doute notre capacité d’innovation. Ces grandes universités, ces entreprises qui vous envoient dans l’espace ou ces chercheurs qui inventent des microprocesseurs de la taille d’un atome.

    Il nous aura fallu des siècles pour nous débarrasser de la rage, de la peste ou de la polio. C’est l’intelligence qui a vaincu. De 1900 à 2000, les progrès de la science ont permis d’augmenter l’espérance de vie de 49 à 80 ans. Inlassablement, notre poule aux œufs d’or a produit ces petits miracles technologiques qui rendent le monde meilleur.

    Vous me voyez venir. En à peine six mois, des laboratoires du monde entier sont parvenus à créer une solution hyper-efficace pour mettre un terme à un fléau que nous n’avions pas connu depuis cent ans, le Covid-19. Avec un succès extraordinaire. Et selon les prévisions, on devrait disposer d’au moins une dose par être humain d’ici à la fin de l’année.

    Alors, que demander de plus?

    Comme dans la fable, tuer la poule. Une certaine gauche altermondialiste, emmenée par Joe Biden, s’offusque moins de la pandémie que du succès des firmes qui lui ont trouvé une parade: il faudrait au plus vite exproprier les brevets. On dépècera la bête, on extirpera l’ARN de son estomac et chacun fabriquera des vaccins dans sa cuisine.

    A suivre les efforts de Lonza pour augmenter sa production de Viège – déléguée par Moderna, faut-il le rappeler? – la partie s’annonce plus compliquée. On peut aussi douter que la poule déplumée produira encore beaucoup de remèdes contre les futurs virus qu’on nous annonce par légions ou contre les variants aux noms de pays tropicaux. Et puis, les besoins en vaccins étant couverts d’ici à la fin de l’année grâce à l’industrie, le projet américain répond davantage à des visées doctrinales que sanitaires.

    Si le temps donne raison à Joe Biden, nous laisserons alors aux administrations publiques et aux idéologues de tout poil le soin d’inventer les remèdes contre les nouvelles maladies. Et l’on mourra probablement plus longtemps, mais dans l’égalité et la fraternité.

  • Le prix unique du livre, quarante ans de retard

    Le prix unique du livre, quarante ans de retard

    Retour du débat, dix ans après avoir été refusé par le peuple. Rien n’a changé depuis. Or, comparer les marchés français (avec prix unique) et le marché suisse (sans) durant cette période, plaide clairement en défaveur de cette solution technocratique.

    L’idée avait trente ans de retard, elle en aura quarante cette année. Le prix unique du livre, ce machin économico-administratif fait son retour , dix ans après avoir été sèchement balayé par un peuple bien avisé.

    L’instrument législatif naît de l’espoir romantique qu’une intervention publique fondée sur la noble idée d’une culture sortie artificiellement de toutes les contraintes du marché foisonnera comme jamais. Le livre n’est pas un bien comme un autre. C’est vrai. Qu’a-t-on gagné à le dire ou à l’écrire?

    Des doutes…

    La Suisse a perdu un peu moins d’un cinquième de ses librairies depuis la votation de 2012. C’est triste. Doit-on nécessairement attribuer ce résultat à l’absence de prix unique du livre? Depuis dix ans, les ouvrages électroniques ont pris quelques parts de marché. Pas immenses, mais tout de même: 25% des lecteurs affirment lire parfois sur tablette. Parallèlement, l’ensemble du commerce de détail souffre de la concurrence du commerce en ligne et des changements d’habitudes de consommation des lecteurs. Est-ce que les librairies ont plus souffert que les disquaires, les magasins de vêtements, les vidéoclubs ou les salles de cinéma? J’en doute.

    En vrai, le livre se porte plutôt bien. Il tire même son épingle du jeu. Depuis 2014, les Suisses n’ont pas notablement changé leurs habitudes de lecture et Le Temps titrait même en 2019: «La Suisse romande, où le livre résiste» . A titre de comparaison, le pays qui pratique le prix unique, inventé par Jack Lang, souffre d’une grave érosion des ventes de livres, en volume et en valeur, et cela en chiffres absolus. Cocasse: c’est là où le prix est unique que le livre se casse le plus la figure.

    Un élan élitiste puant

    Ainsi, la mort du marché du livre en Suisse que l’on nous annonçait avec le rejet de la loi ne s’est pas produite, tant s’en faut. Par contre, rien n’a fondamentalement changé depuis l’époque, hormis l’accentuation de tendances déjà bien marquées et qui n’ont pas à être jaugées sous un angle moral tant elles découlent des choix assumés et légitimes des lecteurs.

    A l’inverse, introduire un prix unique du livre aujourd’hui reviendrait à créer un monopole de distribution absolu pour les importateurs «officiels» qui appliquent des tarifs souvent exorbitants au regard du taux de change. C’est empêcher les petits budgets de profiter des offres en ligne ou, dans un élan élitiste puant, refuser aux lecteurs occasionnels le droit d’acquérir à des prix abordables les best-sellers qu’on trouve, ma foi, sur les étals des supermarchés. Parce qu’une culture populaire n’est pas seulement celle de l’entre-soi, mais celle de toutes et tous, sans privilèges.