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Mon discours du 31 juillet 2008

Philippe Nantermod

Philippe Nantermod

Mon discours du 31 juillet 2008

Chers amis morginois, chorgues, valaisans, suisses, et aussi chers amis d’ailleurs. Chers Confédérés.
C’est avec un immense plaisir que je prend la parole ce soir, devant vous, en cette veillée de fête nationale.
Je suis né à Morgins, j’y ai grandi, j’y ai fait mes écoles et c’est ici que je deviens petit à petit un adulte. Ce soir, c’est en tant que morginois et vice-président d’un parti politique de jeunes que vous me faites l’honneur et le plaisir de pouvoir m’exprimer. Je dois avouer que j’en suis extrêmement touché. Un peu intimidé aussi. J’espère être à la hauteur.
Nous fêtons ce soir notre pays, la Suisse. Les étrangers qui sont parmi nous la connaissent certainement par ses clichés. La Suisse est pour beaucoup une terre de fromages et de chocolats, ou de banques et de montres, ou encore d’exile et de pilatus, selon que vous veniez d’Europe, de Russie ou d’Afrique. Les hollandais et anglais vous parleront du ski, les petits propriétaires américains, de l’UBS, les japonais du Cervin et du pont de Lucerne.
On a tous au fonds de notre cœur une facette de la Suisse qui nous enorgueillit plus qu’une autre. Pour moi, cette facette, c’est un monument trop mal connu: l’auteur bernois Friedrich Dürrenmatt. A défaut d’avoir réussi à me faire parler l’allemand, ma professeur du collège m’a au moins transmis une passion pour cet écrivain.
Un soir de fête nationale, on peut répertorier les qualités de notre Suisse, on peut aussi relever ses traits de caractère que l’on changerait volontiers. Et cela parce qu’on l’aime, ce pays.
Je ne veux pas vous ennuyer ce soir avec des théories littéraires, mais reprendre une pièce de Dürrenmatt que je trouve assez drôle et qui illustre bien une de nos particularités, de celles que je changerais si un génie me le proposait.
Cette pièce s’intitule Hercule et les écuries d’Augias et date du début des années 1990. En quelques mots, l’histoire se passe à Elide, petite ville grecque dont la particularité est d’être recouverte de fumier depuis des décennies. Jusqu’au premier étage de tous les immeubles, le lisiers donne une couleur assez typique mais peu plaisant à la ville.
Les citoyens décident alors de convier Hercule pour nettoyer une fois pour toutes les rues de la capitale. Le surhomme débarque en fanfare, chaque habitant étant très pressé de voir son quotidien changer.
Avec une grande rigueur, un citoyen fait remarquer qu’il serait peut-être quand même nécessaire de respecter les procédures en vigueur en prenant une décision conforme aux lois et autoriser  officiellement Hercule à entamer ses travaux. L’Etat reste l’Etat, pareille décision ne doit pas se prendre à la va-vite, c’est compréhensible.
Le gouvernement se réuni donc, prend une décision après une semaine. Cette décision se résume simplement : « Conscients de la nécessité de nettoyer les rues d’Elide, nous tenons à consulter les autorités sanitaires, culturelles, intérieures et financières avant d’entériner une décision que chacun soutient». La boîte de pandore est ouverte. S’ensuit des semaines de discussions, de débats, de commissions, de sous-commissions, de rapports de majorité ou de minorité. Et chacun de ces rapports débute par la même rengaine : « Conscients de la nécessité de nettoyer les rues d’Elide ». Les questions culturelles, hygiéniques, financières, sécuritaires, tout y passe.
Au bout d’un certain temps, Hercule est obligé de subvenir à ses besoins, et trouve du travail dans un cirque, en attendant la décision définitive des autorités. Plus tard et financièrement en bout de course, Hercule accepte finalement une offre d’emploi étrangère et s’en va nettoyer d’autres rues sous des cieux plus cléments. Les citoyens, pourtant tous convaincus de la nécessité de nettoyer la capitale, se congratulent et se félicitent du respect dont ils ont fait preuve vis-à-vis de la procédure et de leurs propres règles. Rien n’a été mal fait, forcément puisque rien n’a été fait.
Mesdames, Messieurs. Cette petite histoire illustre peut-être une de nos spécialités. Ne manque-t-on pas chez nous de courage à prendre des décisions ? A prendre des risques ? Une espèce de peur de nos propres talents, une peur de nos propres désirs ?
Je crois que nous aimons tous notre pays, faute de quoi nous ne fêterions pas le pacte scellé par nos ancêtres il y a plus de 700 ans. Mais j’imagine que vous avez tous en tête une de ces fameuses décisions qui n’a pas été prise, car une solution meilleure était possible, alors que tout le monde s’accordait sur l’urgence de l’action. J’ai moi-même parfois estimé qu’il valait mieux ne rien faire que de choisir un projet trop aboutit pour être réalisé.
Prenons l’exemple de nos trains. Nous refusons depuis des années de parler de TGV en Suisse parce qu’une solution meilleure est soi-disant possible, Swissmetro. Le résultat : nos trains sont parmi les plus lents d’Europe. Mais nous sourions toujours en voyant ces trains à grande vitesse, puisque nous savons que nous aurons un jour un métro circulant à 800 km/h. Et pendant ce temps, on voyage toujours à 80 km/h entre Lausanne et Berne…
Nous pouvons commettre des erreurs, nous en avons même le droit, peut être parfois le devoir. Comme on le dit – le mieux est l’ennemi du bien. A toujours vouloir mieux, à vouloir tourner sa pelle sept fois avant de creuser, on provoque un immobilisme complet.
Le 30 novembre, vous serez appelés à vous prononcer sur une initiative fédérale dont le but est de limiter les blocages induits par quelques associations de protection de l’environnement. Pour toutes ces raisons, je soutiens cette initiative. Loin de moi l’idée de vouloir gâcher notre nature, au contraire. Mais nous devons apprendre à avoir le courage de prendre des décisions plutôt que de nous perdre dans un formalisme excessif et permanent.
Dans son histoire, Dürrenmatt nous montre qu’Hercule ne suffit pas : la bureaucratie peut étouffer les meilleurs talents. Nous devons trouver en chacun de nous un peu de Hercule, pour faire en sorte que la Suisse de 2028 ne soit pas exactement celle de 2008. Un peu d’audace, Mesdames et Messieurs, c’est à ce prix que s’est construit le pays que nous célébrons ce soir. Soyons courageux, soyons Hercule, et nous déplacerons des montagnes.
J’aimerais vous remercier pour votre présence, dans ce petit village frontalier qui recèle tant de charmes. Mon village, qui comme beaucoup d’autres, a subi ces dernières années les blocages induits non pas par le manque de moyens, mais par le manque de courage.  Qu’il est agréable de vivre en Suisse aujourd’hui. Au nom de ceux de ma génération, celle qui bénéfice de la qualité de vie que nous connaissons, j’aimerais dire merci à nos prédécesseurs. Et je souhaite aussi que nous poursuivions le travail entrepris et qui ne doit jamais se terminer, que notre pays soit mieux, plus beau, plus réussi demain qu’aujourd’hui ! Bonne fête nationale, vive la Suisse !
Discours prononcé à Morgins, le 31 juillet, à l’occasion de la fête nationale

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