Prix unique du livre – Réponse à Ivan Slatkine

Monsieur Slatkine,
Je réagis ici au texte qui m’était adressé par votre blog interposé (http://ivanslatkine.blog.tdg.ch/archive/2010/03/02/prix-unique-du-livre-reponse-a-m-philippe-nantermod.html)
Que les choses soient claires d’emblées, même si je ne prétends pas être un « grand lecteur », j’aime lire, je lis, et j’achète toujours avec plaisir des ouvrages tant sur Internet ou chez Payot que dans des petites librairies.
Là où vous vous trompez, à mon avis, c’est lorsque vous affirmez que « le livre n’est pas un produit de consommation courant ». Je ne vois pas ce qui vous permet de l’affirmer de manière si péremptoire. Certes, le livre est culturel. Et alors ? Est-ce incompatible ? Quid d’un DVD, d’un CD, d’une toile d’artiste ? Quid du livre audio ? Une pomme de terre est agricole, cela en fait-elle autre chose qu’un produit de consommation courant ?
L’affirmation sur le caractère non courant ou non consumériste du livre vous permet d’imposer un traitement différencié pour un produit qui est en réalité un vrai produit commercial, bien davantage que les produits de première nécessité ou que les médicaments, par exemple. Le temps des moines copistes est révolu et l’impression d’un ouvrage n’a plus grand chose de sorcier. L’objet, même s’il est beau, n’en est pas moins devenu un produit de consommation .Un éditeur, et vous ne me contredirez sans doute pas, est aussi soumis aux règles du marché, à la nécessité de rentabilité, doit s’abaisser parfois à faire du marketing pour les produit qu’il vend et est très certainement soumis au Code des obligations. Bien sûr, il agit pour la culture, promeut des auteurs de qualité, souvent compense des opérations non rentables par d’autres plus lucratives, mais je ne vois pas en quoi cela diverge d’un autre chef d’entreprise en général, ou encore, de manière plus flagrante, du directeur d’un label musical.
La diversité culturelle ne s’obtient pas forcément à coup de législation contraignante ou de subventions. Au contraire, je pense que la concurrence peut mener à une amélioration de la qualité. Les pays qui ne connaissent pas de prix unique du livre ne sont pas pour autant devenus des déserts culturels. Les grandes améliorations technologiques se sont faites dans le cadre d’un marché ouvert, je suis persuadé que la compétition peut accoucher des plus belles œuvres imaginables.
Certes, la vie est dure pour les petites librairies. Pour les épiceries, les boulangeries, les disquaires et les kiosquiers indépendants aussi. Le fait de bénéficier de salaires supérieurs en Suisse ne justifie nullement un prix unique. Les vendeurs de fers à repasser font aussi face à des salaires et des charges supérieurs et ne profitent pas de prix unique. Je ne saisis pas pourquoi le libraire devrait être traité à une autre enseigne.
Vous êtes éditeur et je comprends que vous défendiez votre métier. Les banquiers trouvent aussi ces jours d’excellentes excuses pour que les Etats les aident, les agriculteurs aimeraient des interventions étatiques plus musclées. De même, les employés de Reconvillier ont certainement estimé que leur situation justifiait un traitement différencié.
L’industrie du disque s’est crue toute puissante il y a quinze ans. Les premiers lecteurs MP3 faisaient rire et le téléchargement sur internet était quasiment inexistant. Le résultat ne s’est pas fait tellement attendre et il a fallu que les Majors se retrouvent à genoux pour qu’ils tempèrent leur arrogance et cessent de considérer que seules les procès et les lois leur permettraient de répondre aux nouvelles modes de consommation.
Le livre est aujourd’hui dans la même situation.
Prétendre que la tablette numérique est complémentaire au format papier me semble assez illusoire : pensez-vous véritablement que ceux qui achètent des iPod n’écoutaient pas de musique avant le MP3 ? Croyez-vous vraiment que celui qui fera l’acquisition d’un Stendhal en version numérique s’embarrassera aussi d’un exemplaire papier ? Miser là-dessus me semble plutôt risqué, mais c’est votre métier et je n’ai pas la malhonnêteté de vous donner des leçons.
Ce qui est certain, c’est que le prix unique ne s’appliquera jamais qu’aux acteurs suisses du livre. Les concurrents américains qui produiront les livres électroniques de demain ne seront pas soumis à ces contraintes légales et la concurrence n’en sera que plus difficile pour les compétiteurs helvètes.
En tant que libéral-radical, sachez que j’ai toujours autant de plaisir à débattre et j’espère que nous aurons l’occasion de croiser à nouveau le fer sur cette question, épineuse.
Philippe Nantermod
PS : Rassurez-vous, je critique aussi les tarifs des  opérateurs téléphoniques en Suisse, vous pourrez d’ailleurs lire diverses interventions à ce sujet.

Commentaires

2 réponses à “Prix unique du livre – Réponse à Ivan Slatkine”

  1. Avatar de rédaction
    rédaction

    Votre intervention sur le prix du livre unique est juste. Je suis éditeur et il y a beaucoup de points que vous évoquez qui sont une réalité. Oui, le livre est un objet de consommation courante. Allez donc dire à Hachette le contraire, vous verrez sa réponse. Arrêtons d’être hypocrite à ce point.

  2. Avatar de serjirao
    serjirao

    Bonjour cher Philippe,
    Je vous suis toujours avec beaucoup d’intérêt.
    Une question me viens ce soir en lisant vos deux derniers messages consacrés au pris du livre (dont je ne sais rien du tout).
    Ma question n’est pas à propos du sujet, mais de son annonceur, vous ! Si vous le permettez, sinon, supprimer mon message.
    Est-ce que vos idées, vos propositions, vos postulats (comme vous les nommez et quelques soit ces choses là, mais j’ai compris que ce sont des idées en gros), brefs, ces idées que vous avez, sont-elles par le plus grand des hasards jamais été soulevées auparavant ou, parce que ces sujet n’ont jamais été soulevés, vous vous en servez pour proposer des choses ?
    En bref, qu’est ce qui motive un jeune politicien ?
    Parce que le prix du livre (a nouveau je ne sais rien à ce sujet, ni ne connais les tenants et aboutissants) me semble tellement désuet face à l’énormité du réel problème que nous vivons.
    Car je n’arrive vraiment pas à comprendre pour quelle raison, personne (mais bon les senior en politique ont déjà montré toutes l’étendues de leur limite, d’où mon intérêt pour les jeunes) ne s’intéresse et ne mette en avant des thématiques profondes touchant directement le bien être spirituel des individus ?
    Nous savons aujourd’hui, enfin, j’ose l’espérer, que le matérialisme ne nous apportera aucun bonheur. Que les lois que nos politiques se croient obligés de faire passer, ne font que compliquer notre existence (car faite sans coeur et par ego / réaction).
    Alors si le prix du livre est capitale au développement et l’émancipation de la population suisse, alors soit. Mais j’ai vraiment le sentiment que des choses bien plus importantes, capitales mêmes à notre pays devraient être mise en avant.
    Des vertues, des qualités, des modèles !
    J’insiste. Mais vraiment, à part ça je ne vois rien de plus pressent à notre bonheur.
    Nous voulons des politiciens bienveillants. Où sont-ils ? En êtes-vous ? Je le crois. Mais alors… le prix du livre ? A quoi cela va-t-il nous servir dans cette quête ?
    En vous remerciant pour l’espace publique que vous offrez par ce blog,
    Amitiés
    Serjirao

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