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Discours du 1er août 2010

Philippe Nantermod

Philippe Nantermod

Discours du 1er août 2010


Mesdames et Messieurs les autorités,
Chers amis de Vionnaz, du Chablais, du Valais. Chers Confédérés.
Permettez-moi de vous remercier du fonds du cœur de l’honneur que vous me faites en m’invitant ici, dans ma région, pour prononcer le traditionnel discours de notre fête nationale. La tâche ne sera pas nécessairement facile, surtout après les passages successifs et remarqués de Didier Défago (encore un morginois) et de Barbara Polla.
Contrairement à de nombreuses nations qui nous entourent, la Suisse n’est pas construite sur son unité, mais sur la diversité de ses régions et de ses habitants. Notre ciment, c’est la communauté de destin que nous partageons à 7 millions, entre nos 26 cantons, nos régions linguistiques et nos ensembles culturels ou religieux. Qu’un pays pareil fonctionne pourrait presque relever de la magie… mais il n’en est rien.
Je suis convaincu que ce qui fait la différence fondamentale entre un pays comme la Belgique – qui se déchire chaque jour un peu plus – et la Suisse, qui a aussi traversé les pires crises identitaires, c’est la concrétisation permanente de la volonté du peuple. La démocratie est le mortier de notre pays. Les citoyens s’intéressent à leur société, à l’avenir de notre pays, et le respectent par la force des choses. Suivant le traditionnel rythme trimestriel, nous nous réunissons tous, quatre dimanches par année, pour redessiner chaque fois un peu mieux le visage du pays que nous aimons et dans lequel nous voulons vivre. Nos parents l’ont fait, nous le faisons, et j’espère que nos enfants continueront à le faire.
Vous avez tous en mémoire le vote 29 novembre dernier, lorsqu’une majorité d’entre nous a décidé d’interdire la construction de minarets. Je m’y étais opposé de toutes mes forces. Avec des amis, nous avons mené une campagne sur le sujet, organisé des débats, imprimé des tracts, collé des affiches. Cette initiative populaire constituait à mes yeux une alternative particulièrement mauvaise, et j’étais persuadé que le peuple et les cantons la balaieraient. Je n’ai jamais cru que nous craignions, nous qui avions connu le Sonderbund, l’arrivée d’une nouvelle religion qui n’a jusqu’ici provoqué que peu de remous perceptibles au regard de sa fascinante propagation.
J’ai perdu. Ce n’était pas la première fois, ni certainement la dernière.
8 mois plus tard, je dois constater que le résultat met en exergue les pires dérives de notre démocratie et les dangers qui planent sur la cohésion fédérale.
Mesdames et Messieurs, ce soir, j’aimerais pour la première fois défendre l’initiative contre la construction des minarets. Non pas que je sois devenu partisan de ce texte, qui m’exaspère toujours autant, mais que les réactions qui s’en suivent m’ont encore davantage convaincu que la démocratie est un bien fragile auquel nous devons prêter une attention particulière.
Ce problème que je pensais sorti de l’imaginaire et des délires des initiants est aujourd’hui constaté. Contrairement à ce que d’aucun affirme, je suis persuadé que celles et ceux qui ont dit OUI le 29 novembre 2009 ne l’ont pas fait contre Kadhafi, l’UBS ou le Conseil fédéral. Je suis convaincu au contraire que chaque citoyen a voté en connaissance de cause, après avoir suivi les débats, lu les nombreux articles sur le sujet. Les sondages qui ont suivi notre décision ont montré qu’il existe un véritable malaise à l’égard d’un certain Islam, et cela dans toute l’Europe. Le visage de la laïcité a incontestablement évolué le 29 novembre 2009, sur tout le continent.
Il ne fait aucun doute que notre vote est contraire à plusieurs engagements internationaux de la Suisse. Il est fort probable que notre pays sera condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme. C’est normal. Mais les Suisses ont décidé en leur âme et conscience de transgresser certaines règles, et cette transgression est un acte souverain et démocratique, un acte que l’on doit respecter.
Vous le savez peut-être, le 23 juin dernier, le Conseil de l’Europe dont nous sommes membres, a voté une résolution condamnant notre pays et l’enjoignant de renoncer à l’application de l’interdiction de construire des minarets.
En soi, cette résolution n’est pas bien grave : non contraignante, elle est davantage une pétition légitime d’Etats voisins qui s’inquiète de notre décision. Nous aurions certainement des réactions comparables à l’égard d’autres choix français ou allemands. Nos engagements internationaux donnent le droit à nos partenaires contractuels d’appliquer les clauses du contrat, c’est logique.
Ce qui est par contre beaucoup plus choquant, c’est que nos cinq représentants qui siégeaient ce jour-là au Conseil de l’Europe ont aussi voté cette résolution condamnant la Suisse. Ces représentants, (issus de tous les partis soi dit en passant, je ne jette la pierre à personne en particulier) sont tous issus de notre Parlement fédéral.
Je suis scandalisé par le vote de nos élus. Il est de très mauvais augure pour notre cohésion nationale. Certes, une très forte majorité du Parlement fédéral vous avait invité à refuser le texte, mais ce même Parlement, ces mêmes parlementaires qui aujourd’hui ont honte du choix du peuple, avaient à l’époque décidé que l’initiative était valide et l’avaient soumise au scrutin populaire.
Le peuple suisse a envoyé un message très clair le 29 novembre 2009. Il ne s’agissait pas d’un scrutin consultatif, mais d’une décision souveraine. Est-elle bonne ou mauvaise ? Seul le temps pourra désormais nous le dire, mais ce n’est de toute manière pas la question : la démocratie n’est pas la meilleure volonté, mais la volonté de la majorité.
Le message qu’envoient ces quelques parlementaires, tout comme le message qu’envoient certains grands bien pensants qui désirent aujourd’hui limiter les droits populaires renforce l’idée aussi saugrenue que dévastatrice que le peuple est composé d’idiots. Marchant à pieds joints sur les principes les plus fondamentaux des penseurs qu’ils prétendent défendre, ces sombres personnages considèrent qu’une poignée de citoyens doit décider pour les autres, ignares forcément.
Ceux qui appellent à une annulation de facto du scrutin du 29 novembre ne doivent pas vraiment saisir la portée et les conséquences de leur position. Ont-ils oublié qu’en démocratie, le droit de voter ne dépend ni du sang qui coule dans vos veines, ni de votre fortune, ni du nombre de vos diplômes ? Plus que les banques, le chocolat ou les rösti, la démocratie est notre bien le plus précieux.
Je l’ai dit tout à l’heure, 26 cantons, quatre langues, des villes, des campagnes, plusieurs confessions doivent bien se fonder sur quelque chose de plus fort pour tenir ensemble. Ce quelque chose, c’est le peuple. C’est la communauté de destin que nous formons depuis les débuts de la Confédération helvétique. Contrairement à beaucoup d’Etats qui nous entourent, la Suisse n’est pas le résultat de décisions royales, mais la volonté commune et partagée d’individus désirant vivre ensemble leurs libertés, leur souveraineté et leur indépendance. Et au-delà de tous les discours creux sur un esprit helvétique, ce sont bien les droits populaires qui concrétisent et qui réalisent cette cohésion.
Le peuple suisse est une réalité, pas un slogan. Il n’existe probablement pas de nation suisse, mais il existe un peuple suisse. Et ce peuple, nous le composons tous, de la présidente de la Confédération aux plus humbles d’entre nous. Vivre en Suisse, c’est admettre la suprématie de la souveraineté populaire.
Lorsque nos représentants s’acharnent à vouloir casser par la force une décision populaire, ils remettent ces fondamentaux en question. Affirmer que le peuple est soumis à l’interprétation de la Convention européenne des droits de l’Homme par quelques uns, c’est nier la démocratie. C’est faire primer le choix d’une poignée sur celui de la majorité.
En ces temps de désaffection pour nos autorités, je crois que ceux qui se sont appuyés sur le suffrage universel pour obtenir leur légitimité lui doivent davantage d’égards que ce qui nous a été montré jusqu’ici. La démocratie suisse se construit avec et par le peuple, pas contre lui.
Voilà pourquoi aujourd’hui comme demain, il nous appartient à chacun de soutenir et de respecter les décisions que nous avons prises, même si celles-ci nous déplaisent. Ou alors les changer.
J’espère que nous reviendrons un jour sur cette question des minarets. J’espère que, dans quelques années, cent mille citoyens demanderont à reposer la question. Et j’espère que, cette fois, je parviendrai à convaincre que cette interdiction est mauvaise. Et je gagnerai, ou je perdrai. Mais peu importe. Ce qui compte, c’est que seul le peuple suisse peut décider de son destin, et seul le peuple suisse peut changer ce destin. Nous, le peuple, écrivons le droit, et le droit doit être au service de l’homme, pas l’inverse.
Chers Confédérés, quel que soit notre commune, notre canton, notre langue, notre confession, notre culture, nous fêtons aujourd’hui bien plus qu’un pacte conclu entre trois Suisses. Ce soir, nous fêtons 719 années de liberté, 719 années durant lesquelles nous avons su vivre ensemble et choisir notre destin. Toujours ensemble.
Cette communauté de destin, nous devons tous la chérir et la défendre. Sur ce, je vous souhaite un excellent 1er août. Vive Vionnaz, vive le Valais, vive la Suisse.
Discours prononcé le 1er août 2010, à Vionnaz

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