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Le prix unique : une mauvaise solution au mauvais problème

Philippe Nantermod

Philippe Nantermod

Le prix unique : une mauvaise solution au mauvais problème

Contre l’avis de son Argovienne de Conseillère fédérale, le groupe PDC au Conseil national a soutenu le retour en fanfare du prix unique du livre. Par prix unique, il faut comprendre l’instauration d’un prix minimum destiné à empêcher de trouver des ouvrages trop bons marchés.
Socialistes, pédécés et divers gauches s’entendent donc sur ce merveilleux projet, martelant que le livre n’est pas un bien comme les autres,  pas une marchandise, pas un produit commercial.  Pourtant, si l’on interroge les fabricants de papier, les éditeurs et les distributeurs, on peut se demander ce qui distingue tant le livre des autres marchandises : mêmes stratégies commerciales, mêmes problèmes existentiels face à la crise, il paraît difficile de soutenir honnêtement que le livre s’éloigne radicalement en tant que bien de consommation d’une paire de chaussure. Bien sûr, le livre propage le savoir, la culture, la civilisation même, et après ? Quelle différence avec un film, une recette de cuisine, une chanson ou une pièce de théâtre ?
Objet culturel. Galvauder ce terme ne donne pas davantage de force au livre. Quand l’Etat est revenu sur ce privilège qu’est le prix unique, beaucoup d’intellectuels dénonçaient ce coup de poignard infligé à la culture. L’idée sous-jacente se résumait ainsi : permettre de brader certains best-sellers débouche invariablement sur la disparition des petites librairies et ne laisse survivre que les grands distributeurs dont l’assortiment se résume aux romans de gare, condamnant au passage la Littérature avec un grand L. L’histoire a montré le contraire. Depuis la mise à mort de la réglementation du marché, Payot a ouvert la plus grande librairie de Suisse romande à Lausanne et tant le service que l’assortiment dépasse ce que peut offrir une petite enseigne. Le consommateur – le lecteur pardon – et la culture en sortent gagnant. Jamais un choix pareil n’a été proposé en Suisse romande, et par des professionnels consciencieux. D’autres chaines tentent de rivaliser, les distributeurs en ligne infiltrent les marchés de niche, la concurrence fait tout son effet. Au grand regret de certains ai-je envie de dire, le livre ne se porte pas si mal.
On peut constater un étranger parallèle dans la moue unanime des intellectuels de gauche que vous obtenez en évoquant le drame de la disparition des salles de cinéma indépendantes dans les villes. Leur nombre diminuerait pour ne laisser de place qu’aux versions françaises des superproductions du Grand Satan. Si le nombre de petites salles a incontestablement diminué ces dernières années, force est de constater que les multiplexes des grands diffuseurs ne proposent pas que des navets. Bien au contraire, on voit apparaître enfin les premiers forfaits tout inclus pour les vrais fans du 7e Art et le nombre de films proposés à la fois est stupéfiant.
Je comprends les défenseurs des petites librairies. Je suis le premier à apprécier les charmes des petits commerces et du rapport social qui lie le libraire de quartier et le lecteur. Ce rapport se reproduit à l’identique avec le postier, le laitier ou l’épicier.  Le prix minimum du livre ne sert pas à sauver le livre qui se porte très bien, ou pas plus mal que le reste. Le prix unique cache seulement une mesure de sauvetage des petites librairies destinées à subir la douloureuse et sans pitié loi du marché. Cette distorsion de concurrence reste néanmoins injustifiable.  L’Etat ne doit pas soutenir à la hausse le prix des produits de consommation, même quand il s’agit de livres. Au contraire, la lutte contre la vie chère passe aussi par le respect du prix conseillé en quatrième de couverture, et non par un cautionnement forcé du petit commerce. Sinon, il faudra élargir le prix unique aux boulangeries, disquaires et autres épiceries indépendantes. C’est ce que l’on appelle une politique clientéliste.

Commentaires

2 Comments

  1. Salut Philippe !
    Je comprenais vraiment pas pourquoi ces dernières semaines on arrêtait pas de discuter de ce prix unique du livre. Maintenant je le saisis un peu mieux.
    En lisant ton texte, j’ai l’impression que ce prix unique du livre, c’est l’arbre qui cache la forêt!
    J’espère ne pas faire d’amalgame entre le prix du livre et le système Coop-Migros digne de l’URSS.
    Dans le cadre du secteur alimentaire en Suisse, de concurrence il n’y en a pas, et personne ne s’étonne que coop et migros contrôlent 79 % du marché alimentaire.
    Voilà un milieu où le parlement devrait intervenir: l’alimentation. Un bon coup de pied dans le fourmilière serait bénéfique pour tous.
    Cette histoire du prix unique du livre c’est un peu le miroir aux alouettes.
    Salutations


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