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L'état de droit n'est pas en danger

Philippe Nantermod

Philippe Nantermod

L'état de droit n'est pas en danger

Quarante-cinq professeurs de droit public suisse ont pris position contre l’initiative populaire fédérale pour limiter le droit de recours des organisations . Leur opinion est accompagnée d’un argument massue : l’initiative opposerait démocratie et Etat de droit. Selon eux, il conviendrait de la rejeter pour le motif que l’initiative a pour but de permettre à des collectivités de rang inférieur de violer le droit supérieur. Ces accusations sont graves et il convient d’étudier le texte lui-même pour se forger une opinion.
L’initiative demande que les projets approuvés par un parlement élu ou par le peuple d’une commune, d’un canton ou de la Confédération ne puissent plus faire l’objet de recours des organisations de protection de l’environnement. Selon une expertise du professeur de droit Yvo Hangartner, l’initiative est claire et ne souffre aucune interprétation cachée.
Rappelons ici que le droit de recours des organisations est une exception dans l’ordre juridique suisse. Généralement, l’intérêt public n’est pas défendu par des privés, mais par les autorités administratives. Ce système fonctionne dans tous les domaines du droit public, sauf en matière d’aménagement du territoire.
Prenons l’exemple des naturalisations. La naturalisation accordée à une personne qui ne remplit manifestement pas les conditions légales ne pourra pas faire l’objet d’un recours d’une organisation privée, telle que l ASIN. À Emmen, ce n’est pas la LICRA qui a recouru contre la décision populaire, mais ceux dont les droits étaient directement touchés.
Ce système est donc valable dans tous les domaines du droit public, sauf dans celui de l’environnement. Là, non seulement les autorités ont une mission de surveillance, mais quelques organisations privées ont en plus le droit de se substituer à l’autorité supérieure. Ce droit de recours n’est pas une nécessité de l’Etat de droit. Les domaines du droit administratif où aucun droit de recours n’est accordé à des associations ne sombrent pas dans l’anarchie. Le droit est respecté, l’Etat fait son travail.
L’initiative n’oppose pas démocratie et Etat de droit. Contrairement à ce qu’affirment les 45 professeurs de droit, l’initiative ne limite en rien le contrôle des autorités de surveillance. Les décisions prises par les parlements ou par le peuple ne seront pas soustraites à l’examen judiciaire, mais cet examen ne pourra plus être engagé que par des personnes directement concernées et par les autorités supérieures, parmi lesquelles figure l’Office fédéral de l’environnement auquel on peut difficilement reprocher un manque d’impartialité. Les associations, comme tout particulier, conserveront leur droit de dénoncer une situation jugée illégale à l’autorité de surveillance. Toutefois, c’est cette autorité qui décidera de la suite à y donner, un peu comme lorsqu’un procureur décide si une affaire mérite d’être poursuivie ou non.
À l’époque, c’était précisément parce que l’Etat ne pouvait pas remplir cette mission – par manque de compétences et de moyens – que le droit de recours avait été accordé. Aujourd’hui, le droit environnemental s’est considérablement étoffé, les moyens des autorités communales, cantonales et fédérales en matière d’aménagement du territoire et de protection de la nature sont devenus considérables. Il peut être affirmé de bonne foi que les autorités publiques disposent aujourd’hui de nombreux moyens légaux pour reprendre sous leur aile la tâche déléguée aux associations privées il y a plus de quarante ans.
Les doctrinaires de droit feraient bien de réfléchir un peu avant de professer des contrevérités. Le manifeste d’une poignée de professeurs évoque l’harmonie entre la démocratie et l’Etat de droit. Sur ce point, le texte n’est pas contestable. Le seul problème, c’est qu’il ne traite pas de l’initiative qui sera soumise au peuple le 30 novembre. Le droit de recours n’est de loin pas le seul moyen de garantir une bonne application du droit ; pire, il est même une exception dans notre système juridique.
Que le droit de recours des organisations puisse être défendu relève de l’évidence. En revanche, que l’autorité de professeurs soit utilisée de cette manière est inacceptable. Rappelons au passage qu’ils avaient été 70 à co-signer l’appel contre l’initiative sur les naturalisations qu’ils comparent injustement au sujet en question. Ils ne sont plus que 45 aujourd’hui. Un signe que certains ne sont pas prêts à signer n’importe quoi pour des motifs politiques ?
Publié dans Le Temps, le 9 septembre 2008
Christian Luscher et Philippe Nantermod

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