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Prix unique du livre : favoriser les cartels au nom des consommateurs

Philippe Nantermod

Philippe Nantermod

Prix unique du livre : favoriser les cartels au nom des consommateurs

Dans les librairies suisses, il n’est pas rare qu’un euro vaille 2 francs suisses, résultat des abus du cartel des diffuseurs qui profitent de l’exiguïté du marché suisse pour vendre leurs livres à des prix surfaits. Comme pour de nombreux produits de consommation, le prix des ouvrages s’explique par un marché sclérosé par des importateurs en situation de monopole.
Les partisans du prix unique refusent pourtant toute mise en perspective, arguant qu’un livre ne saurait être comparé à un grille-pains. C’est à la fois vrai et faux. C’est vrai car le livre est un objet culturel qui bénéficie à ce titre de multiples aides publiques (ce qui n’est pas le cas des grille-pains): encouragement à la lecture, financement d’ouvrages ou soutien à des manifestations sur le livre. C’est faux car le livre est aussi un produit de consommation. En tant qu’objet vendu dans un magasin, rien ne justifie de ne pas traiter le livre comme n’importe quel autre produit, en particulier en ce qui concerne son prix.
La nouvelle loi provoque malheureusement plus de dégâts qu’elle ne résout de problèmes. Au lieu de s’attaquer à la source du problème, à savoir le monopole, la réglementation proposée scelle la structure de marché actuelle. A la fois juge et partie, ce sont les diffuseurs qui définiront à l’avenir le prix réglementé de chaque ouvrage, la Confédération n’intervenant qu’en cas d’abus manifeste. D’un côté, on nous promet que les importateurs vont diminuer quasiment volontairement leurs marges et, de l’autre, on leur offre un sucre en cassant définitivement leur concurrence par l’interdiction des importations parallèles à des prix corrects, comme sur Internet, et des rabais de plus de 5 % que peuvent offrir les grandes surfaces.
En tant que consommateur, je souhaite que l’on renforce les pouvoirs de la COMCO pour lutter contre les abus de certains importateurs, et pas que dans le domaine du livre. Avec la nouvelle loi, on fait tout le contraire en bridant les seuls canaux de distribution parallèle. Le prix unique revient à obtenir la promesse des diffuseurs monopolistiques de limiter leurs appétits, en échange de quoi on tue leur concurrence principale. La seule chose dont je suis sûre avec le prix unique, c’est que les achats bons marchés d’aujourd’hui seront interdits demain.
En somme, la loi sur le prix de livre est une énième tentative d’enrayer les nouveaux modes de consommation par des moyens légaux. Internet change la donne et tous ceux qui ont voulu se battre contre ces évolutions se sont cassé les dents. Les producteurs de musique ou de films ont compris trop tard que ce n’est pas par des réglementations qu’ils parviendraient à renouveler leur modèle. Je regrette que l’édition suive aujourd’hui la même voie. Prix unique ou pas, ils finiront par le payer très cher.
Publié dans la Tribune de Genève, le 7 juin 2011
Référendum contre le prix unique du livre

Commentaires

2 Comments

  1. Très juste. Cette accommodation d’une politique cartellaire, voire ce scellé de cette même politique, ne fera que des dégâts aux librairies suisses qui s’accommodant de leur situation de rentier (quoique tout à fait relative vu la position dominante que possède les distributeurs) au lieu de se renouveler (en se spécialisant dans certains types d’ouvrage par exemple, marché où même une petite libraire peut être tout à fait compétitive).
    Mais enfin, on nous a sorti toutes les absurdités économiques possible sur ce prix du livre et vivement que le référendum sur le prix du livre aboutisse pour corriger ce non sens.


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